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Saveriu Luciani : « Il faut obtenir la reconnaissance du Chjam’è Rispondi par l’Unesco »


Nicole Mari le Lundi 3 Février 2025 à 18:32

Obtenir la reconnaissance du Chjam’è Rispondi par l’Unesco comme patrimoine culturel immatériel (PCI) et son inscription sur la liste de sauvegarde d’urgence, comme ce fut le cas pour le Cantu in paghjella en 2009, c’est la demande du groupe PNC-Avanzemu. Le groupe autonomiste va déposer une motion en ce sens à l’Assemblée de Corse. Le conseiller territorial, professeur de langue corse et acteur culturel, Saveriu Luciani, explique à Corse Net Infos que la pratique du Chjam’è rispondi est, au même titre que la paghjella, emblématique du combat pour l’officialisation et le statut de la langue corse et qu’il s’inscrit dans la revendication historique des Nationalistes.



Saveriu Luciani, conseiller territorial du groupe PNC-Avanzemu à l'Assemblée de Corse, professeur de Corse et acteur culturel. Photo Paule Santoni.
Saveriu Luciani, conseiller territorial du groupe PNC-Avanzemu à l'Assemblée de Corse, professeur de Corse et acteur culturel. Photo Paule Santoni.
- Pourquoi cette demande de reconnaissance du Chjam’è Rispondi par l’Unesco ?
- C’est la même demande de reconnaissance par l’Unesco que celle obtenue pour Cantu in paghjella en 2009 comme patrimoine culturel immatériel (PCI) et son inscription sur la liste de sauvegarde d’urgence. Au même titre que la langue corse et Cantu in paghjella, u Chjam’è Rispondi est en danger de mort. Tous trois sont considérés comme ayant une existence précaire. La langue est essentielle parce qu’elle porte une culture, une civilisation, des arts et une expression chantée. U Chjam’è Rispondi nous vient des siècles, il est consubstantiel de la vie de notre langue. C’est notre héritage sans testament, comme disait René Char. C’est une expression populaire très répandue qui, aujourd’hui, a perdu du terrain, un peu comme la langue. Une pétition a été lancée pour cette reconnaissance par l’Unesco en début d’année par trois associations, l’Associu di u Chjam’è Rispondi, le Centre national de création musicale VOCE de Pigna et l’ADECEC de Cervioni, qui ont mené un travail considérable. Elles portent, soutiennent et pratiquent u Chjam’è Rispondi. Nous relayons leur demande à travers une motion que nous présenterons à l’Assemblée de Corse. Le combat de la langue est un combat civilisationnel qui porte, avec lui, le combat du chant, de l’enseignement, de la co-officialité. U Chjam’è Rispondi fait partie du package revendicatif. En même temps, parce que c’est le chant de nos pères et parce qu’il peut, sous d’autres formes, devenir demain le chant de nos fils, il a besoin de cette reconnaissance et cette visibilité internationales que donne l’Unesco et surtout que les Corses aient un autre regard.
 
- C’est-à-dire ?
- Les Corses doivent comprendre qu’il y a, dans ce pays, sur cette terre, un patrimoine exceptionnel qu’il faut absolument préserver et promouvoir. C’est un combat de notre identité moderne. Moi qui suis, à la fois, témoin d’un temps et d’un monde qui n’existent plus, de gens que j’aimais beaucoup, humainement et aussi en tant qu’enseignant, je me délecte quand j’écoute u Chjam’è Rispondi. Avant, on l’entendait dans les mariages, les baptêmes, les fêtes du village, les foires, les Tundera, dans tous les actes du travail des Corses. C’était très vivace, surtout en Castagniccia et dans le Nord. Aujourd’hui c’est quelque chose qui nous manque, un peu comme notre langue, une espèce de substrat, le reste d’un patrimoine qui va partir. On a besoin de manière consubstantielle de pousser cette reconnaissance, de le remettre sur le devant de la scène avec le soutien de l’assemblée de Corse. Il faut que les gens signent la pétition qui, aujourd’hui, n’a recueilli que 1500 signatures. C’est très peu !
 
- Pour vous, il y a urgence ?
- Oui. On a besoin de médiatiser cette revendication et de demander à tous les élus de l’assemblée de Corse de la porter de manière politique et officielle. On ne veut pas faire rentrer u Chjam’è Rispondi au musée, mais il a vocation, comme le chant politique improvisé au Pays basque ou aux Baléares, à rentrer dans les écoles de manière officielle à travers des pratiques pédagogiques. Il fait partie des outils qui peuvent nous rapprocher de notre langue par le biais éducatif. La Canopé, sous l’impulsion de Tito Limongi, a développé une expérimentation sur l’apprentissage de la langue Corse et du Chjam’è Rispondi qui est aussi, pour certains, une pratique vivace à l’écrit sur les réseaux sociaux, par Internet interposé. Il y a certainement une vie nouvelle à développer pour u Chjam’è Rispondi, au-delà de ce qu’il représente, de ce qu’il est et qu’il doit rester, une joute entre Corses.
 
- Vous évoquez le chant improvisé du Pays basque ou des Baléares, peut-on parler d’une tradition méditerranéenne ?
- Oui. U Chjam’è Rispondi fait partie d’une longue liste de ce que l’on appelle l’improvisation politique qui est présente et récurrente dans tout le bassin méditerranéen. Cela remonte au moins aux aèdes, les poètes de la Grèce antique. Cette tradition d’improvisation politique existe en Toscane, en Sardaigne, en Calabre, aux Baléares et parcourt presque toute la Méditerranée. Chez nous, ce chant est composé de vers octosyllabiques - six vers de huit pieds -, u sestinu d’ottulari, la métrique traditionnelle corse de la paghjella et de presque tout le chant traditionnel corse. Les poètes les plus connus des générations passées sont : Leca « u furcatu » d’Ota, Leoni « u Magiurellu » d’Ochjatana, Pampasgiolu de l’Acquale, Carlini Orsucci de Tallone, Carlu Parigi, Mambrini « u Rusignolu », Minnellu d’Ascu… Ceux, qui le pratiquent, ont une compétence en langue corse assez importante, mais la technique d’u Chjam’è Rispondi s’apprend aussi. C’est ce que s’évertue à dire et à affirmer les multiples travaux sur le sujet, notamment la thèse d’Anna Catalina Santucci qui s’appelle « Chant improvisé en Corse : u Chjam’è Rispondi, un art en mutation ».
 
- Combien de personnes le pratiquent aujourd’hui ?
- De manière officielle, il y a une trentaine de pratiquants. Quelques jeunes, avec des traditions familiales assez fortes, reprennent le flambeau, mais pas beaucoup. Il y a quand même un espoir. Pour les générations comme la mienne qui ont baigné dedans, u Chjam’è Rispondi, n’est pas un spectacle, mais un moment de vie et de plaisir énormes. C’est là que l’on voit la respiration de notre identité et de ce que nous sommes. On est dans une course contre la montre, contre la mort de la langue. La perte du Chjam’è Rispondi serait une mutilation supplémentaire de notre identité. L’érosion programmée de notre identité à travers l’érosion de la langue et de tout ce qui va avec la langue, u Chjam’è Rispondi en fait partie. La langue corse sans le Chjam’è Rispondi n’est pas la langue corse. Comme la langue corse sans son chant n’est pas la langue corse. Comme la langue corse, sans ses silences, n’est pas la langue corse non plus. Cela fait partie de ce que nous sommes. Je suis conscient que dans les jeunes générations, des jeunes n’ont jamais été témoins du Chjam’è Rispondi, ils ne le connaissent pas du tout et n’en comprennent même pas le sens, pensant que c’est simplement un art du spectacle. Rien que pour cela, il faut en faire un outil moderne du Riacquistu.
 
- D’où la motion que vous voulez présenter à l’Assemblée de Corse ?
- Oui. La motion rappelle qu’il y a un déclin de la transmission intergénérationnelle de la langue. L’Exécutif doit s’investir dans une politique linguistique beaucoup plus forte pour replacer le corse dans son rôle au cœur de la société. Plus de 90% des Corses aspirent à une société bilingue, le soutien populaire et politique est incontestable sur cette stratégie-là. Au-delà de la politique linguistique qu’il faut pousser, des pratiques font partie de la civilisation agropastorale. U Chjam’è Rispondi n’est pas seulement un chant, c’est un échange, une manière d’établir des rapports sociaux, décomplexés, dépassionnés. Il a aussi une fonction cathartique. Il est, comme la langue, victime de l’effondrement de la vie rurale. Par la même, de tout ce qui regarde les transmissions, à savoir la langue, les savoirs, les pratiques… Les générations aujourd’hui sont en perte de repères, on a besoin de replacer les générations futures dans un contexte beaucoup plus identifié.
 
- Que demandez-vous à l’Assemblée de Corse ?
- Je demande simplement à l’Exécutif et à l’Assemblée de Corse de soutenir tous les acteurs engagés dans la campagne de sauvegarde et la promotion de ce volet identitaire indispensable du patrimoine culturel corse. De demander solennellement, à l’instar de leur démarche, la reconnaissance du Chjam’è Rispondi par l’Unesco, d’appuyer et d’accompagner politiquement cette démarche auprès du ministère de la culture et des instances internationales avec les acteurs concernés du Chjam’è Rispondi. J’espère que la médiatisation permettra de faire bouger les choses. La démarche pour la reconnaissance de la paghjella par l’Unesco, qui avait été initiée, à l’époque, par Petru Guelfucci, avait bénéficié des Victoires de la musique et de la reconnaissance en Europe du chant polyphonique corse. U Chjam’è Rispondi est un art beaucoup moins spectaculaire au sens où il ne se produit pas sur les scènes européennes. Mais cette démarche rejoint tous les combats de la langue, notamment celui que les nationalistes et l’assemblée de Corse mènent pour un statut officiel de la langue corse et pour son enseignement. Elle s’inscrit dans une continuité historique. On ne peut pas revendiquer la sauvegarde d’une langue si on n’arrive pas à sauver le chant et tout ce qui porte la langue : les rapports humains, les faits sociétaux, la culture, les savoirs, les pratiques… tout ce patrimoine immatériel qui, demain, peut tomber dans le silence de l’histoire, si on n’arrive pas à le mettre en lumière et à le faire reconnaître.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 
Pour signer la pétition, aller sur change.org, Chjam’è Rispondi