Saveriu Luciani, conseiller territorial de Femu a Corsica, entouré de Professori Filippo De Curtis et Giuseppe Lima, du Département Agriculture, environnement et aliments, de l'Università degli Studi del Molise à Campobasso.
- Pourquoi avez-vous tenu à assister au symposium de Gallipoli ?
- Notre déplacement à Gallipoli, dans cette région du Salento durement touchée par la bactérie Xylella fastidiosa, a, d’une part, une valeur hautement symbolique. Elle marque, d’autre part, notre détermination totale dans la lutte qui s’engage pour éviter une probable propagation au reste de l’Italie, à la Corse et au pourtour méditerranéen. Avec des membres du collectif et de l’ODARC, nous sommes venus évaluer au mieux la situation critique que l’on connait, dans l’espace contaminé autour de Gallipoli, mais surtout pour échanger avec les scientifiques internationaux et les élus italiens.
- L’avez-vous fait ?
- Oui. Nous avons rencontré nos voisins sardes, qui n’ont effectué que quelques dizaines de contrôles entre janvier et avril 2014, les universitaires locaux, notamment ceux de l’université de Bari, mais aussi les représentants des organismes européens EFSA et EPPO, très inquiets sur le sujet. Ensemble, nous avons commencé à réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour tenter d'enrayer et de réduire la progression d'une xylella fastidiosa qui s’annonce comme une véritable catastrophe sanitaire et économique pour tout le continent européen.
- Qu’avez-vous retiré de ce symposium ?
- Le symposium n’a fait que confirmer nos craintes, quant au développement rapide du « Complesso di dissicamento rapido di l'olivo » (CODIRO) dans cette presqu’ile du Salento. Il nous a aussi permis de collecter des renseignements essentiels pour la recherche, notamment des données scientifiques sur l'historique de son long cheminement, depuis la fin du 19ème siècle dans les vignes californiennes (« Maladie de Pierce »), puis en Amérique Centrale et au Brésil, jusqu’à son implantation et son évolution dans cette partie du « sud du sud de l’Italie », causée vraisemblablement par l’introduction de végétaux en provenance du Costa Rica. À la lumière des nombreuses interventions de ce symposium de Gallipoli, notamment du grand spécialiste américain, le professeur Purcell, le constat n’est guère rassurant. Cette « maladie de Pierce », détectée aux Etats-Unis, il y a plus d’un siècle, n'a pu être éradiquée et s’est étendue à 27 Etats.
- Qu’avez-vous appris des Italiens ?
- Côté italien, il est clair, désormais, que la détection de la bactérie ne date pas d’octobre 2013, comme on l’a souvent dit. Les témoignages multiples recueillis sur le terrain lèvent l’équivoque : ce fléau est présent dans les oliveraies depuis le milieu des années 2000. S’il ravage pour l’heure le Salento, il menace une région qui compte 50 millions d'oliviers (360 000 hectares). L’olivier est ici le symbole d’un patrimoine multiséculaire et constitue une activité économique vitale. Les conférenciers n’ont fait que confirmer ce que nous savions déjà, à savoir le danger d’infection d’autres régions dans de courts délais, si la réaction reste ce qu’elle est. Alors que l’on nous parlait, il y a quelques jours encore, d’une zone de confinement de 30 000 hectares autour de Gallipoli, aujourd'hui, la région Pouilles décrète l'isolement, par un cordon sanitaire, de la quasi-totalité de la presqu'île salentina, de l'Adriatique au golfe de Tarente, soit la province de Lecce toute entière.
- Que pensez-vous du plan d’action mis en place dans les Pouilles ?
- Tous les spécialistes dénoncent l’énorme retard de la réaction institutionnelle et les carences dans la mise en œuvre du dispositif actuel. En un an, la région Puglia n’a consacré qu’une enveloppe dérisoire de 360 000 euros à l’opération. Même si l’année 2015 devrait être plus dense avec le concours de l’Etat italien, ne sera engagé qu’un budget d’à peine 6 millions d’euros. La lueur d’espoir, c’est la volonté exprimée par l’Europe de saisir ce problème à bras-le-corps en intervenant massivement dès le plan d’action retenu par l’Italie. Mais pour l’heure, sur le terrain, ce manque d’implication n’est pas sans effets négatifs. Les oléiculteurs salentins désemparés, parfois même désespérés, attendent vainement une politique sanitaire qui ne vient pas ! Certains cèdent leur terrain infecté, c'est-à-dire leur seul patrimoine. A cette situation, s’ajoutent un manque flagrant d'information et des comportements à risque qui perdurent. Les pépinières locales continuent de vendre des oliviers qui franchissent, sans encombre, la « barrière » sanitaire ! Nous assistons, en fin de compte, à l'anéantissement de tout ce qui fait l'identité du Salento depuis l'Antiquité et au risque majeur d’une propagation galopante de la bactérie.
- Revenez-vous plus inquiet ?
- Je reste profondément marqué par tous ces paysages dévastés et je demeure perplexe face au peu de volonté politique et à l’inefficacité des moyens engagés là-bas. De cette curieuse impression de catastrophe irréversible pour les oliviers du Salento, l’élu de la Corse, que je suis, s’interroge sur les possibles conséquences dramatiques pour notre territoire. Cette situation constatée dans la province de Lecce dicte notre seule alternative : nous devons, dans des délais rapprochés, engager une action politique forte pour éviter que ce qui arrive aujourd’hui à l’olivier de Gallipoli n’arrive demain à l’olivier de la Corse. C’est déjà, pour l’activité agricole elle-même et, au-delà, pour tout notre couvert végétal et notre environnement, une question de vie ou de mort. En ce sens, le symposium a posé l’enjeu à son véritable niveau, celui de l’urgence dans un cadre européen. C’est le premier message que nous délivrerons à l’Assemblée de Corse (CTC) à notre retour.
- Quels autres messages délivrerez-vous ?
- Si l’action engagée au cœur du mois d’août dernier a marqué des points, mobilisant les professionnels et alertant l’opinion publique, elle doit se poursuivre en s’amplifiant dès les prochains jours. Préalablement à notre participation à ce symposium, et nous remercions ici de son initiative le Président de l’ODARC, nous avons accentué, au gré des réunions, la pression sur les services de l'Etat, seuls compétents en matière de politique sanitaire. Cette action s’est traduite politiquement par une question orale et une motion du groupe Femu A Corsica, votée à l'unanimité à la CTC lors de la session de septembre dernier. Face à un arrêté préfectoral très nettement insuffisant et gardant en mémoire les épisodes douloureux du cynips du châtaignier et de la fièvre catarrhale, cette motion préconisait la mise en œuvre d’une série de mesures indispensables. Des demandes que nous réitérons, à savoir, en premier lieu, obtenir une dérogation de l’Europe afin de mettre en place une politique phytosanitaire efficace.
- Quelles actions préconisez-vous ?
- Notre intention est d’interpeler rapidement le Commissaire européen en charge de la politique agricole, notamment sur notre demande de blocus des importations, au moins pendant la transition, le temps de structurer un dispositif de protection efficace. Pour le reste, nous continuons à exiger le renforcement des contrôles avec des moyens humains appropriés et l’obligation absolue de la traçabilité des végétaux importés, au-delà des simples passeports phytosanitaires européens. Nous demandons que l’entrée des importations végétales soit concentrée dans seulement deux ports corses avec établissement d’une zone de quarantaine dans l’enceinte portuaire. Nous proposons, aussi, le développement à terme d’un plan de développement de la production de plants au niveau territorial, etc. À chì hà tempu ùn aspetti tempu ! Oui, il n’y a plus de temps à perdre.
- Qu’allez-vous faire maintenant ?
- D’abord, le 30 octobre prochain, lors de la prochaine session de la CTC, Femu A Corsica demandera la mise en œuvre d’un diagnostic sanitaire territorial afin d’infirmer ou de confirmer la présence sur l’île de la bactérie xylella fastidiosa. Cela pourrait passer par la création d’une cellule de veille regroupant notamment les instances politiques, y compris l’ODARC et l’OEC, et professionnelles avec l’INRA et l’Università di Corsica, en lien permanent avec l'ANSES et l'EFSA. Ensuite, nous demanderons, de la même manière, l’activation, dès ce mois de novembre, d’un plan d’action d’envergure sur les bases édictées plus haut, plan prévoyant une campagne d’information et de sensibilisation symbolisée par la diffusion d’un manifeste. Enfin, dans le cadre de la négociation sur le nouveau statut de la Corse, nous poserons, au plan politique, la question de la compétence sanitaire. L’objectif sera d’obtenir un régime phytosanitaire insulaire spécifique et pérenne. La Corse ne peut plus rester démunie comme elle l’est aujourd’hui ! Notre responsabilité d’élus implique, d’ores et déjà, que nous nous projetions dans l’avenir, pour anticiper l’après-xylella.
Propos recueillis par Nicole MARI
ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
EFSA : Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority). Agence européenne indépendante, financée par le budget de l’Union européenne (UE) qui fonctionne séparément de la Commission européenne, du Parlement européen et des États membres. C’est la pierre angulaire de l'UE en ce qui concerne l'évaluation des risques relatifs à la sécurité des aliments destinés à l'alimentation humaine et animale. En étroite collaboration avec les autorités nationales et en consultation ouverte avec les parties prenantes, l'EFSA fournit des avis scientifiques indépendants et une communication claire sur les risques existants et émergents.
- Notre déplacement à Gallipoli, dans cette région du Salento durement touchée par la bactérie Xylella fastidiosa, a, d’une part, une valeur hautement symbolique. Elle marque, d’autre part, notre détermination totale dans la lutte qui s’engage pour éviter une probable propagation au reste de l’Italie, à la Corse et au pourtour méditerranéen. Avec des membres du collectif et de l’ODARC, nous sommes venus évaluer au mieux la situation critique que l’on connait, dans l’espace contaminé autour de Gallipoli, mais surtout pour échanger avec les scientifiques internationaux et les élus italiens.
- L’avez-vous fait ?
- Oui. Nous avons rencontré nos voisins sardes, qui n’ont effectué que quelques dizaines de contrôles entre janvier et avril 2014, les universitaires locaux, notamment ceux de l’université de Bari, mais aussi les représentants des organismes européens EFSA et EPPO, très inquiets sur le sujet. Ensemble, nous avons commencé à réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour tenter d'enrayer et de réduire la progression d'une xylella fastidiosa qui s’annonce comme une véritable catastrophe sanitaire et économique pour tout le continent européen.
- Qu’avez-vous retiré de ce symposium ?
- Le symposium n’a fait que confirmer nos craintes, quant au développement rapide du « Complesso di dissicamento rapido di l'olivo » (CODIRO) dans cette presqu’ile du Salento. Il nous a aussi permis de collecter des renseignements essentiels pour la recherche, notamment des données scientifiques sur l'historique de son long cheminement, depuis la fin du 19ème siècle dans les vignes californiennes (« Maladie de Pierce »), puis en Amérique Centrale et au Brésil, jusqu’à son implantation et son évolution dans cette partie du « sud du sud de l’Italie », causée vraisemblablement par l’introduction de végétaux en provenance du Costa Rica. À la lumière des nombreuses interventions de ce symposium de Gallipoli, notamment du grand spécialiste américain, le professeur Purcell, le constat n’est guère rassurant. Cette « maladie de Pierce », détectée aux Etats-Unis, il y a plus d’un siècle, n'a pu être éradiquée et s’est étendue à 27 Etats.
- Qu’avez-vous appris des Italiens ?
- Côté italien, il est clair, désormais, que la détection de la bactérie ne date pas d’octobre 2013, comme on l’a souvent dit. Les témoignages multiples recueillis sur le terrain lèvent l’équivoque : ce fléau est présent dans les oliveraies depuis le milieu des années 2000. S’il ravage pour l’heure le Salento, il menace une région qui compte 50 millions d'oliviers (360 000 hectares). L’olivier est ici le symbole d’un patrimoine multiséculaire et constitue une activité économique vitale. Les conférenciers n’ont fait que confirmer ce que nous savions déjà, à savoir le danger d’infection d’autres régions dans de courts délais, si la réaction reste ce qu’elle est. Alors que l’on nous parlait, il y a quelques jours encore, d’une zone de confinement de 30 000 hectares autour de Gallipoli, aujourd'hui, la région Pouilles décrète l'isolement, par un cordon sanitaire, de la quasi-totalité de la presqu'île salentina, de l'Adriatique au golfe de Tarente, soit la province de Lecce toute entière.
- Que pensez-vous du plan d’action mis en place dans les Pouilles ?
- Tous les spécialistes dénoncent l’énorme retard de la réaction institutionnelle et les carences dans la mise en œuvre du dispositif actuel. En un an, la région Puglia n’a consacré qu’une enveloppe dérisoire de 360 000 euros à l’opération. Même si l’année 2015 devrait être plus dense avec le concours de l’Etat italien, ne sera engagé qu’un budget d’à peine 6 millions d’euros. La lueur d’espoir, c’est la volonté exprimée par l’Europe de saisir ce problème à bras-le-corps en intervenant massivement dès le plan d’action retenu par l’Italie. Mais pour l’heure, sur le terrain, ce manque d’implication n’est pas sans effets négatifs. Les oléiculteurs salentins désemparés, parfois même désespérés, attendent vainement une politique sanitaire qui ne vient pas ! Certains cèdent leur terrain infecté, c'est-à-dire leur seul patrimoine. A cette situation, s’ajoutent un manque flagrant d'information et des comportements à risque qui perdurent. Les pépinières locales continuent de vendre des oliviers qui franchissent, sans encombre, la « barrière » sanitaire ! Nous assistons, en fin de compte, à l'anéantissement de tout ce qui fait l'identité du Salento depuis l'Antiquité et au risque majeur d’une propagation galopante de la bactérie.
- Revenez-vous plus inquiet ?
- Je reste profondément marqué par tous ces paysages dévastés et je demeure perplexe face au peu de volonté politique et à l’inefficacité des moyens engagés là-bas. De cette curieuse impression de catastrophe irréversible pour les oliviers du Salento, l’élu de la Corse, que je suis, s’interroge sur les possibles conséquences dramatiques pour notre territoire. Cette situation constatée dans la province de Lecce dicte notre seule alternative : nous devons, dans des délais rapprochés, engager une action politique forte pour éviter que ce qui arrive aujourd’hui à l’olivier de Gallipoli n’arrive demain à l’olivier de la Corse. C’est déjà, pour l’activité agricole elle-même et, au-delà, pour tout notre couvert végétal et notre environnement, une question de vie ou de mort. En ce sens, le symposium a posé l’enjeu à son véritable niveau, celui de l’urgence dans un cadre européen. C’est le premier message que nous délivrerons à l’Assemblée de Corse (CTC) à notre retour.
- Quels autres messages délivrerez-vous ?
- Si l’action engagée au cœur du mois d’août dernier a marqué des points, mobilisant les professionnels et alertant l’opinion publique, elle doit se poursuivre en s’amplifiant dès les prochains jours. Préalablement à notre participation à ce symposium, et nous remercions ici de son initiative le Président de l’ODARC, nous avons accentué, au gré des réunions, la pression sur les services de l'Etat, seuls compétents en matière de politique sanitaire. Cette action s’est traduite politiquement par une question orale et une motion du groupe Femu A Corsica, votée à l'unanimité à la CTC lors de la session de septembre dernier. Face à un arrêté préfectoral très nettement insuffisant et gardant en mémoire les épisodes douloureux du cynips du châtaignier et de la fièvre catarrhale, cette motion préconisait la mise en œuvre d’une série de mesures indispensables. Des demandes que nous réitérons, à savoir, en premier lieu, obtenir une dérogation de l’Europe afin de mettre en place une politique phytosanitaire efficace.
- Quelles actions préconisez-vous ?
- Notre intention est d’interpeler rapidement le Commissaire européen en charge de la politique agricole, notamment sur notre demande de blocus des importations, au moins pendant la transition, le temps de structurer un dispositif de protection efficace. Pour le reste, nous continuons à exiger le renforcement des contrôles avec des moyens humains appropriés et l’obligation absolue de la traçabilité des végétaux importés, au-delà des simples passeports phytosanitaires européens. Nous demandons que l’entrée des importations végétales soit concentrée dans seulement deux ports corses avec établissement d’une zone de quarantaine dans l’enceinte portuaire. Nous proposons, aussi, le développement à terme d’un plan de développement de la production de plants au niveau territorial, etc. À chì hà tempu ùn aspetti tempu ! Oui, il n’y a plus de temps à perdre.
- Qu’allez-vous faire maintenant ?
- D’abord, le 30 octobre prochain, lors de la prochaine session de la CTC, Femu A Corsica demandera la mise en œuvre d’un diagnostic sanitaire territorial afin d’infirmer ou de confirmer la présence sur l’île de la bactérie xylella fastidiosa. Cela pourrait passer par la création d’une cellule de veille regroupant notamment les instances politiques, y compris l’ODARC et l’OEC, et professionnelles avec l’INRA et l’Università di Corsica, en lien permanent avec l'ANSES et l'EFSA. Ensuite, nous demanderons, de la même manière, l’activation, dès ce mois de novembre, d’un plan d’action d’envergure sur les bases édictées plus haut, plan prévoyant une campagne d’information et de sensibilisation symbolisée par la diffusion d’un manifeste. Enfin, dans le cadre de la négociation sur le nouveau statut de la Corse, nous poserons, au plan politique, la question de la compétence sanitaire. L’objectif sera d’obtenir un régime phytosanitaire insulaire spécifique et pérenne. La Corse ne peut plus rester démunie comme elle l’est aujourd’hui ! Notre responsabilité d’élus implique, d’ores et déjà, que nous nous projetions dans l’avenir, pour anticiper l’après-xylella.
Propos recueillis par Nicole MARI
ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
EFSA : Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority). Agence européenne indépendante, financée par le budget de l’Union européenne (UE) qui fonctionne séparément de la Commission européenne, du Parlement européen et des États membres. C’est la pierre angulaire de l'UE en ce qui concerne l'évaluation des risques relatifs à la sécurité des aliments destinés à l'alimentation humaine et animale. En étroite collaboration avec les autorités nationales et en consultation ouverte avec les parties prenantes, l'EFSA fournit des avis scientifiques indépendants et une communication claire sur les risques existants et émergents.