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Scontri di a muntagna corsa : Une charte des estives pour relancer la transhumance en Corse


Nicole Mari le Samedi 15 Mars 2025 à 15:15

C’est à Piedicroce en Castagniccia, que se sont tenus, pendant deux jours, les 12 et 13 mars, i Scontri di a muntagna corsa 2025. Cette septième édition des assises annuelles des élus et des acteurs des territoires de montagne a été consacrée au pastoralisme, notamment à l’élaboration de la future charte de gestion des estives dont le but est de gérer les usages, de relancer la transhumance et de développer, à la fois, la production et le tourisme de l’Intérieur. L’occasion pour le Président du Comité de massif de Corse et conseiller exécutif, Jean-Félix Acquaviva, de présenter le résultat du travail effectué sur le terrain à travers des monographies par estive et de tracer des pistes d’actions concrètes.



L'estive sur le plateau du Cuscionu. Photo CNI.
L'estive sur le plateau du Cuscionu. Photo CNI.
- Pourquoi avoir focaliser cette nouvelle édition des Scontri di i muntagna sur les estives ?
- Nous avons présenté le rendu d’un travail colossal, un travail de fonds qui a été initié, il y a quatre ans, sur 20 estives de Corse. Lors de la création de la Commission des estives au sein du Comité de massif en 2019, le choix politique de la collectivité de Corse a été de s’orienter vers une charte territoriale de gestion des estives qui soit vertueuse. Notre but est de relancer le pastoralisme, de créer un équilibre avec d’autres usages pour éviter la prédation, la paillotisation, et, en même temps, de bâtir une économie de production en lien avec le tourisme. L’idée était d’établir un constat exhaustif réalisé sur plusieurs domaines et de sauver des données importantes sur le plan linguistique, patrimonial, toponymie et historique. Un groupement d’entreprise a répondu à l’appel d’offres lancé par la collectivité de Corse, via le Fonds Montagne. Il a permis d’effectuer sur quatre ans, à la fois, un recensement des données écrites à disposition et une enquête de terrain importante avec des comités locaux par estive qui se sont réunis une à deux fois avec tous les acteurs, les maires, les bergers, les agriculteurs et d’autres personnes ressource des villages concernés. Grâce à ce travail, une véritable monographie par estive a été réalisée.
 
- Que contiennent ces monographies ?
- Ces monographies sont des recueils de toute la macro-toponymie et la micro-toponymie en langue corse, incluant les bergeries, les vallées, les montagnes, les us et coutumes, les croyances et les rites sur plusieurs centaines d'années jusqu'à 1950 et de 1950 à nos jours. Aussi, évidemment, la réalisation des savoir-faire productifs selon les endroits. Elles incluent également un diagnostic foncier important avec la localisation des bergeries, des aires à blé, du petit patrimoine, mais aussi des sources, de la ressource fourragère et de son évolution avec l’intégration du changement climatique constaté sur les ressources hydrique et fourragère. Ainsi que les usages en termes de parcours des bêtes, historiquement et actuellement. Quelles sont les bergeries occupées et celles qui ne le sont pas ? Quels sont les usages touristiques ? Y-a-t-il la présence de sociétés de chasse selon les endroits ? Ce travail nous a permis de faire une typologie par estive, de quantifier, par l’enquête de terrain, la réalité de la transhumance aujourd’hui en Corse afin de préserver notre patrimoine et de le valoriser dans des politiques publiques, notamment éducatives, linguistiques, voir touristiques. Le rendu de l’étude a été saluée, y compris le sauvetage de notre trésor patrimonial, matériel et immatériel.
 
- Combien de bergers transhument aujourd’hui dans l’île ?
- Il y a aujourd’hui plus de 25 000 bêtes sur 100 000 et un quart des 667 bergers recensés qui transhument en Corse, ovins et caprins essentiellement, même si les bovins et les porcins sont identifiés dans l’étude. 35 nouveaux bergers voudraient transhumer, mais ne le font pas, faute de bergerie. Toutes ces données nous permettent de définir de manière plus précise le plan d’action à mettre en œuvre à travers cette charte territoriale des estives qui énoncera les principes généraux de notre politique territoriale et leurs déclinaisons par estive parce que chacune fonctionne de manière différente. Notre volonté est de relancer le pastoralisme tout en évitant la sur-fréquentation touristique, d’établir un équilibre entre tourisme rural et présence pastorale, aussi avec d’autres usages, et de créer avec les acteurs locaux les conditions d’une bonne gestion de la maîtrise du foncier. Enfin, d’avoir la capacité de réinsérer le berger comme gardien du territoire pour lutter contre les incendies, préserver les sites environnementaux et créer les conditions d’une relance de la production de bonne qualité avec des aménagements modernes de bergeries, de maîtrise foncière, qui permettent de revaloriser le métier et de le rendre plus attrayant.
 

Jean-Félix Acquaviva.
Jean-Félix Acquaviva.
- De quelle façon ?
- C’est un travail collectif qui doit regrouper les acteurs par massif et par estive, les communes et intercommunalités, la Collectivité de Corse et la Chambre régionale d’agriculture. L’idée est de structurer la politique touristique et agricole des estives et de créer la possibilité d’une gestion commune pour réaliser des aménagements tant sur le plan de l’investissement en eau que de la valorisation des bergers ou de l’autonomie énergétique. Une convergence est en train de s’opérer entre les divers ateliers sur le squelette d’une charte territoriale des estives, de ses principes généraux et de ses déclinaisons, qui doivent ensuite se décliner dans les soutiens financiers de la Collectivité de Corse et de ses priorités. Nous ferons des propositions de réglementation de l’urbanisme selon les endroits ou les usages afin d’être opérationnel et de faciliter la relance de la transhumance à des fins économiques, mais aussi sanitaires à l’heure du changement climatique qui doit être anticipé.
 
- Quelles actions concrètes sont programmées pour cette année 2025 ?
- Des actions ont déjà initié à travers des financements dans le premier Schéma montagne. Des bergeries ont déjà été rénovées, notamment dans l’Alta Rocca et le Giussani, avec l’installation de bergers en transhumance en 2024. Ce mouvement va s’accélérer. La première priorité est d’abord de conforter les estives déjà identifiées, en termes d’investissement de maîtrise foncière et hydrique, d’ouverture des milieux si besoin, et de rénovation des bergeries pour qu’elles soient confortables, y compris en tant qu’outils de production pour inciter la production en montagne pendant la période de transhumance. La deuxième priorité est de voir où les 35 bergers, qui se sont manifestés, pourront transhumer. Nous effectuerons des visites de terrain tout en décloisonnant les agences et offices sous l’angle de la politique de la montagne : l’AUE pour le volet énergétique avec le syndicat d’électrification, le CAUE pour l’aspect architectural, l’Office de l’Environnement et l’ODARC pour l’aspect environnemental et la maîtrise du foncier et de la technique agricole en termes d’outils à réaliser. Enfin, nous l’intégrerons dans la politique de Massif pour voir les financements que nous pouvons mobiliser. C’est un travail de concertation entre le comité de Massif, l’ODARC et la Chambre régionale agricole puisqu’il y a une convergence très forte qui s’opère aujourd’hui sur cette question.
 
- Comment concilier l’activité pastorale et le développement du tourisme dans une montagne qui est souvent, par endroit, sur-fréquentée pendant l’été ?
- L’idée est de rééquilibrer les sites sur-fréquentés pour irriguer les estives peu ou moins fréquentées à des fins de circuit cours. Selon les esquives se pose la question de l’aménagement de certains sites et de certains sentiers pour créer les conditions de boucle entre le GR20 par exemple et les estives proches. Se pose aussi la question de la gestion environnementale des lieux, notamment des équipements en matière de déchets. La question également d’organiser et de renforcer les circuits courts en créant les conditions pour que les refuges du Parc naturel, les restaurants autour des estives dans les vallées ou d’autres entités autour de l’estive puissent héberger, référencer et acheter des produits qui bénéficieraient d’une certification fermière beaucoup plus renforcée. Il y a aussi la question de la signalétique et de la valorisation du patrimoine matériel et immatériel autour du berger, qui est le gardien de ce patrimoine, et à travers des structures comme le Parc régional pour expliquer la toponymie des lieux-dits, l’histoire de ces lieux, des coutumes, des croyances et des savoir-faire. Il y a enfin la question pédagogique avec la relance des classes « Découverte montagne » qui intègre la notion linguistique pour sensibiliser sur les lieux de transhumance et sur la montagne. Une sensibilisation, à la fois, au métier de berger, mais aussi qui crée les conditions d’un tourisme éducatif. Ce sont quelques unes des pistes qui ont été évoquées de manière concrète et qui seront déclinées dans la charte et donc en plan d’action.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Les 7èmes Scontri di a muntagna corsa à Piedicroce.
Les 7èmes Scontri di a muntagna corsa à Piedicroce.