Fabienne Gérard, directrice de l’ANPAA de Haute-Corse, deux intervenantes du colloque : Claudine Legardinier, journaliste spécialisée, et Dr Marijo Taboada, psychiatre, des membres de l’ANPAA 2B et Dominique Nadaud, déléguée à la mission départementale aux droits des femmes et à l’égalité de Haute-Corse.
Alcool, tabac, drogues, médicaments, boulimie, achats compulsifs… Les femmes sont-elles plus vulnérables aux addictions ? Y-a-t-il une spécificité de l’addiction féminine ? Le regard sur les femmes est-il plus stigmatisant ? Ce sont trois des nombreuses questions auxquelles le colloque « Addiction au féminin, mythe, réalité, enjeux » a tenté de répondre jeudi avec des témoignages de femmes et trois interventions de Christime Latimier, médecin addictologue à Douar Nevez, du Dr Marijo Taboada, psychiatre et de Claudine Legardinier, journaliste spécialisée sur les droits de la femme et la prostitution. « L’addiction au féminin est une question que, pour l’instant, on ne se pose guère ou qu’on se pose, essentiellement, par rapport à la maternité, alors que la question des addictions est bien plus générale. Dans ce colloque, nous nous sommes interrogés sur quelles réalités et quels fantasmes peut générer l’addiction au féminin et s’il y-a-t-il oui ou non des spécificités ? », explique Dominique Nadaud, déléguée à la mission départementale aux droits des femmes et à l’égalité de Haute-Corse.
Une problématique rare
La problématique de l’addiction est généralement traitée de manière globale, sans considération de sexe, ni de genre. L’appréhender exclusivement au féminin est assez inhabituel. « Ce colloque, qui s’adressait à des professionnels, a été un temps de réflexion qui a apporté des expertises et des éclairages différents. Trois champs étaient représentés dans le public : le social, le médical et l’éducatif. Il y avait, aussi, des gendarmes et des conseillers de probation et d’insertion qui travaillent avec les détenus. Il s’agissait, pour eux, de s’interroger sur leurs pratiques et sur la façon d’aborder ces conduites addictives dans le cadre de leur travail » ajoute Dominique Nadaud. Si les études exclusivement basées sur les femmes sont récentes et assez rares, quelques certitudes s’en dégagent : Les femmes consomment beaucoup plus de tabac et de psychotropes et sont bien plus sujettes aux dépendances alimentaires (anorexie, boulimie), aux achats compulsifs et aux jeux d’argent…, alors que les hommes sont majoritaires quand il s’agit d’alcool. Ces comportements se dessinent dès l’adolescence, avec un tabagisme supérieur.
Plus de risques
Autre fait avéré : le recours à l’addiction génère souvent une plus grande exposition au risque. Les effets des produits sont bien plus rapides sur les femmes et le regard social, bien plus sévère. « Parce que souvent les femmes sont réduites à la dimension de mères. On se préoccupe surtout des addictions avant ou pendant la maternité. C’est assez réducteur ! La question transversale de ce colloque est, finalement, celle de l’égalité femme/homme dans tous les domaines, y compris celui de la santé. Se posent aussi la question des violences et celle des interactions entre l’addiction et le comportement », poursuit Mme Nadaud. « Il faut faire attention à ne pas avoir un prêt-à-penser. Par exemple, un parent en difficulté, en lien avec une addiction, est-il forcément un parent mal-aimant ou dangereux ? Pas forcément ! C’est beaucoup plus complexe et moins avéré », précise le Dr Marijo Taboada. Conséquence : les risques d’exclusion et de marginalisation sont bien plus grands. Ce tabou social freine, aussi, le recours aux soins qui est moins fréquent et plus tardif. Si, d’une manière générale, les femmes se montrent plus attentives que les hommes aux questions de santé, elles ont tendance à cacher leurs addictions et à reculer le moment de se faire soigner.
N.M.
Une problématique rare
La problématique de l’addiction est généralement traitée de manière globale, sans considération de sexe, ni de genre. L’appréhender exclusivement au féminin est assez inhabituel. « Ce colloque, qui s’adressait à des professionnels, a été un temps de réflexion qui a apporté des expertises et des éclairages différents. Trois champs étaient représentés dans le public : le social, le médical et l’éducatif. Il y avait, aussi, des gendarmes et des conseillers de probation et d’insertion qui travaillent avec les détenus. Il s’agissait, pour eux, de s’interroger sur leurs pratiques et sur la façon d’aborder ces conduites addictives dans le cadre de leur travail » ajoute Dominique Nadaud. Si les études exclusivement basées sur les femmes sont récentes et assez rares, quelques certitudes s’en dégagent : Les femmes consomment beaucoup plus de tabac et de psychotropes et sont bien plus sujettes aux dépendances alimentaires (anorexie, boulimie), aux achats compulsifs et aux jeux d’argent…, alors que les hommes sont majoritaires quand il s’agit d’alcool. Ces comportements se dessinent dès l’adolescence, avec un tabagisme supérieur.
Plus de risques
Autre fait avéré : le recours à l’addiction génère souvent une plus grande exposition au risque. Les effets des produits sont bien plus rapides sur les femmes et le regard social, bien plus sévère. « Parce que souvent les femmes sont réduites à la dimension de mères. On se préoccupe surtout des addictions avant ou pendant la maternité. C’est assez réducteur ! La question transversale de ce colloque est, finalement, celle de l’égalité femme/homme dans tous les domaines, y compris celui de la santé. Se posent aussi la question des violences et celle des interactions entre l’addiction et le comportement », poursuit Mme Nadaud. « Il faut faire attention à ne pas avoir un prêt-à-penser. Par exemple, un parent en difficulté, en lien avec une addiction, est-il forcément un parent mal-aimant ou dangereux ? Pas forcément ! C’est beaucoup plus complexe et moins avéré », précise le Dr Marijo Taboada. Conséquence : les risques d’exclusion et de marginalisation sont bien plus grands. Ce tabou social freine, aussi, le recours aux soins qui est moins fréquent et plus tardif. Si, d’une manière générale, les femmes se montrent plus attentives que les hommes aux questions de santé, elles ont tendance à cacher leurs addictions et à reculer le moment de se faire soigner.
N.M.
Un public composé de professionnels du champ social, médical et éducatif, des gendarmes, des conseillers de probation et d’insertion...
Fabienne Gérard : « Les femmes se sentent souvent plus coupables que les hommes »
- Pourquoi parle-t-on d’addiction féminine ?
- Parce qu’il existe, encore, dans la société, certaines représentations par rapport aux femmes et à leurs addictions. Ces représentations peuvent être stigmatisantes. Souvent, dans l’opinion populaire, la femme, alcoolique ou toxicomane, est considérée du point de vue de la mère, voire même comme une femme facile. C’est pour cela que nous avons proposé ce thème : « Addictions au féminin : mythe, réalité et enjeux ».
- Alors, l’addiction au féminin, est-ce un mythe ou une réalité ?
- Cela dépend de la position dans laquelle on se trouve ! Selon que l’on soit un professionnel, un proche ou la société, l’addiction sera réelle ou pas. Dans nos centres de soins, 2/3 des consultants sont des hommes, toutes addictions confondues. Si on différencie les addictions, ce ratio change. L’addiction à l’alcool concerne 2/3 d’hommes et 1/3 de femmes alors que celle du tabac touche 2/3 de femmes et 1/3 d’hommes. Cela ne veut pas dire que les femmes fument plus que les autres, cela veut juste dire qu’elles consultent plus. La majorité des personnes, qui viennent nous consulter pour des troubles alimentaires, sont des femmes alors que, pour les drogues illicites, ce sont des hommes.
- Si globalement 2/3 des consultants sont des hommes, y-a-il moins d’addiction chez les femmes ou les femmes consultent-elles moins que les hommes ?
- Nous ne savons pas justement ! Ce chiffre n’est pas révélateur. Nous savons seulement que les femmes attendent avant de venir consulter à cause des tabous et de la peur de cette représentation sociale. Nous savons néanmoins que les personnes incarcérées pour des actes commis sous l’emprise de produits illicites sont en grande majorité des hommes. L’addiction-violence est plutôt le fait des hommes, les femmes apparaissent en victimes.
- Quelle est la spécificité de cette addiction féminine ?
- Physiologiquement, les femmes vont subir des dommages plus rapides. Psychologiquement, ce sont souvent des femmes ayant eu un vécu difficile dans l’enfance avec des violences et un attachement insécure. C’est le profil des personnes que nous recevons.
- Le milieu social influe-t-il sur les addictions ?
- Oui, mais nous partons du principe que l’addiction n’est qu’un symptôme d’un mal-être en général. Le problème n’est pas vraiment ce que la personne va consommer, mais pourquoi elle le consomme et pourquoi en a-t-elle besoin pour vivre ou pour anesthésier une souffrance.
- Quelles sont les raisons les plus courantes qui déclenchent une addiction ?
- Chaque histoire est singulière. Ce sont des parcours de vie. L’addiction est la rencontre entre une personne, un produit et un contexte. C’est notre travail de comprendre ce qui déclenche une addiction quand la personne engage une démarche de soins chez nous. Notre équipe pluridisciplinaire, composée de médecins, psychologues, travailleurs sociaux et infirmières, commence le travail avec la personne, définit son attente, sa consommation et, surtout, la fonction de l’addiction dans sa vie. Est-ce anesthésiant ? Est-ce un moyen de faire taire une souffrance ou de surmonter des difficultés passagères ?
- Les addictions les plus spécifiquement féminines sont le tabac, les troubles alimentaires et les médicaments. Pourquoi pas l’alcool ou les drogues ?
- L’alcool est un produit très accessible, mais on voit rarement une femme boire toute seule au café ! C’est plus caché ! C’est une question de culture. De plus, une femme a besoin de peu d’alcool pour s’abîmer physiologiquement, alors qu’un homme a besoin de doses plus importantes.
- Y-a-t-il des différences en fonction de l’âge ?
- Non ! Sauf, au niveau de l’alcoolisation des jeunes. Les ivresses et le binge drinking, la biture-express, concernent autant les jeunes filles que les jeunes hommes.
- Les femmes sont-elles plus enclines aujourd’hui aux addictions ?
- C’est difficile de répondre. Les femmes osent plus venir se faire soigner aujourd’hui qu’hier, elles se cachent moins. Il y a peut-être moins de tabous. Mais les femmes ont, aussi, une pression de mères et se sentent souvent plus coupables que les autres. C’est le regard de la société qui déclenche cette culpabilité parce qu’une femme est une mère ou est amenée à devenir mère. Or, pour la société, une mère doit être parfaite, elle ne doit pas dysfonctionnée, ni être défaillante, alors qu’une femme peut être consommatrice de produits, comme le tabac, sans en être dépendante et assurer ses fonctions de mère.
- En Corse, peut-on mesurer l’ampleur de l’addiction féminine ?
- Au niveau des centres de soins, les chiffres sont les mêmes que sur le continent. Nous avons accueilli, en 2014 dans l’île, 1080 personnes dans le centre d’addictologie et plus de 100 personnes dans le centre de réduction des risques pour les usagers de drogue. Ces chiffres sont en progression, mais cela ne veut pas dire qu’il y a plus de problèmes. Ce n’est pas parce que les personnes consomment plus, mais parce qu’elles osent faire le pas de se soigner. Par contre, la demande d’anonymat et de non-stigmatisation est très importante, tant chez les femmes que chez les hommes.
- Quel est le phénomène qui se développe le plus dans l’île ?
- C’est le binge-drinking. Ce phénomène anglo-saxon, très médiatisé, qui est arrivé chez nous, il y a une dizaine d’années, est une autre façon de consommer l’alcool. La consommation a évolué, également, vers la poly-consommation, c’est-à-dire l’alcool associé à d’autres produits comme les drogues illicites. Les jeunes s’alcoolisent de façon très massive dans les beach-party, les festivals de musique, les soirées privées… Le jeune boit beaucoup, non parce qu’il aime l’alcool, mais parce qu’il veut obtenir un effet rapide. Le risque est de faire un malaise, un coma éthylique, des rapports sexuels non voulus ou non protégés, un accident de la route… L’alcool et la route sont la première cause de mortalité des 15-24 ans en France et en Corse.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Pourquoi parle-t-on d’addiction féminine ?
- Parce qu’il existe, encore, dans la société, certaines représentations par rapport aux femmes et à leurs addictions. Ces représentations peuvent être stigmatisantes. Souvent, dans l’opinion populaire, la femme, alcoolique ou toxicomane, est considérée du point de vue de la mère, voire même comme une femme facile. C’est pour cela que nous avons proposé ce thème : « Addictions au féminin : mythe, réalité et enjeux ».
- Alors, l’addiction au féminin, est-ce un mythe ou une réalité ?
- Cela dépend de la position dans laquelle on se trouve ! Selon que l’on soit un professionnel, un proche ou la société, l’addiction sera réelle ou pas. Dans nos centres de soins, 2/3 des consultants sont des hommes, toutes addictions confondues. Si on différencie les addictions, ce ratio change. L’addiction à l’alcool concerne 2/3 d’hommes et 1/3 de femmes alors que celle du tabac touche 2/3 de femmes et 1/3 d’hommes. Cela ne veut pas dire que les femmes fument plus que les autres, cela veut juste dire qu’elles consultent plus. La majorité des personnes, qui viennent nous consulter pour des troubles alimentaires, sont des femmes alors que, pour les drogues illicites, ce sont des hommes.
- Si globalement 2/3 des consultants sont des hommes, y-a-il moins d’addiction chez les femmes ou les femmes consultent-elles moins que les hommes ?
- Nous ne savons pas justement ! Ce chiffre n’est pas révélateur. Nous savons seulement que les femmes attendent avant de venir consulter à cause des tabous et de la peur de cette représentation sociale. Nous savons néanmoins que les personnes incarcérées pour des actes commis sous l’emprise de produits illicites sont en grande majorité des hommes. L’addiction-violence est plutôt le fait des hommes, les femmes apparaissent en victimes.
- Quelle est la spécificité de cette addiction féminine ?
- Physiologiquement, les femmes vont subir des dommages plus rapides. Psychologiquement, ce sont souvent des femmes ayant eu un vécu difficile dans l’enfance avec des violences et un attachement insécure. C’est le profil des personnes que nous recevons.
- Le milieu social influe-t-il sur les addictions ?
- Oui, mais nous partons du principe que l’addiction n’est qu’un symptôme d’un mal-être en général. Le problème n’est pas vraiment ce que la personne va consommer, mais pourquoi elle le consomme et pourquoi en a-t-elle besoin pour vivre ou pour anesthésier une souffrance.
- Quelles sont les raisons les plus courantes qui déclenchent une addiction ?
- Chaque histoire est singulière. Ce sont des parcours de vie. L’addiction est la rencontre entre une personne, un produit et un contexte. C’est notre travail de comprendre ce qui déclenche une addiction quand la personne engage une démarche de soins chez nous. Notre équipe pluridisciplinaire, composée de médecins, psychologues, travailleurs sociaux et infirmières, commence le travail avec la personne, définit son attente, sa consommation et, surtout, la fonction de l’addiction dans sa vie. Est-ce anesthésiant ? Est-ce un moyen de faire taire une souffrance ou de surmonter des difficultés passagères ?
- Les addictions les plus spécifiquement féminines sont le tabac, les troubles alimentaires et les médicaments. Pourquoi pas l’alcool ou les drogues ?
- L’alcool est un produit très accessible, mais on voit rarement une femme boire toute seule au café ! C’est plus caché ! C’est une question de culture. De plus, une femme a besoin de peu d’alcool pour s’abîmer physiologiquement, alors qu’un homme a besoin de doses plus importantes.
- Y-a-t-il des différences en fonction de l’âge ?
- Non ! Sauf, au niveau de l’alcoolisation des jeunes. Les ivresses et le binge drinking, la biture-express, concernent autant les jeunes filles que les jeunes hommes.
- Les femmes sont-elles plus enclines aujourd’hui aux addictions ?
- C’est difficile de répondre. Les femmes osent plus venir se faire soigner aujourd’hui qu’hier, elles se cachent moins. Il y a peut-être moins de tabous. Mais les femmes ont, aussi, une pression de mères et se sentent souvent plus coupables que les autres. C’est le regard de la société qui déclenche cette culpabilité parce qu’une femme est une mère ou est amenée à devenir mère. Or, pour la société, une mère doit être parfaite, elle ne doit pas dysfonctionnée, ni être défaillante, alors qu’une femme peut être consommatrice de produits, comme le tabac, sans en être dépendante et assurer ses fonctions de mère.
- En Corse, peut-on mesurer l’ampleur de l’addiction féminine ?
- Au niveau des centres de soins, les chiffres sont les mêmes que sur le continent. Nous avons accueilli, en 2014 dans l’île, 1080 personnes dans le centre d’addictologie et plus de 100 personnes dans le centre de réduction des risques pour les usagers de drogue. Ces chiffres sont en progression, mais cela ne veut pas dire qu’il y a plus de problèmes. Ce n’est pas parce que les personnes consomment plus, mais parce qu’elles osent faire le pas de se soigner. Par contre, la demande d’anonymat et de non-stigmatisation est très importante, tant chez les femmes que chez les hommes.
- Quel est le phénomène qui se développe le plus dans l’île ?
- C’est le binge-drinking. Ce phénomène anglo-saxon, très médiatisé, qui est arrivé chez nous, il y a une dizaine d’années, est une autre façon de consommer l’alcool. La consommation a évolué, également, vers la poly-consommation, c’est-à-dire l’alcool associé à d’autres produits comme les drogues illicites. Les jeunes s’alcoolisent de façon très massive dans les beach-party, les festivals de musique, les soirées privées… Le jeune boit beaucoup, non parce qu’il aime l’alcool, mais parce qu’il veut obtenir un effet rapide. Le risque est de faire un malaise, un coma éthylique, des rapports sexuels non voulus ou non protégés, un accident de la route… L’alcool et la route sont la première cause de mortalité des 15-24 ans en France et en Corse.
Propos recueillis par Nicole MARI.