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À Ajaccio, la Corse est sortie du silence pour dire non à la mafia


le Samedi 8 Mars 2025 à 21:47

Ce samedi à Ajaccio, à l’appel des deux collectifs anti-mafia de l’île, une manifestation inédite a entrouvert une porte à travers laquelle anonymes, élus, acteurs associatifs ou représentants de la société civile ont entendu nommer le mal et libérer la parole d'une société corse qui ne veut plus céder aux pressions mafieuses.



(Photos : Paule Santoni)
(Photos : Paule Santoni)
Un rassemblement inédit. Par ce qu’il est venu dénoncer. Par le message que la société corse a souhaité envoyer en descendant dans la rue. À l’appel des deux collectifs anti-mafia de l’île, Massimu Susini et a Maffia nò, a vita iè, une manifestation était organisée ce samedi après-midi à Ajaccio sous le mot d’ordre « Assassini, Maffiosi : Fora ». Un mouvement qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes - 3000 selon les organisateurs, autour de 1500 selon les forces de l’ordre –, qu’ils anonymes, acteurs associatifs, représentants de la société civile, mais aussi élus issus des partis nationalistes, de droite et de gauche.

 

Si le nombre de manifestants peut sembler modeste face à ce qui était espéré, cinq ans après la création des deux collectifs anti-mafia, premiers actes de résistance au joug de la criminalité organisée qui enserre l’île depuis trop longtemps, cette mobilisation est toutefois venue entrouvrir une nouvelle porte : celle de la résistance de la population qui, frappée par de récents assassinats qui l’ont révolté, a décidé de sortir du silence.

« Malgré toutes les peaux de banane qu’on nous a jeté alors que l’on essayait d’organiser cette manifestation, beaucoup de Corses ont répondu à notre appel. Ce que nous venons de vivre est énorme », se réjouit Leo Battesti, du collectif a Maffia nò, a vita iè, à la fin du rassemblement, « Les gens qui étaient présents aujourd’hui sont venus dire non à la mafia, c’est quelque chose qui a été dur à dire pendant très longtemps. Désormais la parole s’est libérée. Cette manifestation va embrayer sur d’autres formes de présence ». De son côté, le fondateur du collectif Massimu Susini, Jean-Toussaint Plasenzotti enfonce le clou : « La peur est tellement forte en Corse que descendre dans la rue pour une manifestation contre la mafia c’est une manifestation de courage. Toutes les personnes qui sont venues ont vu qu’elles n’étaient pas seules, et en venant elles ont montré aux autres qu’elles n’étaient pas seules. C’est plus que symbolique, cela donne de la force à tout le monde ». 

Le préfet de Corse
Le préfet de Corse
 « La mafia il faut l’appeler comme tel »
Pour cheminer sur la voie de ce changement de paradigme, en début d'après-midi, après s’être rassemblés devant la gare de la cité impériale, les participants ont remonté le cours Napoléon avant de faire une première halte devant les grilles du Palais Lantivy, où le préfet de Corse, Jérôme Filippini attendait l’arrivée du cortège. Après les prises de paroles de deux membres des collectifs qui ont tour à tour dénoncé l’emprise mafieuse qui étreint l’île et les maux qu’elle cause, tout en appelant à mettre en place des solutions adaptées, le plus haut représentant de l’État sur l’île a à son tour pris le mégaphone pour tenir un discours inattendu, lors duquel il a avant mis fin à un débat sémantique. « La mafia il faut l’appeler comme tel », a-t-il affirmé, « La mafia, ce n’est pas simplement quelques personnes qui font leurs petites affaires. La mafia, c’est une ou plusieurs organisations qui veulent prendre le pouvoir. Mais dans une démocratie le pouvoir ne doit pas appartenir aux criminels, il doit appartenir aux institutions légitiment désignées par le peuple, c’est-à-dire aux élus désignés par la volonté populaire ». Plus tard, il expliquera qu’il est important de « ne pas tourner autour du pot ». « On a eu souvent des débats sémantiques pour savoir s’il fallait employer ce terme. Leoluca Orlando, l’ancien maire de Palerme, qui est venu ici la semaine dernière nous a dit que si on ne parle pas de mafia, on rend service à la mafia car ce qu’elle aime qu’on ne parle pas d’elle. Il faut le dire : il y a des organisations criminelles qui se comportent comme une mafia en Corse et qui lui font du mal » développera-t-il. 

Par ailleurs, le préfet a également tenu à affirmer haut et fort : « Compte tenu des relations parfois difficiles entre la Corse et la République, on peut comprendre qu’il y ait beaucoup de raison de se faire des reproches. Je dirai volontiers au nom de l’État tout le mal qu’on a pu faire dans le passé. Ceux qui sont en face de moi gagneront aussi à reconnaitre, comme certains l’ont fait, qu’eux n’ont pas toujours bien agi dans le passé. Mais le passé est le passé et nous avons maintenant le choix : soit la Corse, sa société, ses élus, et la République, c’est-à-dire l’État, la justice, apprennent à se faire confiance, se tiennent la main et alors nous arriverons à lutter contre le crime et à triompher de lui. Mais si nous ne nous faisons pas confiance, alors le crime a déjà gagné. Il s’est déjà logé depuis des années dans les interstices de cette défiance qu’il pouvait y avoir entre nous. Si nous travaillons ensemble, la Corse et l’État, nous pouvons triompher de la mafia ». Des mots inédits pour un préfet, que les collectifs qualifieront de « courageux ».

De nombreux jeunes étaient présents
De nombreux jeunes étaient présents

Lors d’une deuxième halte, cette fois devant les grilles de la Collectivité de Corse, les deux portes-parole des collectifs auront eux aussi des paroles pour appeler à l’action. Pour ne pas dire à une révolution contre la mafia. Jean-Toussaint Plasenzotti mettra ainsi en exergue le pouvoir d’intimidation « qui fait la puissance de la mafia », et demandera en parallèle un sursaut citoyen pour enfin déloger le crime d’un territoire où il s’est trop longtemps installé. Un appel qui sera reçu par les applaudissements nourris d'une foule réceptive. « Aujourd’hui, la Corse est infestée de mafieux. Cela, nous ne le tolérons pas », renchérira Léo Battesti. Afin d’appuyer son propos, le porte-parole d’a Maffia nò, a vita iè évoquera notamment l’imprégnation de la mafia dans la captation des marchés publics. Il dévoilera d’ailleurs qu’un récent incendie a visé les engins de chantier d’un entrepreneur du cortenais, qui avait remporté un marché public que certains auraient voulu s’accaparer.

Jean-Toussaint Plasenzotti et Léo Battesti
Jean-Toussaint Plasenzotti et Léo Battesti
"Des élus sous tension"
« La réalité de la Corse, c’est que nous avons des élus sous tension. Ils n’avouent jamais les pressions qu’ils subissent »,
soufflera-t-il en déplorant par ailleurs la peur et l’omertà encore bien présentes. Il évoquera ainsi les confidences de victimes de racket venues solliciter les collectifs. « Quelle est ma probabilité de survie si je porte plainte ? », les questionnera l’une d’elles. « Il faut qu’aujourd’hui on arrive à trouver des coupables, parce que l’impunité, ça suffit dans ce pays ! », lancera en écho Léo Battesti en invitant en parallèle à ne plus jamais parler le silence. « A Maffia tomba, u silenziu dinò », affirmait d’ailleurs une des deux banderoles en tête de cortège. 

Les réactions

Jérôme Filippini, préfet de Corse 
 
« Cette réaction populaire compte beaucoup, y compris pour l’action de l’État. En Corse en particulier il a pu y avoir dans le passé de la défiance et si l’État agissait seul sans la confiance de la société, alors on risquerait de pas être efficace et légitime. Avec cette confiance je pense qu’on va être beaucoup plus efficace et beaucoup plus légitime pour agir ».
 
 
Jean-Félix Acquaviva, représentant le conseil exécutif de Corse 
 
« Il était important pour nous d’être présents aujourd’hui parce que les collectifs sont l’émanation d’une volonté de la société civile de se prendre en main face aux pratiques mafieuses. Il y a eu un travail commun qui a été mené dans le cadre de la session extraordinaire de l’Assemblée de Corse qui a produit un premier rapport voté à l’unanimité. C’est un cheminement qui doit continuer, avec la détermination de lutte contre les pratiques mafieuses, qui ont été nommées clairement par les collectifs, mais aussi par le rapport adopté par l’Assemblée de Corse, et avec une volonté de dire que notre vision de la Corse libre, émancipée, autonome demain, est fidèle à celle de Pascal Paoli et de la Ghjustizia Paolina. Nous continuerons à nous mobiliser dans le cadre de ce chemin qui s’ouvre et quoi doit avoir des traductions quotidiennes en termes de politique ».


François Martinetti, secrétaire général de Femu a Corsica 
 
« C’était naturel pour nous d’être présents. Femu a Corsica, depuis son arrivée, a ouvert ce chemin avec ces débats qui ont été organisés à l’Assemblée et cette délibération qui a été votée à l’unanimité contre les pratiques mafieuses et pour une société apaisée et démocratique. Aujourd’hui c’est un cri important qui est lancé contre ces dérives et cette économie de la prédation ». 
 
 
Paul-Félix Benedetti, président du groupe Core in Fronte à l’Assemblée de Corse 
 
« C’est un engagement de la population contre la dérive mafieuse qui aujourd’hui asphyxie, tue la Corse et tue les Corses. J’espère le rejet des comportements malhonnêtes et malfaisants fera que collectivement on mettra au ban de la société tout ce qui est néfaste et qu’on régénérera une communauté corse sur des valeurs et sur un esprit qui normalement n’aurait jamais dû nous quitter ».
 
 
Marc-Antoine Leroy, secrétaire de la section PCF d’Ajaccio
 
« Il faut saluer le travail qui a été réalisé par les deux collectifs anti-mafia. Au PCF, nous nous sommes dits qu’il fallait donner de la force à ce mouvement. En tant que communistes, nous luttons pour une plus juste répartition des richesses et nous ne pouvons que condamner l’accaparement de la richesse des autres par une minorité, et ce en distillant la violence dans la société corse. Aujourd’hui le fait qu’il y ait eu du monde à cette manifestation est très intéressant. Il faut que la population soit un garde boue, notamment pour que les propositions qui ont été faites par le Garde des Sceaux la semaine dernière aillent jusqu’au bout, qu’on donne des moyens financiers et humains à la justice en Corse afin de pouvoir lutter efficacement contre la mafia ». 
 

Jean-François Bernardini, leader du groupe I Muvrini 
 
« C’était notre rôle d’artistes d’être là. La société corse est une société qui est harcelée, par quelques harceleurs qui font la loi. Il n’y a rien de plus anti-corse, de plus anti-citoyen, de plus anti-démocratique que la mafia. L’OPA mafieuse s’installe là où les risques juridique et le politique sont faibles. C’est le propre de la Corse. Cette OPA mafieuse modifie les comportements, elle impose un silence qui est politique, elle impose une peur. Aujourd’hui il y a une prise de conscience. Depuis la naissance des collectifs, il y a des justes qui se révoltent et qui disent que c’est possible quand les institutions, le politique, mais surtout le pouvoir du peuple fait entendre une voix qui résonne. Aujourd’hui il y a un sursaut citoyen, des milliers de gens s’en félicitent, c’est le début d’un long chemin ».