Gérald Darmanin en "éclaireur" du Président de la République les 13 et 14 septembre (Photo : Pascal Pochard-Casabianca/AFP)
- À l’issue de la visite de Gérald Darmanin, le président de l’Exécutif de Corse, Gilles Simeoni, a indiqué que « le principe d’un statut d’autonomie est acquis ». Comment analyser ces propos ?
- Cela signifierait que le mot « autonomie » ne pose pas intrinsèquement de problème au Président Macron et à son gouvernement. Cependant, la vraie question n’est pas celle du mot, mais celle du contenu, car il y a des dizaines de types d’autonomie régionale dans le monde. En France, l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie n’est pas celle de la Polynésie, qui n’est pas celle de Saint-Barthélemy, etc. On ne sait pas aujourd’hui comment le gouvernement conçoit l’autonomie de la Corse, mais celle-ci serait certainement un modèle unique.
- Le fait que Gérald Darmanin soit venu, selon ses termes, en « éclaireur » pour annoncer une visite très prochaine d’Emmanuel Macron avec une séquence politique est-il de bon augure pour la suite du processus de Beauvau qui semblait s’enliser depuis le vote du 5 juillet ?
- Si le pouvoir central avait réagi à ce vote dans les deux semaines, tout le monde aurait parlé de légèreté ou de position préétablie. C’est un sujet assez sérieux pour s’accorder deux mois de réflexion et ne pas aviser les acteurs par un discours télévisé. Gérald Darmanin a fait son travail en venant rencontrer les élus corses, leur livrer certains éléments et recueillir leurs sentiments. C’est ainsi que l’on peut affiner une position.
- Que pourrait-on attendre de prochaines annonces présidentielles ?
- Je ne crois pas qu’elles valideront intégralement la délibération de l’Assemblée de Corse du 5 juillet, mais le mystère reste grand. On parle beaucoup d’une exigence de consensus des élus corses, mais je vois assez mal comment elle pourrait être concrétisée. Considérer l’avis des minorités est indispensable, mais on peut difficilement postuler que les élus représentant 32% des suffrages détiennent autant voire plus – en ayant la possibilité de tout bloquer – d’influence que ceux qui représentent 68%.
On pourrait donc s’attendre à ce que le Président Macron défende une position intermédiaire entre les deux propositions présentées à l’Assemblée de Corse, mais l’éventail de possibilités est très large. Si le texte du groupe Un Soffiu Novu demandait un « statut d’autonomie » fondé sur un pouvoir d’adaptation législative, ce pouvoir ne pourrait s’exercer qu’au cas par cas, après habilitation du Parlement. C’est ce qui était déjà prévu dans les projets de loi constitutionnelle – retirés – de 2018 et 2019, et n’a quasiment aucune utilité dans les départements et régions d’outre-mer, lesquels en disposent depuis 2007. En rester là serait une grande faveur faite aux nationalistes les plus critiques, qui dénoncent depuis le début un dialogue creux et hypocrite.
- Depuis le début du processus de Beauvau et de la perspective d’une révision constitutionnelle, on entend de nombreux débats tourner autour de l’intégration de la Corse dans l’article 72-5 ou dans l’article 74, certains élus se montrant d’ailleurs farouchement opposés à cette dernière option. Qu’impliquerait l’une ou l’autre de ces possibilités ?
- L’article 72 concerne toutes les collectivités territoriales, mais particulièrement les métropolitaines, alors que l’article 74 concerne les collectivités d’outre-mer, qui sont les plus autonomes de la République. Cela étant, si la Corse était dotée d’une réelle autonomie législative, aucune des deux solutions ne serait idéale. L’autre hypothèse, défendue par la délibération du 5 juillet, consistant à inscrire le statut de la Corse dans un titre à part de la Constitution, aurait le mérite de la cohérence, mais la symbolique inquiète certains acteurs. En somme, il n’y a pas de solution parfaite. Rechercher la cohérence formelle est normal, mais je crois souhaitable de discuter d’abord du fond.
- Sans rien dévoiler de ce que pourront être les déclarations du Président de la République, en préambule de sa visite, Gérald Darmanin a tenu à reposer deux lignes rouges à cette potentielle évolution institutionnelle : la Corse dans la République et ne pas créer deux catégories de citoyens, tout en pointant le « champ des possibles » qui existe entre ces deux écueils. Par ce rappel, le ministre de l’Intérieur n’a-t-il toutefois pas éliminé certaines revendications portées dans le cadre de la motion votée le 5 juillet ?
- C’est essentiellement une façon de se justifier par avance de certains choix. L’indépendance n’a jamais été à l’ordre du jour. Quant à l’unité de la citoyenneté, tout dépend de la conception que l’on choisit d’en retenir. Selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi est la même pour tous et « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ». Sur cette base, aucun pouvoir d’adaptation législative ne saurait être délégué à des élus régionaux, même après habilitation préalable du Parlement. Inversement, en Polynésie, qui est jusqu’à preuve du contraire un territoire français, l’assemblée territoriale a adopté une loi du pays qui favorise l’accès à l’emploi des citoyens y résidant depuis un certain nombre d’années. La discrimination – qu’on la juge légitime ou pas – concerne plus de 40 métiers, ce qui n’empêche pas les Polynésiens de rester des citoyens français.
Là encore, il est probable que la position finale soit une position intermédiaire, d’autant que le Président est loin d’avoir les mains libres en matière de révision constitutionnelle. Non seulement il n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale, mais la majorité sénatoriale de droite a un pouvoir de veto et ne manquera pas de le faire valoir. Sur ce motif de l’unité de la citoyenneté, on peut effectivement s’attendre à ce que la reconnaissance du peuple corse, la co-officialité de la langue corse et le statut de résident soient écartés. Si tel est le cas, d’une part il faudra savoir si le gouvernement est capable de proposer et négocier des mesures fortes dans les matières concernées, et d’autre part la question du pouvoir normatif régional sera encore plus importante.
- Cela signifierait que le mot « autonomie » ne pose pas intrinsèquement de problème au Président Macron et à son gouvernement. Cependant, la vraie question n’est pas celle du mot, mais celle du contenu, car il y a des dizaines de types d’autonomie régionale dans le monde. En France, l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie n’est pas celle de la Polynésie, qui n’est pas celle de Saint-Barthélemy, etc. On ne sait pas aujourd’hui comment le gouvernement conçoit l’autonomie de la Corse, mais celle-ci serait certainement un modèle unique.
- Le fait que Gérald Darmanin soit venu, selon ses termes, en « éclaireur » pour annoncer une visite très prochaine d’Emmanuel Macron avec une séquence politique est-il de bon augure pour la suite du processus de Beauvau qui semblait s’enliser depuis le vote du 5 juillet ?
- Si le pouvoir central avait réagi à ce vote dans les deux semaines, tout le monde aurait parlé de légèreté ou de position préétablie. C’est un sujet assez sérieux pour s’accorder deux mois de réflexion et ne pas aviser les acteurs par un discours télévisé. Gérald Darmanin a fait son travail en venant rencontrer les élus corses, leur livrer certains éléments et recueillir leurs sentiments. C’est ainsi que l’on peut affiner une position.
- Que pourrait-on attendre de prochaines annonces présidentielles ?
- Je ne crois pas qu’elles valideront intégralement la délibération de l’Assemblée de Corse du 5 juillet, mais le mystère reste grand. On parle beaucoup d’une exigence de consensus des élus corses, mais je vois assez mal comment elle pourrait être concrétisée. Considérer l’avis des minorités est indispensable, mais on peut difficilement postuler que les élus représentant 32% des suffrages détiennent autant voire plus – en ayant la possibilité de tout bloquer – d’influence que ceux qui représentent 68%.
On pourrait donc s’attendre à ce que le Président Macron défende une position intermédiaire entre les deux propositions présentées à l’Assemblée de Corse, mais l’éventail de possibilités est très large. Si le texte du groupe Un Soffiu Novu demandait un « statut d’autonomie » fondé sur un pouvoir d’adaptation législative, ce pouvoir ne pourrait s’exercer qu’au cas par cas, après habilitation du Parlement. C’est ce qui était déjà prévu dans les projets de loi constitutionnelle – retirés – de 2018 et 2019, et n’a quasiment aucune utilité dans les départements et régions d’outre-mer, lesquels en disposent depuis 2007. En rester là serait une grande faveur faite aux nationalistes les plus critiques, qui dénoncent depuis le début un dialogue creux et hypocrite.
- Depuis le début du processus de Beauvau et de la perspective d’une révision constitutionnelle, on entend de nombreux débats tourner autour de l’intégration de la Corse dans l’article 72-5 ou dans l’article 74, certains élus se montrant d’ailleurs farouchement opposés à cette dernière option. Qu’impliquerait l’une ou l’autre de ces possibilités ?
- L’article 72 concerne toutes les collectivités territoriales, mais particulièrement les métropolitaines, alors que l’article 74 concerne les collectivités d’outre-mer, qui sont les plus autonomes de la République. Cela étant, si la Corse était dotée d’une réelle autonomie législative, aucune des deux solutions ne serait idéale. L’autre hypothèse, défendue par la délibération du 5 juillet, consistant à inscrire le statut de la Corse dans un titre à part de la Constitution, aurait le mérite de la cohérence, mais la symbolique inquiète certains acteurs. En somme, il n’y a pas de solution parfaite. Rechercher la cohérence formelle est normal, mais je crois souhaitable de discuter d’abord du fond.
- Sans rien dévoiler de ce que pourront être les déclarations du Président de la République, en préambule de sa visite, Gérald Darmanin a tenu à reposer deux lignes rouges à cette potentielle évolution institutionnelle : la Corse dans la République et ne pas créer deux catégories de citoyens, tout en pointant le « champ des possibles » qui existe entre ces deux écueils. Par ce rappel, le ministre de l’Intérieur n’a-t-il toutefois pas éliminé certaines revendications portées dans le cadre de la motion votée le 5 juillet ?
- C’est essentiellement une façon de se justifier par avance de certains choix. L’indépendance n’a jamais été à l’ordre du jour. Quant à l’unité de la citoyenneté, tout dépend de la conception que l’on choisit d’en retenir. Selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi est la même pour tous et « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ». Sur cette base, aucun pouvoir d’adaptation législative ne saurait être délégué à des élus régionaux, même après habilitation préalable du Parlement. Inversement, en Polynésie, qui est jusqu’à preuve du contraire un territoire français, l’assemblée territoriale a adopté une loi du pays qui favorise l’accès à l’emploi des citoyens y résidant depuis un certain nombre d’années. La discrimination – qu’on la juge légitime ou pas – concerne plus de 40 métiers, ce qui n’empêche pas les Polynésiens de rester des citoyens français.
Là encore, il est probable que la position finale soit une position intermédiaire, d’autant que le Président est loin d’avoir les mains libres en matière de révision constitutionnelle. Non seulement il n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale, mais la majorité sénatoriale de droite a un pouvoir de veto et ne manquera pas de le faire valoir. Sur ce motif de l’unité de la citoyenneté, on peut effectivement s’attendre à ce que la reconnaissance du peuple corse, la co-officialité de la langue corse et le statut de résident soient écartés. Si tel est le cas, d’une part il faudra savoir si le gouvernement est capable de proposer et négocier des mesures fortes dans les matières concernées, et d’autre part la question du pouvoir normatif régional sera encore plus importante.