Le savoir universitaire a-t-il sa place dans un jardin ? Depuis trois ans, l’Université de Corse répond par l’affirmative. Mieux : elle en fait un principe. Chaque dimanche, de mars à octobre, un enseignant-chercheur prend la parole au Parc Galea, à Tagliu Isulacciu, pour un échange ouvert avec le public. Le cycle, intitulé Ricerca – Les rendez-vous de l’Université, s’est imposé comme un temps fort de la médiation scientifique en Corse, au croisement de la recherche, de la transmission et du débat citoyen.
Lancé en 2022, Ricerca a déjà permis à plus de 80 enseignants-chercheurs de présenter leurs travaux au grand public. Pour l’Université de Corse, c’est une manière assumée de faire circuler la recherche au-delà du cadre académique, en s’adressant à tous les publics, de façon claire et directe. « L’une des missions fondamentales de l’Université, au-delà de l’enseignement et de la production scientifique, est la diffusion des connaissances auprès de la société. Et cette diffusion doit se faire partout, pas seulement sur les bancs de la fac », explique Yann Quilichini, vice-président « Sciences avec et pour la société » à l’Université de Corse.
Le format est simple : un grand entretien de 45 minutes mené chaque dimanche à 14 heures, en ouverture de la traditionnelle grande conférence du Parc Galea. Chaque prise de parole est assurée par un chercheur ou une chercheuse de l’Université, venu présenter un sujet de recherche de façon accessible.
Un partenariat construit avec le territoire
Le Parc Galea n’est pas un lieu neutre. Depuis plus de dix ans, ce site paysager accueille une programmation intellectuelle exigeante, où sont intervenus écrivains, climatologues, philosophes ou historiens de renom. « Le Parc dispose déjà d’un public fidèle, curieux, habitué aux conférences. Pour nous, c’est un formidable point d’appui. Il ne s’agissait pas de créer un événement ex nihilo, mais de s’inscrire dans un lieu vivant », explique le vice-président. Le partenariat entre le Parc et l’Université, reconduit pour trois ans en 2025, repose sur une convention solide. Mais Ricerca n’est qu’une facette d’un programme plus large. L’Université de Corse mène en parallèle des dizaines d’actions de diffusion scientifique à travers l’île : cafés-débats, expositions, interventions scolaires, ateliers participatifs… Et elle ne le fait pas seule. « Notre logique est partenariale. Nous ne voulons pas que l’Université parle dans le vide. Nous voulons qu’elle s’adresse au territoire, en travaillant avec celles et ceux qui l’animent : associations, institutions, collectivités, établissements culturels ».
Une parole qui compte
En creux, Ricerca raconte aussi une autre manière de faire université. Moins hiérarchique, moins verticale, plus poreuse. Une université qui n’attend pas qu’on vienne à elle, mais qui vient à vous. Les conférences proposées abordent d'ailleurs des sujets très variés : langue et culture corse, droit, écologie, énergies renouvelables, psychologie, mathématiques, histoire, intelligence artificielle… Mais derrière cette diversité disciplinaire, un même fil conducteur : créer un dialogue entre science et société, ancré dans les réalités corses. « La plupart des recherches menées à l’Université de Corse concernent des problématiques du territoire. Il est donc essentiel de restituer ces travaux à celles et ceux qui sont directement concernés. C’est aussi une manière d’inviter au débat, d’ouvrir des pistes de réflexion collective », explique Yann Quilichini.
Certaines interventions font écho à des enjeux très concrets : les résidences secondaires, les feux de forêt, la précarité énergétique ou l’inclusion scolaire. D’autres abordent des sujets de portée plus large : les minorités ethniques dans les médias, les algorithmes, la laïcité ou les effets des trous noirs. Ce choix d’une programmation riche et équilibrée vise à représenter toute la palette des savoirs universitaires, tout en restant accessible.
Une pratique assumée de la vulgarisation
S’adresser à un public non spécialisé n’est pas toujours un exercice familier pour les chercheurs. Pourtant, selon le vice-président, les enseignants de l’Université jouent le jeu avec intérêt. « Les conférenciers s’engagent très volontiers, y compris le dimanche. Il y a aujourd’hui une vraie culture de la médiation scientifique à l’Université de Corse. C’est un exercice qui demande de l’adaptation, mais qui est souvent très apprécié », observe Yann Quilichini.
Ce type d’intervention permet aussi de valoriser des disciplines moins visibles dans les médias, comme les sciences humaines et sociales, qui occupent une place importante dans le programme. « Il est essentiel que le public puisse entendre des travaux d’historiens, de linguistes, de juristes, de psychologues. Ces champs sont au cœur des grandes questions de société », rappelle-t-il.
Plus qu’un simple rendez-vous culturel, Ricerca traduit une ambition profonde : faire de l’Université un acteur pleinement intégré dans la vie insulaire. À travers ses laboratoires, ses enseignants et ses doctorants, l’Université de Corse produit des savoirs qui méritent d’être diffusés, débattus, appropriés. Et cette diffusion passe aussi, tout naturellement, par des lieux ouverts, des partenariats locaux, et des formats accessibles.
Le cycle Ricerca se poursuivra jusqu’au 26 octobre 2025, avec une dernière date consacrée à une scène ouverte pour les jeunes chercheurs de l’île : Ma thèse en 5 minutes. Une manière de clore la saison en laissant la parole à la relève, et de rappeler que la science, en Corse, est bien vivante. Et qu’elle est prête à se partager.