- Le processus de Beauvau est arrivé à son terme lundi soir avec un dernier rendez-vous entre Gérald Darmanin et les élus corses. Quel est votre sentiment sur ce processus ?
- C'est un processus qui s'est quand même passé un petit peu en vase clos entre les nationalistes et le ministère de l'Intérieur. La droite est au final venue, mais un peu en figurante. Preuve en est, Jean-Martin Mondoloni et Jean-Jacques Panunzi sont sur des lignes en forte divergence, pour ne pas dire en claire opposition, avec les conclusions. On a donc un peu l'impression d'un deal entre le ministère de l'Intérieur et les nationalistes sur une base qui est quand même très bizarre d'un point de vue juridique. Le texte est d’ailleurs rédigé de façon très baroque, avec des impératifs qui venaient de l'Élysée et du discours du Président de la République à Ajaccio.
- Justement, que pensez-vous du projet d'écriture constitutionnelle auquel ce dîner a permis d’aboutir ?
- Il y a trois alinéas qui interrogent. Tout d’abord, le premier alinéa du texte qui consacre cette « communauté insulaire, historique culturelle et linguistique », attachée à sa terre. On comprend bien ce qui a été la position du Président de la République : il s'agissait d'éviter la notion de peuple corse. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas un peuple corse d'un point de vue anthropologique ou culturel. Mais la notion de peuple se confond en droit constitutionnel français avec la notion de souverain. Si on reconnait un peuple corse, on reconnait qu'il y a un peuple corse à part du peuple français et donc on fait une rupture dans la souveraineté. Autrement dit, cela ouvre un droit à la sécession. Ce n'était pas acceptable pour l'Élysée. Emmanuel Macron a donc proposé de parler de cette communauté insulaire, historique culturelle et linguistique. Probablement est-ce une volonté de trouver un modus vivendi, mais on ouvre ici la porte à des choses encore plus inacceptables. En effet, la notion de communauté pose problème parce que la définition juridique du communautarisme, si on regarde la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, c'est « la reconnaissance de droits collectifs à des groupes définis par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ».Dès lors, soit on accepte qu'il y a une communauté culturelle corse et on accepte de reconnaitre toutes les autres communautés, et dans ce cas on rentre dans une logique de république communautariste, soit on hiérarchise les communautés, et c'est la définition juridique du racisme. En voulant synthétiser juridiquement des sentiments d'appartenance, on tombe sur des choses qui sont problématiques. Et encore une fois ce n'est pas nier l'existence réelle d'une culture corse ou même d'un peuple corse. Mais on parle de faire du droit, de constitutionnaliser. Par ailleurs, le troisième alinéa porte sur un pouvoir législatif, même si c’est encore ambigu dans le projet final. Or, l'unité de la loi et du législateur, c'est un principe qui est constitutionnellement posé et qui n'a pas connu d'exception depuis la nuit du 4 août 1789. C’est une garantie de l'égalité et un pendant de la liberté. L'égalité des citoyens implique que chaque citoyen concourt soit directement soit indirectement à la formulation de la loi qui est l'expression de la volonté générale. Mais si je vote pour un parlementaire ou si je vote dans le cadre d'un référendum pour une loi qui ne me sera pas appliquée, la loi peut devenir demain facteur d'oppression, parce que la communauté majoritaire peut oppresser une autre communauté à travers une règle qui ne serait pas générale, qui viserait seulement une partie de la population. Ce principe n’a connu que deux exceptions dans l'histoire : Vichy et la colonisation. Et donc, il y a là un vrai sujet. Cela ne signifie pas qu'on ne peut pas donner plus de compétences à la Collectivité de Corse, ou que dans le cadre des lois en vigueur, on ne peut pas même laisser de larges compétences aux collectivités en général. Mais l'unité du législateur est le principe de base sur lequel repose toutes les valeurs de la République. On cite beaucoup la Nouvelle-Calédonie, mais elle est justement un territoire colonial et est reconnue comme tel par l'ONU. Donc, ce serait comme transposer un statut colonial à la Corse, ce qui est évidemment très problématique. Enfin, le dernier alinéa sur la consultation pose aussi problème. Non pas que les Corses ne doivent pas être consultés, mais je ne comprends absolument pas le sens de cet alinéa. Soit la consultation arrive avant, auquel cas un texte qui prévoit une consultation qui vient d'avoir lieu avant qu’il ne s’applique n'a pas de sens. Soit elle a lieu après, mais on n'annule pas l'introduction d'une disposition constitutionnelle en se basant sur une consultation qui n'a pas de valeur juridique. Parle-t-on de la loi organique ? Dans ce cas, il est faux de dire que les Corses sont consultés sur le statut. Je n'ai pas d'opposition de principe sur cet alinéa, mais il est, je pense, assez emblématique d'un texte qui est juste mal ficelé et qui n’a ni queue ni tête. C'est à dire que prévoir ça dans le texte montre qu’on a lâché des symboles et que probablement Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a eu envie de refiler la patate chaude à l'Élysée et que, au fond, la cohérence du texte, n'a pas été la priorité.
- Ce texte, selon vous, serait donc attentatoire à l'unité de la République ?
- Oui c'est clairement attentatoire à l'unité de la République. L'unité de la République, c'est l'unité du souverain à travers l'unité du peuple et la non-segmentation du peuple en communautés d'appartenance comme le notait bien Robert Badinter dans le commentaire de sa décision de 1991. Et donc, on ne reconnaît pas le communautarisme, quel qu'il soit. Je ne dis pas que la démarche des Corses et même des nationalistes est communautariste, mais c'est ce qui est inscrit dans le texte. Ce n'est pas de leur faute d'ailleurs, c'est une formulation d'Emmanuel Macron. Mais en introduisant cet article, de facto on rompt en effet cette conception universaliste de la République. Et de l'autre côté, l'unité de la République, c'est l'unité de la loi, expression de la volonté générale, donc l'unité du législateur. On peut déléguer de larges pans de pouvoir réglementaire, mais la loi comme expression de la volonté générale est le marqueur de cette unité de la République. Donc, une fois qu’on sacrifie l'unité du peuple à travers une définition universaliste du peuple et l'unité du moyen d'expression du peuple à travers sa capacité à légiférer, on a en effet mis par terre toute la tradition universaliste de la République depuis 1789.
- Même si la Corse ne ressemble effectivement pas à la Nouvelle-Calédonie, elle ne ressemble pour autant à aucun autre territoire métropolitain, et les Corses se sont prononcés quand même plusieurs fois en faveur de l'autonomie…
- C'est un argument que je veux bien entendre, mais les Bretons vous diront que la Bretagne ne ressemble à aucun autre territoire métropolitain non plus. Chacun est persuadé qu'il y a des spécificités essentielles à son territoire. Quand on dit que la Corse est une île et que les autres îles de la Méditerranée ont un statut d'autonomie, pour moi c’est un faux argument. D'abord parce qu'il n'est pas vrai puisqu’il y a des îles de la Méditerranée qui n'ont pas de statut d'autonomie, je pense notamment aux îles grecques. Et si on enlève la Grèce, Malte et Chypre qui sont des États souverains, on n’a que deux États qui ont vraiment des îles en Méditerranée : l'Espagne et l'Italie. Ce qui est intéressant, c'est que les demandes d'autonomie ne partent pas des îles, mais plutôt du continent. Ce sont les Catalans et les Basques qui demandent un statut d'autonomie et de manière opportuniste d'autres régions vont demander le même statut. C'est le cas de l'Andalousie et c'est le cas des Baléares. Idem en Italie où la demande vient plutôt du Nord et où, face à la montée des autonomismes et des indépendantismes, on va céder des statuts de plus en plus particuliers dans lesquels la Sicile et la Sardaigne vont être pris, mais sans qu'il y ait une réflexion sur le caractère insulaire de ces territoires. Il y a des territoires plus singuliers en Italie que la Sardaigne et la Sicile, ne serait-ce qu'au Val d'Aoste. Donc, ce n’est pas parce qu’il y a des îles qu’il y forcément de l'autonomie. Pour moi, cet argument-là est un faux argument. C'est un peu un sophisme.
- Dans une tribune publiée mardi, le sénateur Panunzi lançait un avertissement en estimant qu’à la fin de ce processus, la Corse risque d’être perdante. Un point de vue que vous partagez ?
- Oui, je pense que la Corse risque d'être particulièrement perdante comme la République. Si vous prenez les 20 régions les plus pauvres de l'Union européenne lors de la crise de 2008, la seule qui ne voit pas son PIB s'effondrer et son taux de chômage s'envoler, c'est la Corse. Pourquoi ? Parce qu'il y a des logiques de péréquation de l’État qui passent par l'aménagement du territoire et des aides particulières à la Corse. Or, ce lien sera nécessairement coupé, comme c’est de plus en plus le cas en Grande Bretagne, et comme ça a été le cas en Espagne et en Italie. Au bout d'un moment, si un territoire vit sa vie de collectivité à statut particulier, il va se dire mais pourquoi est-ce que je paierais pour les autres ? Si vous prenez par exemple le projet de la Collectivité européenne d'Alsace de Frédéric Bierry, il a pour argument que les impôts des Alsaciens restent en Alsace. Autre exemple, l’un des slogans de la gauche catalane, l’ERC, ces derniers mois, c'était de dire « cessons de payer pour les Andalous ». Donc, il y a un moment où, si vous rentrez dans cette logique d'autonomisation, de surenchère identitaire, le risque fondamental, c'est de rompre les liens de solidarité nationale. Et si les Sardes, notamment, ne sont pas rentrés dans une logique de croissance de l'autonomisme, c'est aussi pour cela. In fine avec le mouvement que sont en train de lancer les nationalistes corses, dans 20 ans, ce sera la Corse qui en sera la première victime. La preuve en est qu’une des régions qui a le mieux saisi la balle au bond de la différenciation est la région Île de France en demandant des minimas sociaux particuliers. En Italie, au jeu de la course vers la différenciation et l’autonomie, c’est Milan et Barcelone qui ont gagné ; en France ce sera Paris.
- Pour vous, cette révision constitutionnelle n'a donc pas beaucoup de chances d'aboutir ?
- Objectivement, le texte est tellement mal ficelé, caricatural, avec cet alinéa premier qui est complètement dingue en ce qu’il constitutionnalise le communautarisme, qu’en l'état non, il n’aboutira pas à la virgule près, cela est clair. Si jamais il doit y avoir une majorité pour voter cette révision constitutionnelle au Parlement, ce sera probablement avec un texte qui sera une version largement amendée et dans laquelle l'alinéa premier aura vu la suppression de la notion de « communauté insulaire, historique culturelle et linguistique », et dans laquelle le pouvoir législatif sera probablement supprimé en tant que tel. Mais là, vu le contenu du texte, j’ai du mal à penser que la représentation nationale puisse l’adopter, car cela veut dire qu'on passerait cinq fois toutes les lignes rouges posées tant à gauche qu'à droite. Les seuls qui appuient visiblement le texte aujourd'hui, ce sont les Verts et La France Insoumise avec un positionnement de Jean-Luc Mélenchon et Éric Coquerel, ce qui n'engage pas forcément le cœur de tous les militants. Même au sein de la majorité présidentielle, ce ne sera pas simple. En revanche, pour les autres formations, je ne les vois vraiment pas voter ce texte. Donc, j'ai du mal à envisager le parcours parlementaire d'un tel texte. Ou alors une version vraiment amendée, mais qui reviendrait probablement à ce qu’Emmanuel Macron pouvait promettre lors de son discours de Bastia en 2018.
- C'est un processus qui s'est quand même passé un petit peu en vase clos entre les nationalistes et le ministère de l'Intérieur. La droite est au final venue, mais un peu en figurante. Preuve en est, Jean-Martin Mondoloni et Jean-Jacques Panunzi sont sur des lignes en forte divergence, pour ne pas dire en claire opposition, avec les conclusions. On a donc un peu l'impression d'un deal entre le ministère de l'Intérieur et les nationalistes sur une base qui est quand même très bizarre d'un point de vue juridique. Le texte est d’ailleurs rédigé de façon très baroque, avec des impératifs qui venaient de l'Élysée et du discours du Président de la République à Ajaccio.
- Justement, que pensez-vous du projet d'écriture constitutionnelle auquel ce dîner a permis d’aboutir ?
- Il y a trois alinéas qui interrogent. Tout d’abord, le premier alinéa du texte qui consacre cette « communauté insulaire, historique culturelle et linguistique », attachée à sa terre. On comprend bien ce qui a été la position du Président de la République : il s'agissait d'éviter la notion de peuple corse. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas un peuple corse d'un point de vue anthropologique ou culturel. Mais la notion de peuple se confond en droit constitutionnel français avec la notion de souverain. Si on reconnait un peuple corse, on reconnait qu'il y a un peuple corse à part du peuple français et donc on fait une rupture dans la souveraineté. Autrement dit, cela ouvre un droit à la sécession. Ce n'était pas acceptable pour l'Élysée. Emmanuel Macron a donc proposé de parler de cette communauté insulaire, historique culturelle et linguistique. Probablement est-ce une volonté de trouver un modus vivendi, mais on ouvre ici la porte à des choses encore plus inacceptables. En effet, la notion de communauté pose problème parce que la définition juridique du communautarisme, si on regarde la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, c'est « la reconnaissance de droits collectifs à des groupes définis par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ».Dès lors, soit on accepte qu'il y a une communauté culturelle corse et on accepte de reconnaitre toutes les autres communautés, et dans ce cas on rentre dans une logique de république communautariste, soit on hiérarchise les communautés, et c'est la définition juridique du racisme. En voulant synthétiser juridiquement des sentiments d'appartenance, on tombe sur des choses qui sont problématiques. Et encore une fois ce n'est pas nier l'existence réelle d'une culture corse ou même d'un peuple corse. Mais on parle de faire du droit, de constitutionnaliser. Par ailleurs, le troisième alinéa porte sur un pouvoir législatif, même si c’est encore ambigu dans le projet final. Or, l'unité de la loi et du législateur, c'est un principe qui est constitutionnellement posé et qui n'a pas connu d'exception depuis la nuit du 4 août 1789. C’est une garantie de l'égalité et un pendant de la liberté. L'égalité des citoyens implique que chaque citoyen concourt soit directement soit indirectement à la formulation de la loi qui est l'expression de la volonté générale. Mais si je vote pour un parlementaire ou si je vote dans le cadre d'un référendum pour une loi qui ne me sera pas appliquée, la loi peut devenir demain facteur d'oppression, parce que la communauté majoritaire peut oppresser une autre communauté à travers une règle qui ne serait pas générale, qui viserait seulement une partie de la population. Ce principe n’a connu que deux exceptions dans l'histoire : Vichy et la colonisation. Et donc, il y a là un vrai sujet. Cela ne signifie pas qu'on ne peut pas donner plus de compétences à la Collectivité de Corse, ou que dans le cadre des lois en vigueur, on ne peut pas même laisser de larges compétences aux collectivités en général. Mais l'unité du législateur est le principe de base sur lequel repose toutes les valeurs de la République. On cite beaucoup la Nouvelle-Calédonie, mais elle est justement un territoire colonial et est reconnue comme tel par l'ONU. Donc, ce serait comme transposer un statut colonial à la Corse, ce qui est évidemment très problématique. Enfin, le dernier alinéa sur la consultation pose aussi problème. Non pas que les Corses ne doivent pas être consultés, mais je ne comprends absolument pas le sens de cet alinéa. Soit la consultation arrive avant, auquel cas un texte qui prévoit une consultation qui vient d'avoir lieu avant qu’il ne s’applique n'a pas de sens. Soit elle a lieu après, mais on n'annule pas l'introduction d'une disposition constitutionnelle en se basant sur une consultation qui n'a pas de valeur juridique. Parle-t-on de la loi organique ? Dans ce cas, il est faux de dire que les Corses sont consultés sur le statut. Je n'ai pas d'opposition de principe sur cet alinéa, mais il est, je pense, assez emblématique d'un texte qui est juste mal ficelé et qui n’a ni queue ni tête. C'est à dire que prévoir ça dans le texte montre qu’on a lâché des symboles et que probablement Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a eu envie de refiler la patate chaude à l'Élysée et que, au fond, la cohérence du texte, n'a pas été la priorité.
- Ce texte, selon vous, serait donc attentatoire à l'unité de la République ?
- Oui c'est clairement attentatoire à l'unité de la République. L'unité de la République, c'est l'unité du souverain à travers l'unité du peuple et la non-segmentation du peuple en communautés d'appartenance comme le notait bien Robert Badinter dans le commentaire de sa décision de 1991. Et donc, on ne reconnaît pas le communautarisme, quel qu'il soit. Je ne dis pas que la démarche des Corses et même des nationalistes est communautariste, mais c'est ce qui est inscrit dans le texte. Ce n'est pas de leur faute d'ailleurs, c'est une formulation d'Emmanuel Macron. Mais en introduisant cet article, de facto on rompt en effet cette conception universaliste de la République. Et de l'autre côté, l'unité de la République, c'est l'unité de la loi, expression de la volonté générale, donc l'unité du législateur. On peut déléguer de larges pans de pouvoir réglementaire, mais la loi comme expression de la volonté générale est le marqueur de cette unité de la République. Donc, une fois qu’on sacrifie l'unité du peuple à travers une définition universaliste du peuple et l'unité du moyen d'expression du peuple à travers sa capacité à légiférer, on a en effet mis par terre toute la tradition universaliste de la République depuis 1789.
- Même si la Corse ne ressemble effectivement pas à la Nouvelle-Calédonie, elle ne ressemble pour autant à aucun autre territoire métropolitain, et les Corses se sont prononcés quand même plusieurs fois en faveur de l'autonomie…
- C'est un argument que je veux bien entendre, mais les Bretons vous diront que la Bretagne ne ressemble à aucun autre territoire métropolitain non plus. Chacun est persuadé qu'il y a des spécificités essentielles à son territoire. Quand on dit que la Corse est une île et que les autres îles de la Méditerranée ont un statut d'autonomie, pour moi c’est un faux argument. D'abord parce qu'il n'est pas vrai puisqu’il y a des îles de la Méditerranée qui n'ont pas de statut d'autonomie, je pense notamment aux îles grecques. Et si on enlève la Grèce, Malte et Chypre qui sont des États souverains, on n’a que deux États qui ont vraiment des îles en Méditerranée : l'Espagne et l'Italie. Ce qui est intéressant, c'est que les demandes d'autonomie ne partent pas des îles, mais plutôt du continent. Ce sont les Catalans et les Basques qui demandent un statut d'autonomie et de manière opportuniste d'autres régions vont demander le même statut. C'est le cas de l'Andalousie et c'est le cas des Baléares. Idem en Italie où la demande vient plutôt du Nord et où, face à la montée des autonomismes et des indépendantismes, on va céder des statuts de plus en plus particuliers dans lesquels la Sicile et la Sardaigne vont être pris, mais sans qu'il y ait une réflexion sur le caractère insulaire de ces territoires. Il y a des territoires plus singuliers en Italie que la Sardaigne et la Sicile, ne serait-ce qu'au Val d'Aoste. Donc, ce n’est pas parce qu’il y a des îles qu’il y forcément de l'autonomie. Pour moi, cet argument-là est un faux argument. C'est un peu un sophisme.
- Dans une tribune publiée mardi, le sénateur Panunzi lançait un avertissement en estimant qu’à la fin de ce processus, la Corse risque d’être perdante. Un point de vue que vous partagez ?
- Oui, je pense que la Corse risque d'être particulièrement perdante comme la République. Si vous prenez les 20 régions les plus pauvres de l'Union européenne lors de la crise de 2008, la seule qui ne voit pas son PIB s'effondrer et son taux de chômage s'envoler, c'est la Corse. Pourquoi ? Parce qu'il y a des logiques de péréquation de l’État qui passent par l'aménagement du territoire et des aides particulières à la Corse. Or, ce lien sera nécessairement coupé, comme c’est de plus en plus le cas en Grande Bretagne, et comme ça a été le cas en Espagne et en Italie. Au bout d'un moment, si un territoire vit sa vie de collectivité à statut particulier, il va se dire mais pourquoi est-ce que je paierais pour les autres ? Si vous prenez par exemple le projet de la Collectivité européenne d'Alsace de Frédéric Bierry, il a pour argument que les impôts des Alsaciens restent en Alsace. Autre exemple, l’un des slogans de la gauche catalane, l’ERC, ces derniers mois, c'était de dire « cessons de payer pour les Andalous ». Donc, il y a un moment où, si vous rentrez dans cette logique d'autonomisation, de surenchère identitaire, le risque fondamental, c'est de rompre les liens de solidarité nationale. Et si les Sardes, notamment, ne sont pas rentrés dans une logique de croissance de l'autonomisme, c'est aussi pour cela. In fine avec le mouvement que sont en train de lancer les nationalistes corses, dans 20 ans, ce sera la Corse qui en sera la première victime. La preuve en est qu’une des régions qui a le mieux saisi la balle au bond de la différenciation est la région Île de France en demandant des minimas sociaux particuliers. En Italie, au jeu de la course vers la différenciation et l’autonomie, c’est Milan et Barcelone qui ont gagné ; en France ce sera Paris.
- Pour vous, cette révision constitutionnelle n'a donc pas beaucoup de chances d'aboutir ?
- Objectivement, le texte est tellement mal ficelé, caricatural, avec cet alinéa premier qui est complètement dingue en ce qu’il constitutionnalise le communautarisme, qu’en l'état non, il n’aboutira pas à la virgule près, cela est clair. Si jamais il doit y avoir une majorité pour voter cette révision constitutionnelle au Parlement, ce sera probablement avec un texte qui sera une version largement amendée et dans laquelle l'alinéa premier aura vu la suppression de la notion de « communauté insulaire, historique culturelle et linguistique », et dans laquelle le pouvoir législatif sera probablement supprimé en tant que tel. Mais là, vu le contenu du texte, j’ai du mal à penser que la représentation nationale puisse l’adopter, car cela veut dire qu'on passerait cinq fois toutes les lignes rouges posées tant à gauche qu'à droite. Les seuls qui appuient visiblement le texte aujourd'hui, ce sont les Verts et La France Insoumise avec un positionnement de Jean-Luc Mélenchon et Éric Coquerel, ce qui n'engage pas forcément le cœur de tous les militants. Même au sein de la majorité présidentielle, ce ne sera pas simple. En revanche, pour les autres formations, je ne les vois vraiment pas voter ce texte. Donc, j'ai du mal à envisager le parcours parlementaire d'un tel texte. Ou alors une version vraiment amendée, mais qui reviendrait probablement à ce qu’Emmanuel Macron pouvait promettre lors de son discours de Bastia en 2018.