Qu'est-ce qui vous a inspiré à raconter l'histoire de Joseph, ce berger corse confronté à la pression mafieuse sur ses terres ?
En 2017, j'ai réalisé un documentaire sur un berger du littoral de Sant’Amanza, Joseph Terrazoni. À l’époque, il me disait qu’il se considérait comme une anomalie dans le paysage actuel. Il se définissait lui-même comme le dernier des Mohicans et expliquait qu’il imaginait mal transmettre l’exploitation à ses fils, car il jugeait que ce serait un cadeau empoisonné, susceptible de les mettre en danger compte tenu de la pression qu’il ressentait autour de lui. Cela m’a donné envie de créer une fiction, en partant de l’hypothèse que ce berger reçoive un jour la visite désagréable qu’il redoutait tant.
Justement, comment avez-vous utilisé ce témoignage comme trame et esprit du film ?
Le témoignage a vraiment été une base de réflexion pour moi. Ensuite, la trame du film s’est construite comme une fiction nourrie d’une constellation d’événements réels survenus en Corse au cours des dix - quinze dernières années.
Peut-on y voir un parallèle avec la figure de Massimu Susini ou celle d’Yvan Colonna, dont la cavale, comme celle de votre protagoniste, en fait une sorte de héros corse ? Aviez-vous l’intention de glisser ces références dans le film ?
Absolument pas. Ce ne sont pas des références explicites. Comme je l’ai dit, le film s’inspire largement d’événements réels sans pour autant pointer un fait particulier. Je me suis nourri d’une constellation de faits.
Comment avez-vous abordé la question sensible de la spéculation immobilière et de l’emprise mafieuse en Corse dans votre film ?
J’invite les spectateurs à venir voir le film en salle.
Pourquoi avoir intitulé le film Le Mohican ?
Comme je vous l’ai dit, Joseph Terrazoni se définissait ainsi. J’ai choisi ce titre parce que le protagoniste c’est un homme qui dit non à un système, à une époque où il devient de plus en plus difficile de s’opposer. Ce choix l’isole et me donne à penser qu’il est effectivement le dernier des Mohicans.
Le personnage principal de votre film est un berger. En quoi cette figure incarne-t-elle, selon vous, une forme de résistance face à la pression extérieure ?
Ce n’est pas tant la figure du berger qui représente une résistance dans l’absolu, mais le métier de berger, un métier ancestral et traditionnel en Corse, aujourd’hui en voie de disparition.
Les bergers travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles, notamment ceux des plaines et du littoral, confrontés à une spéculation foncière qui rend le prix des terrains complètement déraisonnable par rapport à leurs moyens. Tous les bergers n’opposent pas une résistance aussi forte que celui de mon film, mais je pense qu’exercer ce métier aujourd’hui relève d’une forme de résistance face à l’évolution de la société, et cela exige un engagement presque sacerdotal.
Grâce à sa résistance face à la mafia, sa cavale et la médiatisation orchestrée par sa nièce sur les réseaux sociaux, le personnage principal de votre film devient une sorte de héros. Aviez-vous l’intention de montrer comment, à l’ère numérique, une figure de lutte peut rapidement devenir iconique et virale ?
Oui, mais je voulais surtout créer une légende autour de ce personnage. Et j’avais très envie que cette légende naisse grâce à une jeune femme. Je voulais mettre en avant une figure féminine forte, car j’ai le sentiment que la société corse compte de nombreuses femmes fortes. Je tenais à ce que ce berger, qui oppose un simple "non" sans jamais le justifier ni le commenter, soit relayé par quelqu’un capable de donner une portée politique à ce refus et de transformer un acte individuel en un message collectif. En me posant toutes ces questions, je me suis dit que les réseaux sociaux, avec leur fort potentiel viral, pouvaient constituer le support idéal pour faire émerger un tel mouvement.
Comment avez-vous choisi Alexis Manenti pour incarner Joseph et qu’apporte-t-il de particulier à ce rôle ?
Je l’ai choisi lors d’un casting. Le film a largement été composé à partir castings sauvages, avec la volonté d’avoir le plus possible d’acteurs du réel, garants d’une certaine justesse par rapport à ce territoire et à ses habitants. Mais il y a eu aussi un casting professionnel, notamment pour le rôle du berger, un personnage qui devait porter le film sur ses épaules. Alexis a passé les essais pour le rôle et sa proposition était saisissante d’intensité et de vérité. Cela s’est confirmé lorsqu’il a rencontré le berger réel et qu’il a commencé à travailler avec lui, au milieu des bêtes, pour se familiariser avec les gestes du métier. J’ai su que j’avais fait le bon choix.
Votre film a été présenté en avant-première sur l’île. Comment le public corse a-t-il réagi ?
J’ai le sentiment qu’il y a une dimension cathartique pour le public corse. Beaucoup de réactions sont émues. Au-delà de l’aspect dramatique et cinématographique, le contenu politique du film semble parler aux gens et suscite des discussions riches et passionnées.
Était-ce important pour vous de présenter le film en Corse ?
C’était essentiel. Ce film parle de la Corse et de ceux qui y vivent. Il était donc primordial qu’il soit présenté aux Corses en premier lieu.
Qu’a signifié pour vous la sélection de votre film à la Mostra de Venise ?
C’était une joie immense, une marque de reconnaissance très importante. La Mostra est l’un des festivals les plus prestigieux au monde. C’est aussi une garantie de visibilité à l’international. Mais surtout un très très bel évènement à vivre.