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CTC : Pas de clash budgétaire, mais une opposition prête à collaborer avec l’Exécutif !


Nicole Mari le Vendredi 11 Mars 2016 à 21:57

C’est en l’absence de Paul Giacobbi, l’ex-président de l’Exécutif de l’ancienne mandature, mis en cause sur sa gestion financière, que s’est tenu, vendredi après-midi à l’Assemblée de Corse (CTC), le débat sur les orientations budgétaires (DOB) pour 2016. Tout le monde ayant déploré cette absence, le débat, qui s’annonçait houleux, s’est finalement déroulé dans une sérénité exemplaire. Prenant acte de l’énormité du passif et de la gravité de la situation, l’opposition a demandé à l’Exécutif de tout mettre sur la table par le biais d’un audit externe. Elle s’est dit prête à collaborer pour l’intérêt de la Corse, sous certaines réserves idéologiques. Le groupe Giacobbiste, très gêné par l’absence de son leader, a botté en touche et préféré insister sur les avancées obtenues. Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, a annoncé la mise en place de nouvelles méthode de gestion et l’impossibilité d’éviter des choix douloureux.



Le Document d’orientations budgétaires (DOB) est un exercice annuel de haut vol politique et, donc, par nature, source de polémiques. Le premier DOB d’une mandature l’est d’autant plus qu’il donne le ton de la politique que compte mettre en place la nouvelle équipe dirigeante. C’est dire si le premier DOB de la première et à-priori très courte mandature nationaliste de l’histoire de l’Assemblée de Corse était attendu et promettait, au vu du réveil de l’opposition lors de la dernière session, de belles passes d’armes. Sur un terrain que l’on pressentait miné par des rumeurs et des confidences sur l’état de délabrement dans lequel l’équipe Giacobbi a laissé les finances de la CTC, un communiqué du syndicat Force Ouvrière met le feu aux poudres. Il rend public un passif énorme de 104 millions d'euros, révélé par le président de l'Exécutif, Gilles Simeoni, devant le Conseil économique et social (CESC) et la Commission des finances. Un trou du à des engagements pris lors de la précédente mandature, non budgétisés, mais qu’il faudra payer. FO parle de « cavalerie financière », l’Exécutif dénonce un système volontairement mis en place pour brouiller les radars et un héritage catastrophique qui plombe ses marges de manœuvre.
 
Vices et mensonges
Le débat sur le DOB s’annonçait, donc, houleux. L’ancien président de l’Exécutif, Paul Giacobbi, qui nie le déficit, réplique, quelques jours plus tard, que ces pratiques sont celles en vigueur dans toutes les collectivités. Il traite Gilles Simeoni de « menteur… Ses déclarations relèvent du vice et de l’incompétence ». La veille de la session, il annonce, en milieu d’après-midi, la tenue d’une conférence de presse avant session « en réponse aux attaques mensongères et diffamatoires menées par le président du Conseil exécutif », avant de l’annuler en soirée pour « ennui médical ». Paul Giacobbi est, donc absent du débat, tout comme Paul-Marie Bartoli. Maria Guidicelli se retrouve bien seule, en petit soldat vaillant, pour défendre le bilan d’une mandature qui ploie sous les critiques. La tâche est d’autant plus rude que l’Exécutif, qui n’apprécie guère ses insultes, prend soin de distribuer l’état détaillé et l’analyse des arriérés de paiement dus par la CTC depuis 2013. La lecture des documents est sans appel. Elle fera, comme l’annonce d’emblée le président de l’Exécutif, l’essentiel du débat budgétaire.
 
Dire la vérité aux Corses
Après une brève allusion à un DOB «  plus étoffé, plus construit, plus complet que le précédent dans la volonté de l’Exécutif de donner l’information la plus large », Gilles Simeoni prévient que, les ratios budgétaires n’ayant pas changé depuis un an, le seul élément nouveau est « l’existence d’arriérés de paiement de 96,2 millions € qui n’apparaissaient pas dans les comptes et pour lesquels nous ne disposons pas des recettes ». Il pose deux questions en écho aux attaques giacobbistes : « Est-ce que ce que je dis est vrai ? » et « Est-ce que cette situation est normale ? N’est-elle que l’expression de techniques budgétaires qui permettent de joindre les deux bouts tout en restant dans l’orthodoxie comptable ? ». Et y répond clairement et fermement : « La seule boussole qui nous guide est de dire la vérité aux Corses et de trouver les chemins de l’intérêt général. Mes déclarations ne visent qu’une seule chose : dire la vérité et la réalité de la situation financière et budgétaire que nous avons découvert. Oui ! Près de 100 millions sont dus et définitivement dus, sont exigibles et auraient dus être payés soit en 2013, soit en 2014, soit en 2015. Nous ne sommes pas dans une logique de pluri-annualité avec des paiements qui auraient pu être faits en 2016. Toutes les collectivités ont, certes, un problème général de délai de paiement, mais en matière de marchés publics, par exemple, lorsque la facture arrive, elle doit être payable dans le délai d’un mois ».
 
Pas d’argent pour payer !
Refaisant la genèse de la découverte de l’ampleur des arriérés, Gilles Simeoni en dévide, implacable, la longue liste : « 17 millions € auraient du être payés à la fin du 4ème trimestre, mais comme les recettes correspondantes n’existaient pas, elles seront imputées à l’exercice 2016, ce qui fait que le compte administratif 2015 qui aurait du, selon l’ancienne mandature, être bénéficiaire de 3 millions €, est déficitaire ». En recensant les factures laissées au fond des tiroirs, la CTC doit, par exemple, au titre des engagements pour l’enseignement, la formation et le développement social : 46,7 millions, dont 20 millions en investissement et 25 millions en fonctionnement. Dans le service jeunesse et sports, la créance se monte à 3,92 millions € pour des travaux déjà réalisés dont 840 000 € pour le stade Armand Cesari de Furiani. « Cette somme qui est due, depuis 2014, ne figure pas en recettes, nous ne l’avons pas ! La totalité des 5 millions € de la dotation annuelle 2015 de l’Université n’avait pas été versée, j’ai payé en urgence 1 million € avant le 31 décembre afin qu’elle boucle son budget. 174 communes attendent le règlement de leur dotation quinquennale. Nous devons 4,5 millions € à l’APFA que nous n’avons pas !... ». La litanie s’égrène (cf article par ailleurs)… « Les sommes n’ont pas été payées parce qu’il n’y avait pas l’argent et qu’on n’a pas voulu afficher ces dépenses ».
 
Un système pervers et insincère
Comment en est-on arrivé là ? Gilles Simeoni dénonce un « système pervers et dangereux qui a permis ces dérives et dont il faut sortir. Il ne fallait pas engager la CTC dans une dette qu’elle n’a pas les moyens d’honorer. Si on ne paye pas d’échéance en d’échéance, comment s’appelle cette course en avant, cette dette qui s’accumule d’année en année ? Quand sonne le glas arrive l’huissier pour un ménage et l’impasse financière pour la CTC ». Il indique que les principes budgétaires de base n’ont pas été appliqués. « Cette gestion-là fausse les comptes, rend les budgets insincères et fragilise économiquement et financièrement les partenaires de la CTC. Elle conduit à faire des choix terribles entre ceux qui sont payés et les autres et met la CTC dans une instabilité juridique et financière. Il faut que cette dérive cesse là comme ailleurs, il faut avoir le courage de dire Basta ! Ça ne peut plus durer ! ». Il s’insurge : « Oui, nous avons un arriéré ! Non, cet arriéré n’apparaissait pas dans les recettes ! Devait-il apparaître ? Oui ! Est-ce normal qu’il y ait cet arriéré ? Non ! Devait-on vous le dire ? Oui ! Nous devons la vérité aux Corses ! Nous n’accepterons pas de nous laisser insulter. Moi, je ne suis pas un menteur. Je dis la vérité. Je vous demande d’avoir l’honnêteté de le reconnaître !  ».
 
Solder le passif
Pour le président du Conseil exécutif, les associations ou entreprises, qui ont obtenu un arrêté attributif, ayant engagé les dépenses, la CTC est coincée : « Nous devons, pour des raisons morales, économiques et politiques, payer ce que nous devons et sans délai parce qu’il y a déjà eu trop de retard ». Comment ? « Nous sommes favorables à solder le passif sur un seul exercice. Il est évident que nous devons recourir à l’emprunt ! L’argent, nous ne pouvons pas l’inventer. Il y a des dépenses incompressibles ». Il propose de réduire les dépenses de fonctionnement, d’en faire disparaître certaines, de réorganiser les services, les mutualiser, de mettre en place des signaux d’alerte pour un suivi au jour le jour et d’identifier des objectifs stratégiques pour ne pas s’éparpiller. « C’est un travail de fond que nous devons faire ensemble pour définir de nouvelles méthodes de gestion et faire des choix partagés le plus largement possible. Avançons ensemble au service de la Corse et du peuple corse ! ».

Les rangs de la droite.
Les rangs de la droite.
La main tendue de la droite
Pendant les trois dernières années de l’ancienne mandature, la droite et les Nationalistes ont torpillé, sans relâche, une gestion hasardeuse et une dérive budgétaire. Camille de Rocca Serra, pour le groupe « Rassembler », ne manque pas de le rappeler : « Vous venez avec beaucoup de gravité nous annoncer des choses que nous n’aurions jamais voulu entendre dans cet hémicycle ». Regrettant l’absence de Paul Giacobbi, « C’est l’ordonnateur, le politique, qui est responsable », il demande que le document soit analysé pièce par pièce et qu’un audit externe soit réalisé. « Il sera utile pour vous permettre d’aller plus loin, pour affiner une trajectoire financière et budgétaire et mettre en place des procédures. Nous sommes prêts à dénoncer cette situation avec vous, mais nous voulons que cet exercice de transparence aille jusqu’à son terme ». Et propose à l’Exécutif de travailler ensemble : « Nous sommes prêts à travailler avec vous au service de la Corse, mais dans la confiance réciproque. Les marges de manœuvre sont limitées. Imaginons que les agences et offices soient autant contaminés, qui va pouvoir supporter ce passif ? Nous sommes d’accord pour ne pas faire assumer à l’économie de la Corse les turpitudes passées. Nous sommes contraints au pragmatisme et au réel. Avant de donner le feu-vert à un emprunt, nous voulons connaître son étendue ».
 
Du courage politique
Pour son colistier Jean-Martin Mondoloni, le problème est grave à plus d’un titre : « des finances plombées pour longtemps, un discrédit jeté sur cette assemblée et devant nos partenaires institutionnels à qui nous demandons plus de compétence ». Il s’interroge sur les moyens de la CTC de sortir de cette impasse et d’appliquer son programme ? « Nous attendons que vous fassiez des choix. Nous partageons un certain nombre d’orientations que vous souhaitez mettre en œuvre. La question est comment ? Etes-vous en capacité, vu le passif, de formuler ces propositions ? Nous vous accompagnerons si vous faites preuve de courage. Vous avez été élus sur une volonté profonde de changement. Nous le souhaitons aussi ».
La problématique est la même pour l’élu libéral, Xavier Lacombe qui lance à Gilles Simeoni : « Je sais que vous n’êtes pas un menteur. Je sais que vous dites la vérité. Les chiffres sont là, on peut les interpréter. N’empêche qu’il y a un bilan passif de 96 millions € qui pourrait bien augmenter ». Taclant « les mauvais choix financiers » de l’ancienne mandature, notamment le faible recours à l’emprunt, il juge la situation très critique : « Nous ne pourrons pas continuer à investir, à limiter le recours à l’emprunt et, en même temps, à honorer la dette. Cette équation est impossible ». Il préconise de mettre en place un conseil en organisation de contrôle de gestion « dont l’absence est une carence de la CTC ».
 
La détermination nationaliste
Enchaînant, le président du groupe Femu A Corsica, Jean Biancucci, revient, lui aussi, sur « l’insincérité des comptes », « l’absence de contrôle des institutions » qu’il a maintes fois stigmatisé, et sur l’augmentation « inconsidérée » des dépenses de fonctionnement, notamment de personnels. Il propose, notamment, d’instaurer une « véritable comptabilité d’engagement, de ne voter que les dépenses dont le financement est certain, de consolider les comptabilités des agences, offices et SEM, de pratiquer l’évaluation des politiques, de favoriser l’emploi des fonds européens et d’Etat avant d’actionner nos fonds propres. Il s’agit d’arrêter de naviguer à vue, d’être inutilement dispendieux et de changer radicalement de gouvernance. Les Corses veulent la vérité sur les comptes, mais aussi une exemplarité des élus ».
Son colistier, Hyacinthe Vanni enfonce le clou : « Tout le monde semble aujourd’hui surpris par cette dette. A Femu, nous ne sommes pas surpris, nous savions que nous allions trouver une situation catastrophique, même si nous n’en avions pas prévu l’ampleur. Pendant cinq ans, nous n’avons eu de cesse d’interpeller le précédent Exécutif sur les retards de paiement. Chacun doit assumer ses responsabilités et ne pas rejeter la faute sur les autres. Nous assumerons notre bilan dans deux ans. Les difficultés énormes ne nous empêcheront pas de mettre en place notre programme. Nos sommes déterminés à le faire et nous y arriverons ».
 
L’optimisme de la volonté
Même discours de Petr’Anto Tomasi, président du groupe Corsica Libera : « Notre rôle n’est pas de nous ériger en procureur, en juge ou en préfet, et il y aurait beaucoup à dire sur le contrôle de légalité, mais de venir en défense des citoyens corses. Certains nous ont reproché un surplus de communication, un effet de manche, voire de la manipulation. Nous devons aux Corses toute la vérité ». Il stigmatise : « Un modèle de gestion qui n’est pas adapté à un pays moderne. C’est aussi pour cela que les Corses nous ont portés aux affaires, pour rompre avec un modèle archaïque, parce que nous avons avec nous l’optimisme de la volonté ». Un optimisme partagé par sa consoeur Laura Maria Poli : « Nous avons deux années pour présenter une situation financière saine et solvable. Nous avions promis d’agir en totale transparence et que nous changerions les méthodes et les politiques. Nous le faisons ».

Les bancs de la gauche
Les bancs de la gauche

Une gauche malaisée
Sur les rangs de la gauche Giacobbiste, le malaise est patent. Tout en excusant l’absence de Paul Giacobbi qui est « seul à même de rentrer dans le détail des factures », Maria Guidicelli affirme platement « prendre acte du détail que vous nous présentez. Mon rôle n’est pas de le contrer ! ». Ce qu’elle se garde bien de faire ! Elle botte en touche en soulignant que la volonté de transparence nécessite « de faire état de l’exacte vérité. C’est aussi faire état de manière objective des acquis de la précédente majorité. Je vais vous démontrer qu’il y a des atouts à faire-valoir ». Elle revient sur l’état de la CTC en 2010, que « Paul Giacobbi n’a pas jugé bon de rendre public ». Elle égrène, notamment, les emprunts toxiques, les mauvais ratios, les volumes financiers à honorer... « Dire qu’il y a des difficultés de trésorerie signifie que la CTC est en faillite ? Nous disons qu’elle ne l’est pas ». Elle estime que le faible taux d’endettement « offre des marges de manœuvre » et que la précédente mandature « a construit un espace qu’il appartient d’utiliser de manière la plus opportune ». Son colistier, François Tatti, lui emboite le pas, jugeant que l’Exécutif « n’a pas donné une vision complète des directions et des situations financières à-venir. Vous n’avez pas présenté des orientations pour faire des choix ». Il demande un audit « pour savoir pourquoi les factures ont été stockées. Celles-ci n’obèrent en rien les capacités d’intervention et d’avenir de la collectivité ».
 
Des accords ponctuels
Très serein, Dominique Bucchini, président du groupe Front de gauche, précise d’emblée : « Je ne m’attendais pas à cette situation ! Je ne doute pas de votre honnêteté. Si erreur il y a eu, il faut connaître les raisons fondamentales de l’erreur et qu’on n’en reste pas là… Mais, les problèmes n’ont pas commencé en 2011. Il faut mettre tout sur la table pour pouvoir juger et aller au fond des choses. Il ne faut pas utiliser la transparence comme un argument politicien, il faut la faire vivre au quotidien, les élus et la Corse en ont besoin ». En défendant au passage certains acquis de l’ancienne mandature, il rejoint le scepticisme de la droite sur les orientations proposées : « Le préambule, que vous nous présentez, est bourré de bonnes intentions. Vous énoncez un véritable programme commun d’intentions pour faire un certain nombre de choses ». Et tente lui aussi une timide ouverture vers le nouvel Exécutif : « La sensibilité que je représente peut avoir envie de travailler avec vous sur certains points et être d’accord avec vous ponctuellement ». Concernant le passif, il admet : « Il y a obligatoirement des économies à faire tout en maintenant un niveau d’investissement important. Il nous semble naturel de tenir les engagements précédents, mais il faut trouver les moyens de les tenir. D’accord sur l’emprunt, mais quel montant et avec quelles disponibilités ? Faut-il tout régler en un an ? ça se discute ! ».
 
Des arbitrages douloureux
Gilles Simeoni se réjouit des mains tendues et inattendues de l’opposition et des accords sur les points fondamentaux : « La transparence sera absolue. Si vous êtes prêts à ce que nous travaillons ensemble, la réciproque est vraie. Comment va-t-on s’en sortir ? Le passif conditionne les choix que nous aurons à faire. 100 millions € est la moitié de l’investissement total annuel qui impacte l’ensemble de la Corse. Le courage politique nous oblige à dire que nous ne pourrons pas tout faire. Nous avons identifié un certain nombre de priorités. Nous ferons des arbitrages douloureux. Nous les expliquerons et nous les assumerons ». Il  promet « un traitement de cheval. La CTC est malade, mais pas mourante. Elle est fragilisée, mais a des potentialités, d’abord la ressource humaine. La Corse a des atouts extraordinaires ». Il annonce que l’Exécutif a déjà validé l’utilité d’un audit d’aide à la réalisation, finalisé son cahier des charges et lancé un appel d’offre pour obtenir un rendu avant l’examen du budget primitif prévu mi-avril.
Le débat réel sur les orientations budgétaires de la nouvelle mandature ayant été éclipsé par la question des impayés, l’examen du budget, dans un mois, pourrait s’avérer plus chahuté… A moins que la volonté de travailler ensemble pour sortir de l’impasse, qui a semblé se dessiner sur tous les bancs de l’hémicycle, ne trouve d’ici là sa concrétisation.
 
N.M.