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Christiane Taubira : "le nouveau Gouvernement ne peut pas ignorer le processus de Beauvau "


Cécile Orsoni le Mercredi 11 Septembre 2024 à 20:52

Ce mercredi 11 septembre, Christiane Taubira était reçue à l’Assemblée de Corse par Gilles Simeoni et Marie-Antoinette Maupertuis. L’occasion, pour l’ancienne Garde des sceaux et figure de proue de la gauche, de faire le point pour CNI sur l’évolution institutionnelle de l’île, mais aussi d’évoquer son nouveau rôle de marraine de la faculté de droit de Corte et de de livrer son analyse sur la politique menée par Emmanuel Macron.



Christiane Taubira
Christiane Taubira
- Vous allez inaugurer l’année scolaire à Corte en tant que marraine de la faculté de droit. Que signifie pour vous ce rôle dans le contexte actuel de la Corse et de son système éducatif ?
- Je suis très honorée d’avoir été invitée par la professeur Wanda Mastor au nom de l’Université à venir prononcer cette leçon inaugurale et à être la marraine de cette promotion. Pour moi, il est important que les jeunes générations aient des repères, entendent des paroles dont elles feront ce qu’elles voudront – mais qu’elles les entendent. Venir jusqu’ici pour lancer une sorte de voile de protection sur ces jeunes qui vont entrer à l’Université me paraît être une très belle fonction. Je le fais en particulier à l’Université de Corte. C’est une démarche qui a un sens particulier pour moi. Elle a une histoire, de sa création, de sa dissolution, de sa recréation, de la mobilisation de ses équipes pédagogiques, sa dimension, le fait qu’il y ait 10% d’étudiants internationaux, donc son ouverture au monde. C’est une université qui a une physionomie que je trouve attachante et prometteuse.  


- Quels sont les liens que vous entretenez avec la Corse ?
- La première fois que je suis venue en Corse, j’étais étudiante. J’ai beaucoup aimé ce premier séjour. Je savais qu’il existait des revendications politiques, pour lesquelles j’avais des sympathies, étant moi-même indépendantiste. J’avais des affinités avec le fait que des personnes sur un territoire disent : « nous avons une culture, une langue, une histoire, des références, une constitution dans le passé, notre sort collectif a changé dans l’histoire, nous avons une voie singulière. » J’étais sensibilisée à ces questions-là. Ce premier contact a été à la fois affectif et politique. Il inaugurait des retours. Je suis revenue plusieurs fois, j’ai de solides amis ici, je lis les auteurs corses, la presse, je suis les étapes de réforme institutionnelle : quelles avancées ont été possibles, quelles personnalités politiques l’ont fait… j’aime aussi les chants polyphoniques, surtout depuis que les femmes s’en sont emparées depuis quelques années.


- Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier comme Premier ministre après une période de remous. Qu’en pensez-vous ? À quel type de gouvernement faut-il s’attendre ?
- Je crois à l’engagement collectif, basé sur des valeurs, sur le souci de la justice sociale. Des forces politiques se sont organisées collectivement pour aller solidairement aux élections législatives, que j’ai soutenues de façon très claire, et je crois au fonctionnement des institutions. Je pense qu’il revenait à cette force politique de proposer une personnalité pour diriger le gouvernement. La décision du Président de la République est une décision que j’ai décrétée comme déconcertante, car il y a manifestement une interprétation du fonctionnement des institutions qui est fort inhabituel et qui mérite d’être explicité. Nommer une personnalité politique qui a été minoritaire dans la dernière consultation électorale, c’est interpréter les institutions de manière cavalière. Je ne comprends pas ce geste et je ne sais pas le lire politiquement dans la logique de la Cinquième République. Le Premier ministre doit représenter une force que les électrices et les électeurs ont choisie. Je pense qu’un président a des obligations, car ses décisions ont des incidences sur nos vies quotidiennes. Il doit respecter à la lettre la constitution, qui est notre loi fondamentale. Dans cet entre deux où le Front populaire n’obtient pas une victoire très nette, le président doit respecter l’histoire institutionnelle du pays. Sa décision ne s’inscrit pas dans ces logiques-là.


- Quel est votre avis sur la situation actuelle du dossier corse et du processus de Beauvau ? Pensez-vous qu’il soit nécessaire de maintenir un suivi spécifique et comment le gouvernement pourrait-il aborder ce suivi ?
- Je suis ce processus depuis plusieurs années. J’ai lu les auditions et les positionnements des différentes personnalités, je connais les différentes étapes des modifications institutionnelles antérieures. Tant qu’elle est juste, l’autonomie doit devenir possible. C’est une discussion avec l’État, les élus ont choisi le dialogue. Le processus de Beauvau était pratiquement arrivé à son terme donc on attendait de passer à l’étape suivante.


- E Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’une « autonomie a la corse. » Quelle est votre opinion sur cette proposition ?
- Mon opinion se limite à considérer que les élus sont légitimes, car les résultats démocratiques sont sans appel. Il y a l’expression d’une volonté populaire pour déléguer ces élus dans la négociation avec l’état de façon à parvenir à cette autonomie. Que les élus essaient d’aller plus loin, c’est le jeu de la négociation. Je n’ai cependant pas la légitimité de dire qu’il faut poursuivre ou s’arrêter là. Je suis solidaire, car je trouve qu’il est légitime de vouloir prendre des responsabilités sur son territoire, car l’on est au plus près des problèmes, on connaît les solutions et l’on a déjà démontré que l’on est capable de les mettre en œuvre. Parce que l’on a la confiance des électrices et des électeurs. Michel Barnier est censé savoir ce qu’est le respect de la parole d’État. J’espère qu’il ne souhaite pas s’inscrire comme un Premier ministre qui parjure cette parole.


- Vous avez souligné l’importance des élus corses dans la définition des priorités locales. Comment le gouvernement pourrait-il mieux collaborer avec eux pour répondre aux besoins spécifiques de l’île ?
- Avec un gouvernement de personnalités clairvoyantes et responsables, qui comprend bien que la Corse est un territoire particulier. L’état suppose de la continuité, sinon on ne tient pas debout en démocratie. Si ces élus s’affranchissent du processus de Beauvau, tout comme la Guyane, la Martinique ou la Nouvelle-Calédonie – des discussions avaient avancé - il montre qu’il est en deçà de la responsabilité qui lui est confiée. Cela voudrait dire que nous n’avons pas d'État stable. Ça n’est pas concevable que le nouveau gouvernement ignore le processus qui avait fortement avancé.