Christophe Canioni, conseiller territorial.
- Qu’est-ce qui vous a décidé à rompre avec le groupe FN de l’Assemblée de Corse ?
- C’est une décision mûrement réfléchie que j’ai prise, il y a déjà quelques mois. Je me rendais compte que la ligne régionaliste, que j’avais commencé à incarner depuis les élections départementales de mars 2015, était mise à mal. Cette ligne était la volonté de vouloir enraciner le FN Corsica dans le paysage politique corse. Lorsqu’avec mon courant « Avvene Corsu », je l’avais proposé à la direction nationale du FN, cela avait été compliqué de la faire accepter, mais j’avais réussi à argumenter. Au fil de l’année 2016, je me suis aperçu que cette ligne était de moins en moins soutenue par Paris. Lors de la présentation de son programme pour les Présidentielles, Marine Le Pen a proposé la suppression des régions et des intercommunalités. A partir de là, il était évident que ma position devenait insoutenable.
- Pourquoi ?
- Avec le courant « Avvene Corsu », qui était informel, nous voulions des échanges d’égal à égal avec Paris, des réunions et des discussions sur les institutions de la Corse, l’économie, la culture, la langue et, aussi, sur les relations avec les autres îles, par exemple la Sardaigne, les Baléares ou même la Toscane. Tous ces échanges, que nous demandions, n’ont jamais eu lieu. Le FN Corsica est, de plus en plus, considéré comme un appendice du FN national. J’ai toujours été contre cette ligne ! Pour s’enraciner, il doit avoir un partenariat avec Paris, pas cette posture de maître à supplétif ! Je me suis toujours battu dans ce sens ! J’ai essayé d’arrondir les angles, j’ai fait des appels… mais j’ai vu que ça ne fonctionnait pas !
- Vous reprochez au FN d’ignorer la spécificité corse. N’avait-il pas semblé amorcer quelques ouvertures ?
- Pas du tout ! La meilleure preuve est qu’il n’y a jamais eu de discussions ! Même pas un minimum ! J’avais proposé un calendrier trimestriel de rencontres entre les représentants parisiens, voire le Secrétaire national, et le bureau politique régional et les élus corses, justement pour exposer les problématiques, faire comprendre la situation et expliquer nos propositions. On peut être très intelligent, mais si on n’a jamais mis les pieds dans un pays, c’est très difficile de le comprendre, c’est mieux d’y être ! Des échanges sporadiques par téléphone d’un quart d’heure, ça ne veut rien dire ! On nous disait : « Faites ça ! », sans aucune consultation préalable.
- Vous parlez des régions. Etes-vous contre leur suppression ?
- Je suis contre ce rétropédalage ! De la région dans les années 80 à la collectivité unique aujourd’hui, il y a eu 30 ans d’évolution institutionnelle en Corse. On ne peut pas les passer à la poubelle et revenir aux départements ! Ce n’est pas possible ! On est dans une nouvelle ère, l’île n’est plus celle des années 70 et 80 : la population a augmenté, des problèmes ont surgi… La Corse a besoin d’une nouvelle institution efficiente avec des compétences plus importantes concernant le développement économique, l’action culturelle, le social, l’organisation de la société… et la gestion des flux migratoires. Cette institution, c’est à nous de la préparer, de l’accepter, d’y entrer, de la prendre à bras-le-corps et de faire des propositions. C’est ce que nous avons dit à Paris. Il ne s’agit pas de devenir indépendantiste, ça n’a aucun sens !
- Pourquoi le FN national a-t-il fait la sourde oreille ?
- Le parti est dominé par la ligne Philippot qui est très jacobine et ne laisse aucune place aux régions dans la discussion. Je prends un exemple qui incarne la fracture entre la Corse et le continent. Ici, le FN dit qu’il est contre la communauté de destin et il attaque régulièrement les Nationalistes et la majorité territoriale qui sont pour. Que dit Marine Le Pen ? Elle dit « L’Islam est compatible avec la République. Je suis pour la communauté de destin ». Ça n’a pas de sens ! On ne peut pas être pour à Paris et contre en Corse ! Pour être cohérent, le FN doit dire qu’ici aussi, il est pour la communauté de destin. Et là, il se fracasse ! Cette ligne centralisatrice est contestée au sein du parti, en particulier par le courant de Marion Maréchal-Le Pen qui est plutôt libérale, plus moderne et favorable à une France des régions. C’est elle qui a, mon avis, incarne le mieux le FN.
- Votre rupture avec le FN est-elle définitive ?
- Oui ! Je garde mon siège puisque j’ai été élu au suffrage universel et je garde mes idées que j’avais, avant d’adhérer au FN, et que je continuerai à défendre. Mais, j’ai franchi le Rubicon. Je ne pouvais pas continuer dans cette ligne-là. Quand on m’a demandé de réorganiser le mouvement en 2014, j’avais tout de suite affiché mes idées. Je me sens trahi ! On s’est servi de moi comme un supplétif ! Je ne suis pas un supplétif ! Je suis là pour la Corse ! J’ai toujours dit que je mettrais la Corse avant le parti et c’est ce que j’ai fait ! Le FN est un vecteur, on peut changer de vecteur ! La Corse est mon pays, j’y tiens et je veux à ma modeste dimension, apporter ma pierre pour la construire. J’ai préféré la Corse au parti politique !
- Pour l’instant, vous siégez parmi les non-inscrits. Pensez-vous vous rapprocher d’un autre groupe politique, la droite ou les Nationalistes ?
- Je suis, d’abord, le porte-parole du mouvement « Avvene Corsu » qui est devenu un parti politique que nous sommes en train de construire et de mettre sur les rails. Des militants et des adhérents du FN m’ont rejoint. Des gens de l’extérieur, aussi. Nous avons eu notre assemblée générale. Nous faisons un travail politique sur le terrain. Nous avons un projet pour la Corse que nous soumettrons bientôt. L’objectif d’Avvene Corsu est de trouver sa place dans le paysage politique corse. Après, nous verrons bien ce qu’il se passera. Je ne suis fermé à rien. J’écoute les uns et les autres. Je ne sais pas comment le FN évoluera dans les semaines qui viennent. Je sais qu’au sein de la fédération Corsica et parmi les élus, il y a des gens qui pensent comme moi. Que vont-ils faire ? C’est une question qu’on peut se poser. Aujourd’hui, ils attendent de voir, ils laissent passer l’orage, mais, ce n’est pas impossible qu’ils me rejoignent demain…
- Comme les autres non-inscrits, vous semblez proche de la majorité territoriale…
- Concernant les institutions, je suis proche d’elle. Je suis pour l’autonomie, pour la possibilité de gérer nos institutions dans un périmètre de compétences beaucoup plus élargi. Même avec la collectivité, issue de la loi NOTRe, les compétences restent assez réduites. Il faudra aller plus loin. C’est, aussi, la position de la majorité territoriale. Nous sommes d’accord sur l’essentiel, peut-être aurons-nous des divergences sur l’architecture de la future institution… Mais, le mot « autonomie » a un sens, pas l’indépendance ! On est indépendant par rapport à quoi ? A qui ? Aujourd’hui, nous sommes tous interdépendants. Il n’y a pas de véritable indépendance. C’est un principe complètement obsolète ! Nous avons, avec les Nationalistes, d’autres points de divergence et même des points de fracture.
- Lesquels ?
- Nous divergeons sur la question migratoire sur laquelle je reste intransigeant. Ce n’est pas rien ! Je l’ai dit en Commission des finances lors des discussions sur le budget : l’explosion de la dette sociale est liée aux flux migratoires. Je n’ai rien contre l’individu en lui-même, je comprends qu’il essaye de venir trouver sa subsistance là où il peut. Mais, il faut, quand même, être vigilant ! Si on continue comme ça, si on ne règlemente pas, le stock de dette sociale va devenir une bombe atomique ! On va demander aux Corses de payer encore… C’est un véritable problème ! Comme la place de l’islam dans la société corse ! La question n’est pas posée ! On ne maîtrise rien ! Ni les flux, ni le nombre de personnes qu’il y a dans l’île. Ce qui est fantastique, c’est que la majorité territoriale veut maîtriser le foncier, l’énergie, la fiscalité…, mais elle ne parle jamais de la maîtrise des flux migratoires, alors que c’est, certainement, la problématique la plus importante, la plus civilisationnelle.
- Quelle est votre position par rapport aux autres groupes, notamment la droite ?
- Je crois qu’il faudra, aussi, qu’ils se déterminent sur l’autonomie. Que ce soit la gauche ou la droite, c’est difficile de dire un jour « Je suis pour », le lendemain : « Je ne le suis plus » ou « Je ne le suis qu’à moitié ». Il faudra qu’ils prennent une décision, ils ne peuvent pas rester un pied dehors et un pied dedans. Ils seront obligés de muter. A un moment donné, il faut y aller. C’est ce que j’ai fait : j’ai mis les deux pieds dedans ! Regardez ce qu’il s’est passé pour le vote des ordonnances, on s’amuse avec nous. C’est intolérable ! Paris doit comprendre que la Corse peut se gérer elle-même, discuter avec les autres régions autonomes, commercer, avoir des échanges culturels… sans être obligée de lui demander où elle doit mettre le pied. La Corse doit discuter d’égal à égal avec Paris. Nous serons intransigeant à ce niveau-là ! Revenir, dans ces conditions, dans un parti politique, c’est hors de question !
Propos recueillis par Nicole MARI.
- C’est une décision mûrement réfléchie que j’ai prise, il y a déjà quelques mois. Je me rendais compte que la ligne régionaliste, que j’avais commencé à incarner depuis les élections départementales de mars 2015, était mise à mal. Cette ligne était la volonté de vouloir enraciner le FN Corsica dans le paysage politique corse. Lorsqu’avec mon courant « Avvene Corsu », je l’avais proposé à la direction nationale du FN, cela avait été compliqué de la faire accepter, mais j’avais réussi à argumenter. Au fil de l’année 2016, je me suis aperçu que cette ligne était de moins en moins soutenue par Paris. Lors de la présentation de son programme pour les Présidentielles, Marine Le Pen a proposé la suppression des régions et des intercommunalités. A partir de là, il était évident que ma position devenait insoutenable.
- Pourquoi ?
- Avec le courant « Avvene Corsu », qui était informel, nous voulions des échanges d’égal à égal avec Paris, des réunions et des discussions sur les institutions de la Corse, l’économie, la culture, la langue et, aussi, sur les relations avec les autres îles, par exemple la Sardaigne, les Baléares ou même la Toscane. Tous ces échanges, que nous demandions, n’ont jamais eu lieu. Le FN Corsica est, de plus en plus, considéré comme un appendice du FN national. J’ai toujours été contre cette ligne ! Pour s’enraciner, il doit avoir un partenariat avec Paris, pas cette posture de maître à supplétif ! Je me suis toujours battu dans ce sens ! J’ai essayé d’arrondir les angles, j’ai fait des appels… mais j’ai vu que ça ne fonctionnait pas !
- Vous reprochez au FN d’ignorer la spécificité corse. N’avait-il pas semblé amorcer quelques ouvertures ?
- Pas du tout ! La meilleure preuve est qu’il n’y a jamais eu de discussions ! Même pas un minimum ! J’avais proposé un calendrier trimestriel de rencontres entre les représentants parisiens, voire le Secrétaire national, et le bureau politique régional et les élus corses, justement pour exposer les problématiques, faire comprendre la situation et expliquer nos propositions. On peut être très intelligent, mais si on n’a jamais mis les pieds dans un pays, c’est très difficile de le comprendre, c’est mieux d’y être ! Des échanges sporadiques par téléphone d’un quart d’heure, ça ne veut rien dire ! On nous disait : « Faites ça ! », sans aucune consultation préalable.
- Vous parlez des régions. Etes-vous contre leur suppression ?
- Je suis contre ce rétropédalage ! De la région dans les années 80 à la collectivité unique aujourd’hui, il y a eu 30 ans d’évolution institutionnelle en Corse. On ne peut pas les passer à la poubelle et revenir aux départements ! Ce n’est pas possible ! On est dans une nouvelle ère, l’île n’est plus celle des années 70 et 80 : la population a augmenté, des problèmes ont surgi… La Corse a besoin d’une nouvelle institution efficiente avec des compétences plus importantes concernant le développement économique, l’action culturelle, le social, l’organisation de la société… et la gestion des flux migratoires. Cette institution, c’est à nous de la préparer, de l’accepter, d’y entrer, de la prendre à bras-le-corps et de faire des propositions. C’est ce que nous avons dit à Paris. Il ne s’agit pas de devenir indépendantiste, ça n’a aucun sens !
- Pourquoi le FN national a-t-il fait la sourde oreille ?
- Le parti est dominé par la ligne Philippot qui est très jacobine et ne laisse aucune place aux régions dans la discussion. Je prends un exemple qui incarne la fracture entre la Corse et le continent. Ici, le FN dit qu’il est contre la communauté de destin et il attaque régulièrement les Nationalistes et la majorité territoriale qui sont pour. Que dit Marine Le Pen ? Elle dit « L’Islam est compatible avec la République. Je suis pour la communauté de destin ». Ça n’a pas de sens ! On ne peut pas être pour à Paris et contre en Corse ! Pour être cohérent, le FN doit dire qu’ici aussi, il est pour la communauté de destin. Et là, il se fracasse ! Cette ligne centralisatrice est contestée au sein du parti, en particulier par le courant de Marion Maréchal-Le Pen qui est plutôt libérale, plus moderne et favorable à une France des régions. C’est elle qui a, mon avis, incarne le mieux le FN.
- Votre rupture avec le FN est-elle définitive ?
- Oui ! Je garde mon siège puisque j’ai été élu au suffrage universel et je garde mes idées que j’avais, avant d’adhérer au FN, et que je continuerai à défendre. Mais, j’ai franchi le Rubicon. Je ne pouvais pas continuer dans cette ligne-là. Quand on m’a demandé de réorganiser le mouvement en 2014, j’avais tout de suite affiché mes idées. Je me sens trahi ! On s’est servi de moi comme un supplétif ! Je ne suis pas un supplétif ! Je suis là pour la Corse ! J’ai toujours dit que je mettrais la Corse avant le parti et c’est ce que j’ai fait ! Le FN est un vecteur, on peut changer de vecteur ! La Corse est mon pays, j’y tiens et je veux à ma modeste dimension, apporter ma pierre pour la construire. J’ai préféré la Corse au parti politique !
- Pour l’instant, vous siégez parmi les non-inscrits. Pensez-vous vous rapprocher d’un autre groupe politique, la droite ou les Nationalistes ?
- Je suis, d’abord, le porte-parole du mouvement « Avvene Corsu » qui est devenu un parti politique que nous sommes en train de construire et de mettre sur les rails. Des militants et des adhérents du FN m’ont rejoint. Des gens de l’extérieur, aussi. Nous avons eu notre assemblée générale. Nous faisons un travail politique sur le terrain. Nous avons un projet pour la Corse que nous soumettrons bientôt. L’objectif d’Avvene Corsu est de trouver sa place dans le paysage politique corse. Après, nous verrons bien ce qu’il se passera. Je ne suis fermé à rien. J’écoute les uns et les autres. Je ne sais pas comment le FN évoluera dans les semaines qui viennent. Je sais qu’au sein de la fédération Corsica et parmi les élus, il y a des gens qui pensent comme moi. Que vont-ils faire ? C’est une question qu’on peut se poser. Aujourd’hui, ils attendent de voir, ils laissent passer l’orage, mais, ce n’est pas impossible qu’ils me rejoignent demain…
- Comme les autres non-inscrits, vous semblez proche de la majorité territoriale…
- Concernant les institutions, je suis proche d’elle. Je suis pour l’autonomie, pour la possibilité de gérer nos institutions dans un périmètre de compétences beaucoup plus élargi. Même avec la collectivité, issue de la loi NOTRe, les compétences restent assez réduites. Il faudra aller plus loin. C’est, aussi, la position de la majorité territoriale. Nous sommes d’accord sur l’essentiel, peut-être aurons-nous des divergences sur l’architecture de la future institution… Mais, le mot « autonomie » a un sens, pas l’indépendance ! On est indépendant par rapport à quoi ? A qui ? Aujourd’hui, nous sommes tous interdépendants. Il n’y a pas de véritable indépendance. C’est un principe complètement obsolète ! Nous avons, avec les Nationalistes, d’autres points de divergence et même des points de fracture.
- Lesquels ?
- Nous divergeons sur la question migratoire sur laquelle je reste intransigeant. Ce n’est pas rien ! Je l’ai dit en Commission des finances lors des discussions sur le budget : l’explosion de la dette sociale est liée aux flux migratoires. Je n’ai rien contre l’individu en lui-même, je comprends qu’il essaye de venir trouver sa subsistance là où il peut. Mais, il faut, quand même, être vigilant ! Si on continue comme ça, si on ne règlemente pas, le stock de dette sociale va devenir une bombe atomique ! On va demander aux Corses de payer encore… C’est un véritable problème ! Comme la place de l’islam dans la société corse ! La question n’est pas posée ! On ne maîtrise rien ! Ni les flux, ni le nombre de personnes qu’il y a dans l’île. Ce qui est fantastique, c’est que la majorité territoriale veut maîtriser le foncier, l’énergie, la fiscalité…, mais elle ne parle jamais de la maîtrise des flux migratoires, alors que c’est, certainement, la problématique la plus importante, la plus civilisationnelle.
- Quelle est votre position par rapport aux autres groupes, notamment la droite ?
- Je crois qu’il faudra, aussi, qu’ils se déterminent sur l’autonomie. Que ce soit la gauche ou la droite, c’est difficile de dire un jour « Je suis pour », le lendemain : « Je ne le suis plus » ou « Je ne le suis qu’à moitié ». Il faudra qu’ils prennent une décision, ils ne peuvent pas rester un pied dehors et un pied dedans. Ils seront obligés de muter. A un moment donné, il faut y aller. C’est ce que j’ai fait : j’ai mis les deux pieds dedans ! Regardez ce qu’il s’est passé pour le vote des ordonnances, on s’amuse avec nous. C’est intolérable ! Paris doit comprendre que la Corse peut se gérer elle-même, discuter avec les autres régions autonomes, commercer, avoir des échanges culturels… sans être obligée de lui demander où elle doit mettre le pied. La Corse doit discuter d’égal à égal avec Paris. Nous serons intransigeant à ce niveau-là ! Revenir, dans ces conditions, dans un parti politique, c’est hors de question !
Propos recueillis par Nicole MARI.