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Cinéma corse - Au cœur de la cavale : le "Royaume" de Julien Colonna


Eden Levi Campana le Lundi 13 Janvier 2025 à 17:36

Quand on évoque le cinéma corse, il est tentant de s’attendre à une succession de clichés : vendetta, famille, montagnes sauvages. Trop souvent, la Corse à l’écran se réduit à une carte postale figée dans le temps, un décor pittoresque pour des intrigues superficielles. Mais avec "Le Royaume", Julien Colonna réussit l’exploit de transcender ces stéréotypes, proposant un portrait sincère et dépouillé de toute superficialité, tout en racontant une histoire de cavale…



En Corse, durant l’été 1995, Lesia vit ses premières heures d’adolescente. Orpheline de mère, elle rejoint son père, Pierre-Paul, en cavale, dans une villa isolée. Chef de clan traqué et habitué à naviguer dans un univers de violence, Pierre-Paul n’est pas préparé à jouer le rôle de père. Leur rencontre est marquée par une recrudescence de violences : attaques à main armée, explosions de voitures et répliques sanglantes plongent l’île dans le chaos. Ca nous rappelle des souvenirs.
« Chaque famille a ses secrets, mais en Corse, ils ont le bruit sourd des fusils et la lumière crue des couchers de soleil ». Dans ce climat, Lesia cherche à attirer l’attention de son père. Pierre-Paul, de son côté, se découvre en père aimant et protecteur. Mais dans ce milieu, dans une Corse où les histoires familiales se terminent souvent tragiquement, leur rapprochement est une danse dangereuse, au bord du précipice.


Julien Colonna impose un rythme volontairement long et des cadrages définitivement proches. Ici, la Corse n’est pas une simple toile de fond ou un personnage caricatural. C’est une terre vivante, complexe, où la beauté sauvage se conjugue avec une violence rituelle. « L’île est une scène et chaque pierre un acteur dans cette tragédie antique. » On est loin des guides touristiques : tout respire le vécu. La sueur ressemble à de la vraie sueur, les meurtres à de vrais meurtres, et les accidents à de vrais accidents, les gens à de vrais gens. Exit l'accent ridicule (même de la part d'acteurs locaux qui n'ont vraiment pas besoin de ça) qui laisse la place à l'accent insulaire, celui de nos rues. Chaque détail, chaque geste semble capturé avec une véracité à couper le souffle, immergeant le spectateur dans une réalité tangible.


En cela, Le Royaume évoque une évolution nécessaire du cinéma insulaire, à l’image de ce qu’a connu le cinéma israélien des années 70. Ce dernier, autrefois cantonné à des films de conflits identitaires simplistes, a su se renouveler pour proposer des portraits plus nuancés et universels. De même, Colonna propose ici une œuvre qui, tout en restant enracinée dans sa culture, transcende les récits traditionnels pour toucher à l’universel. « Dans ce royaume d’ombres et de lumières, l’humain s’impose comme le seul paysage. »


Les performances de Ghjuvanna Benedetti (Lesia) et Saveriu Santucci (Pierre-Paul) sont au cœur de cette réussite. Benedetti incarne avec une justesse désarmante l’ambivalence de son personnage, oscillant entre fascination et révolte. Santucci, quant à lui, campe un patriarche complexe, à la fois dur et vulnérable. Ensemble, ils donnent vie à une relation père-fille bouleversante, marquée par une tension émotionnelle constante.


Avec Le Royaume, Julien Colonna offre une œuvre authentique et viscérale, qui capte à la fois la singularité et l’universalité de l’âme insulaire. C’est un film qui ne flatte pas les clichés, mais qui les écorche, les transcende, pour raconter une histoire vraie, forte, et essentielle. Le Royaume ancre ses tragédies dans une terre et un peuple bien réels. « Ici, chaque balle tirée a le poids de l’histoire et chaque larme versée, celui de l’éternité. »