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Dans les pas de François : ma journée à bord du vol papal en direction de la Corse


Michela Vanti le Lundi 16 Décembre 2024 à 17:21

Être journaliste, c’est raconter les autres, les événements, les moments qui façonnent l’Histoire. Mais parfois, dans l’exercice de ce métier, il y a des expériences qui marquent une vie, où l’on traverse les heures comme emporté par une vague, porté par une énergie que rien ne semble pouvoir arrêter. Ce dimanche, suivre le Pape François lors de son voyage apostolique de Rome à Ajaccio a été l’un de ces moments rares, où tout semble à la fois irréel et profondément tangible, où l’intensité des émotions se mêle à l’effervescence du travail journalistique.



Ce voyage est une boucle qui se referme sur un rêve d’enfance. Depuis mes 10 ans, j’avais gardé en moi l’image des voyages de Jean-Paul II, ceux que ma grand-mère me montrait en répétant : « Toi aussi, un jour, tu seras là. » À l’époque, alors que je voulais déjà être journaliste, cela relevait du fantasme. 

Quand, début octobre, une collègue m’a annoncé que le Pape François viendrait en Corse, ma première réaction fut de douter. « Impossible », ai-je répondu. Et pourtant, l’information était bien réelle.
Décidée à tenter l’impossible, j’ai postulé pour accompagner le Saint-Père à bord de son avion,. Une place convoitée par des journalistes du monde entier. Je savais que les accréditations étaient rares, mais, contre toute attente, quelques semaines plus tard, la salle de presse vaticane m’a appelée pour confirmer ma présence. C’était le début d’une aventure.

Tout s’est enchaîné très vite. Réserver un vol pour Rome, trouver un hôtel, organiser les moindres détails. Au Vatican, samedi 14 décembre, après avoir récupéré nos badges, nous avons été réunis pour un briefing presse sous embargo. Salvatore et Matteo, figures incontournables de la salle de presse vaticane, déroulent le programme millimétré de cette journée marathon. Entre instructions logistiques et mesures de sécurité, tout est pensé pour que chaque minute compte.

À bord, une montée d’adrénaline
La nuit fut courte, presque inexistante. Après deux heures de sommeil, réveil à 4 heures du matin. Une montée en taxi jusqu’au terminal 5 de Fiumicino réservé aux départs des chefs d’État. Même le chauffeur est perdu : « Vous êtes sûre que c’est ici ? » demande-t-il en tournant dans des zones presque désertes. Enfin, nous arrivons. L’excitation monte.
Dans la salle d’embarquement, l’atmosphère est surprenante. Loin des tensions ou des rivalités souvent associées à la profession, j’ai découvert une vraie solidarité. Certains, vétérans des voyages pontificaux,  ayant couvert des dizaines de voyages apostoliques et connu trois papes différents, partagent conseils et anecdotes avec générosité. Cette ambiance solidaire, presque rare dans notre métier, donne le ton de la journée.

À bord, l’ambiance change. Une sorte d’exaltation collective prend vie. Chaque siège devient un microcosme d’activités : ordinateurs ouverts, caméras prêtes, notes griffonnées à la hâte. L’effervescence est contagieuse, portée par l'énergie que l’on ressent face à des moments uniques, où le quotidien s’efface pour laisser place à l’exceptionnel.

Puis le Pape François, affaibli mais souriant, nous adresse quelques mots : « Merci de m’accompagner dans ce voyage. »  Sa voix, marquée par la fatigue, trahit l’ampleur de la journée à venir. Je m’interroge : comment tiendra-t-il face à un programme si exigeant ?



Benvenuto Papa Francescu
Après un vol de quarante minutes, l’avion papal atterrit sur le tarmac de l’aéroport d’Ajaccio. L’image est forte, presque irréelle. Un moment à la fois émouvant et historique. La Corse est le théâtre d’un événement d’envergure mondiale et moi j’ai le bonheur d’en être un témoin privilégié. Je pense à cet instant d’octobre où je croyais ce voyage impossible. Et pourtant, le Saint-Père foule bien le sol de l' île.
Dès la descente du Pape François, tout s’enchaîne rapidement,  l’organisation est impeccable. Salvatore et Matteo, nos anges gardiens de la salle de presse vaticane, orchestrent nos déplacements avec une précision remarquable. Chaque journaliste est positionné à des endroits stratégiques pour immortaliser les premiers instants du Saint-Père sur l’île.

Je filme la descente du Pape François accueilli par les autorités. À travers l’objectif, son visage marqué par la fatigue semble en dire long sur l’intensité de sa mission. Le protocole, bien que respecté à la lettre, n’a pas l’air d’être son moment de prédilection. « Ce n’est pas ce qu’il préfère, » confie un journaliste vétéran, qui a accompagné le Pape lors de ses 47 voyages apostoliques. « Ce qu’il recherche avant tout, c’est le contact direct avec les gens. »


VAMP (Vatican Accredited Media Personnel)
Quelques minutes avant la fin de la séquence, alors que les autres journalistes continuent leur travail, nous, les VAMP (Vatican Accredited Media Personnel), sommes guidés vers les bus qui nous emmèneront au Palais des Congrès, quelques instants avant l’arrivée du Saint-Père.
En traversant les rues
 vides d’Ajaccio, je réalise la chance que j'ai : celle d’une rare proximité, d’une place privilégiée, non seulement pour voyager avec le Pape, mais aussi pour voir la ville à travers son regard, une perspective unique et intime.

L'arrivée sur le front de mer est un spectacle émouvant : des milliers de personnes pleines d’enthousiasme, attendent dans un silence respectueux. Les banderoles “Francescu benvenuto in Corsica”  flottent dans l’air, tandis que les regards, chargés d’impatience, scrutent l’horizon. L’effervescence qui monte est palpable, une attente collective marquée par l’espoir d’un instant historique.

Nous arrivons au Palais des Congrès, ici le rythme s’accélère. Après son premier discours, François monte dans sa papamobile pour une déambulation parmi la foule. "On sait quand ça commence, mais on ne sait jamais quand ça se termine", me confie un journaliste expérimenté. "Le Pape aime le hors-programme. Il s’arrête quand il en a envie, à l’improviste, pour échanger, saluer, ou simplement prendre le temps avec les gens" .  Et donc même à Ajaccio Sua Santità s’arrête, échange quelques mots, prend le temps de bénir des enfants, et même accepte une pizza en forme de cœur, offerte par un pizzaiolo et le bénît.
 

Les VAMP qui ont souhaité suivre cette séquence et desquels je fais partie, l'attendent à la cathédrale. Lorsqu'il arrive, le changement est évident. Le pape est heureux. Écoutant Terra Corsa, il prend le temps de scruter la foule, de regarder ceux qui l'acclament depuis les balcons et les fenêtres. Des voix s’élèvent : « Viva Francesco ! » Il répond en levant la main, son visage s'éclairant d’un sourire sincère. La fatigue semble avoir disparu, comme si le contact avec les gens lui redonnait de l’énergie. « Je te l’avais dit, il aime les gens, » me confie un confrère. Une autre vaticaniste, fidèle à ses côtés depuis le début du pontificat, ajoute : « Il est content, vraiment content d’être là. » Un autre journaliste souligne : « Ce voyage a été organisé en un temps record, c’est exceptionnel. » Le Pape avait promis à son ami, le cardinal Bustillo, qu’il viendrait avant l'année sainte, « et il a tenu parole.»


Après la séquence de la cathédrale, pendant que le Pape se rend à l'évêché, nous sommes reconduits en salle de presse pour poursuivre notre travail. Ici c'est un véritable ballet : les « stand up » s’enchaînaient à un rythme effréné, les directs pour les chaînes télévisées et radios se succédent sans relâche, et les confrères de la presse écrite, plus discrets mais tout aussi déterminés, échangeaient sur l’impact des premiers gestes du Pape, le ton de son discours, les symboles du voyage. Tout le monde est au travail, calculant les angles, sélectionnant les mots, cherchant la meilleure manière de faire passer l'émotion de l’événement. 
 

« Viva Maria »
À 14 heures pile, nous prenons la direction du Casone pour assister à la messe. Ici, la foule est immense et d’une étonnante calme. Le « Viva Maria » résonne dans l’air, la procession des confrères s’avance avec une grande solennité, et l’arrivée de la Madunuccia est saluée avec une ferveur impressionnante. Autour de moi, les journalistes du monde entier, souvent habitués à l’effervescence des grands événements, se laissent emporter par cette ferveur tranquille. « C’est fascinant de voir autant de jeunes ici, » me lance l’un d’eux, admiratif. Même l’organisation, parfaite, n’échappe pas à leur œil exercé.

Là, je réalise toute la portée de du moment. Un événement, suivi par pliure centaines des médias, et moi, journaliste sur place, je me sens petite face à la puissance de ce moment historique. « On ne verra plus ça de sitôt, » analyse une dame, les yeux fixés sur le Pape. « À moins qu’il ne devienne Pape Bustillo, » ajoute un autre, dans un sourire.

Puis, la messe commence. Le Pape, comme il le dira plus tard, n’a jamais vu autant d’enfants dans un même rassemblement, excepté peut-être au Timor oriental. « Prenez soin des aînés, mais aussi des jeunes. Faites des enfants ! » lance-t-il. « Les enfants sont la joie et la gloire de votre peuple. » C’est un appel, direct et sincère, à l’avenir.
 


« Macron n'aime pas attendre »
Alors que la messe n’est pas encore terminée, nous, les 67 journalistes vaticanistes, sommes escortés vers l’aéroport. Le Pape, fidèle à son goût pour les imprévus, prolonge sa présence à la cérémonie, et c’est finalement Emmanuel Macron qui l’attend sur le tarmac. « Macron n'aime pas attendre », glisse un confrère, avant de rajouter, avec un sourire complice : « Mais il y a un truc entre eux... Ils se tutoient. » Une complicité qui ne fait aucun doute. Pendant que l’entretien entre les deux chefs d'État se prolonge, ce qui devait durer une quinzaine de minutes s’étire finalement en 45. Les journalistes installés dans l'avion suivent l’évolution de la situation avec attention. Si certains, concentrés sur leur  travail, poursuivent leurs reportages avec un seul objectif : « Ce qui nous intéresse, c’est le Pape, pas Macron. » D’autres, plus curieux, s’interrogent sur la teneur de la conversation entre les deux hommes, notamment sur le fait que le Pape ait refusé de se rendre à Notre-Dame à Paris.

« Je vous remercie beaucoup pour votre travail »
Lorsque le Pape monte à bord, l’avion Air Corsica décolle enfin. Comme de nombreux journalistes le craignaient il n’y aura pas de conférence de presse, une première pour un vol retour après un voyage apostolique. La raison en est simple : la durée exceptionnellement courte du vole, moins de 40 minutes, ce qui n’était jamais arrivé lors des précédents déplacements internationaux du Pape.

Cependant, dès son arrivée à bord, François, toujours souriant et visiblement en forme, nous adresse un mot de remerciement « Je vous remercie beaucoup pour votre travail, » commence-t-il, avant de faire une observation sur ce qu’il a le plus remarqué au cours de cette visite ajaccienne : « Avez-vous vu le nombre d’enfants ? Pensez à d’autres voyages où vous ne les avez pas vus. » Le Saint-Père souligne la présence de ces enfants, notamment lors de la messe place d'Austerlitz et dans les rues, un contraste frappant avec la réalité démographique de la Corse, qui, malgré tout, reste la région française avec le taux de natalité le plus bas. La Corse est vraiment une terre de paradoxes, je pense, et ce dimanche, une fois de plus, a montré sa capacité à accueillir l’universel dans ses traditions séculaires.

Le vol de retour se termine. Avant de quitter l’appareil, dans un dernier geste de bienveillance, le Pape offre un chapelet aux quatre journalistes corses qui l’ont accompagné, un symbole tangible de ce moment unique et inoubliable.

Au retour. Crédit AFP
Au retour. Crédit AFP


Témoin de l’inoubliable
Après quelques formalités à Fiumicino, Air Corsica nous ramène à Ajaccio. Assise dans l’avion, je laisse enfin retomber la pression. Cette journée, je ne l’ai pas seulement racontée, je l’ai traversée, emportée par quelque chose qui me dépasse encore. Être là, témoin privilégié de ce voyage du Pape François en Corse, n’était pas seulement un devoir professionnel. C’était comme toucher du doigt l’Histoire.

En survolant la Méditerranée, fatiguée, je mesure la chance d’avoir été là. Ce 15 décembre, la Corse n’a  n’a pas seulement accueilli un Pape. Elle a offert au monde une image d’humanité, de simplicité et de foi vivante.
Et moi, dans cet ouragan d’émotions, j’ai trouvé bien plus qu’un récit à transmettre : une certitude, celle d’avoir été témoin de l’inoubliable.