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Devoir de mémoire : des élèves de Bastia racontent leur voyage à Auschwitz


Léana Serve le Mercredi 29 Janvier 2025 à 10:33

Ce mardi 28 janvier, des élèves des lycées Paul Vincensini et Giocante ont présenté leurs travaux pédagogiques, réalisés après leur voyage en Pologne au mois d’octobre. Cette rencontre pédagogique mémorielle s’inscrit dans les célébrations du 80e anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz-Birkenau. L’objectif des élèves : retranscrire ce qu’ils ont vécu, et perpétuer le devoir de mémoire.



“Vous avez été les témoins de ce que l’humanité a fait de pire.” C’est par ces mots que Jean-Martin Mondoloni, proviseur du lycée Paul Vincensini à Bastia, a ouvert la rencontre pédagogique mémorielle dédiée au 80e anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz-Birkenau. Ce mardi 28 janvier, des élèves des lycées Paul Vincensini et Giocante, lauréats du Concours National de la Résistance et de la Déportation et du concours Bulles de Mémoire, accompagnés de leurs professeurs d’histoire-géographie et d’arts plastiques, ont présenté leurs travaux pédagogiques, réalisés après leur voyage en Pologne au mois d’octobre.
 

Avant leur voyage dédié à la “pédagogie des lieux”, c’est tout un travail qui a été réalisé avec Lesia Rogliano, professeur d’histoire-géographie. “Les élèves qui ont participé au Concours National de la Résistance et de la Déportation ont travaillé pendant un an sur le sujet de la Seconde Guerre mondiale et des camps de concentration”, explique-t-elle. “J’ai commencé par leur montrer le film ‘Le rire du bourreau’ d’Elsa Chabrol, qui m’avait beaucoup marquée quand j’avais leur âge. Ils ont ensuite travaillé sur le personnage principal de Noëlle Vincensini, qui était une résistante qui a été arrêtée et torturée par la Gestapo à Montpellier, puis déportée dans le camp de femmes de Ravensbrück.”

Au total, ce sont plusieurs dizaines de “films et témoignages” qu’ont pu consulter les élèves pour se préparer avant leur visite des camps de concentration. Au mois d’octobre, pendant quatre jours, les élèves et leurs professeurs ont pu découvrir un pan de l’histoire de la Pologne : la colline du Wawel, siège du gouvernement général allemand durant la Seconde Guerre mondiale, la synagogue Remuh, l’usine d'Oskar Schindler transformée en musée qui commémore la Shoah, et bien sûr les camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.


“Retranscrire une mémoire que l’on ne voit plus”

Dessins, roman graphique, calques… Suite à leur visite d’Auschwitz-Birkenau, les élèves ont réalisé de nombreuses œuvres. Une façon de “retranscrire une mémoire que l’on ne voit plus”, selon Béatrice Tozzi, professeure d’arts plastiques. “L’art peut donner corps à l’absence. Après cette visite, les lycéens ont dessiné, écrit, mais ce qu’ils ont surtout fait, ce sont des calques. Ils ont notamment voulu représenter des visages d’enfants, car c’est ce qui nous a le plus marqués à Auschwitz. On a essayé de retravailler ce point de rupture et de restitution picturale par le calque, avec un léger gris pour que ce ne soit pas trop violent.” La professeure d’arts plastiques explique qu’un exemplaire des travaux des élèves “va même être envoyé à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah”.

À travers ce voyage, les lycéens ont aussi pu continuer leur apprentissage. “Avec les élèves, nous avons travaillé sur de grandes figures, comme Charlotte Salomon, une artiste peintre allemande qui a préfiguré le roman graphique”, précise Béatrice Tozzi. “Les élèves la connaissaient, et ils ont pu découvrir le lieu où elle a été assassinée à l’âge de 26 ans”. Elle explique également que grâce à cette visite, “certains élèves de terminale en spécialité artistique vont choisir la Seconde Guerre mondiale et les camps de concentration comme axe de travail pour leur matière”.


Perpétuer le devoir de mémoire

Aujourd’hui, les lycéens et leurs professeurs reviennent marqués par leur voyage. “Je savais que le camp était grand, mais en y allant, j’ai pu me rendre compte à quel point il est immense”, lance Lesia Rogliano. “Ce qui m’a frappée, ce sont surtout les tas de cheveux et de chaussures qui rappellent le nombre de déportés qui ont péri dans ce camp.” Béatrice Tozzi, quant à elle, a été surprise par le paradoxe entre la météo et l’histoire du lieu dans lequel elle se trouvait. “Quand on a visité Auschwitz-Birkenau, il y avait un grand ciel bleu. J’ai presque trouvé ça indécent. Il y a une forme de tranquillité qui, selon moi, relève de l’irrespect.”
 

Les élèves aussi ont été marqués par leur voyage en Pologne. Ce mardi, ils se sont succédé pour décrire leur expérience et leur ressenti. “J’ai été heureuse de découvrir ces lieux chargés d’histoire”, déclare Liz. “J’ai éprouvé beaucoup d’émotion et de respect en marchant le long des baraques, et en voyant les objets personnels de tous ces déportés.” Camille, l’une de ses camarades, partage le même avis. “Je pense que je me souviendrai toute ma vie de ces visites. Je me suis rendu compte de ce que le sadisme humain pouvait provoquer.” D’autres élèves évoquent “une expérience bouleversante, où le silence règne”. “Grâce aux bâtiments qui n’ont pas été détruits, j’ai pu imaginer ce que le million de personnes passées par ce camp ont vécu. J’ai été profondément chamboulée, il est impossible de rester indifférent après cette visite.” Lesia Rogliano décrit “une ambiance glaçante”, ressentie chez les élèves. “Au début, on a du mal à se rendre compte de l’horreur. Mais plus on avance, plus on ressent une ambiance pesante. On le voit avec les élèves : ils ne parlent pas, ils marchent en silence, et je pense qu’ils réalisent progressivement qu’ils sont dans un cimetière géant.”

La rencontre pédagogique mémorielle s’est terminée par la lecture d’un témoignage de Danielle Casanova, une résistante corse, déportée à Auschwitz et qui est décédée au sein du camp. Le texte a été lu par Isaline Choury, sa nièce, qui se bat au quotidien pour perpétuer le devoir de mémoire. Désormais, c’est aux jeunes générations de continuer ce travail, “pour qu’un tel événement ne se reproduise plus”. Symbole de ce devoir de mémoire et souvenir de ce voyage en Pologne, Lesia Rogliano a ramené une graine, ramassée dans le camp. “Ce camp, qui a connu la mort, abrite aussi la vie. Nous avons planté cette graine à notre retour, qui a poussé, et j’espère que ce petit chène continuera de grandir, et avec lui, notre devoir de mémoire.”