Il est des absences auxquelles il est difficile de s'habituer. La multiplication des hommages venus de toute part l'atteste : avec Edmond Simeoni, le nationalisme corse perd une ses figures tutélaires, mais la Corse entière ressent aussi ce vide, à travers sa population et sa classe politique, dans ce que ce concept a de plus noble.
A la fois acteur et observateur lucide de la situation de l'île, son parcours épouse les convulsions de celle-ci. Edmond Simeoni a toujours défendu un projet global, à la fois démocratique, culturel et social, dont le préalable passait par un rééquilibrage entre le pouvoir central et les institutions insulaires. Porté par l'idéal d'un peuple corse rendu à la conscience de soi et, comme il l'écrivait, détenteur d'« un droit imprescriptible à la vie », il savait que le chemin serait difficile et semé d'embûches internes et externes.
Le « développement maîtrisé et mieux partagé » qu'il appelait de ses vœux, en y ajoutant un profond souci écologique, il a été presque condamné à en inventer la théorie, à la nourrir de son éloquence persuasive, à rechercher pour elle l'adhésion du plus grand nombre. Il l'a même élargie à la Corse de l'extérieur, cette diaspora qu'il voulait rapprocher de ses racines. S'il est vrai qu'on s'enrichit de ses différences, pensait-il, on peut aussi s'enrichir de ses ressemblances...
Depuis 1975, depuis les événements d'Aleria, la voie était étroite, de la violence alors ressentie comme nécessaire à la non-violence revendiquée d'aujourd'hui. Edmond Simeoni a évolué avec le nationalisme, même si le nationalisme n'a pas évolué en même temps que lui. Car il avait une lecture des contingences factuelles subtile et ouverte à l'anticipation, qui lui avait par exemple permis de mettre en garde – en vain – la lutte de libération nationale sur ses possibles déchirements.
Homme d'action, homme de parole, il savait quand il fallait les joindre ou au contraire les séparer, comme il savait que les convictions les mieux ancrées peuvent quelquefois être assorties de doutes. Il désirait prouver que vouloir une Corse heureuse, libérée de ses contraintes comme de ses démons, ne tient pas que de l'utopie, même si, au fil de l'histoire, le but en apparence proche devient soudain un but plus lointain...
Quelles qu'aient été les circonstances, Edmond Simeoni ne dissociait jamais le politique de l'humain ; il récusait la technocratie source d'indifférence comme la brutalité militante. Cela ne l'a pas empêché de mener le combat qui était le sien jusqu'au bout, sans faillir à ses engagements, sans céder à la tentation des compromissions possibles. Avec les années, on lui reconnaissait une image de sage : il est vrai qu'il menait une réflexion détachée des aléas du moment, libéré des mythes simplificateurs, pour aller à l'essentiel, comme s'il avait deviné que le temps lui était compté. Sa force de conviction lui venait de là ; même ceux qui étaient opposés à ses idées reconnaissaient combien l'échange avec lui était enrichissant et saluaient un homme de dialogue et de respect de l'autre.