Corse Net Infos - Pure player corse

Domaine de Casabianca : les jeunes agriculteurs, en attente d'installation, dénoncent une situation kafkaïenne


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Jeudi 13 Janvier 2022 à 15:16

La FDSEA et les Ghjovani Agricultori Indipendente di Corsica Suprana sont montés au créneau ce jeudi sur le Domaine de Casabianca pour soutenir 24 jeunes agriculteurs en attente d'installation. Attributaires de lots dans le cadre de la liquidation judiciaire de ce domaine, ces derniers commencent à désespérer de pouvoir un jour devenir propriétaires des parcelles qu’on leur a promises. Une situation kafkaïenne avec de nombreuses implications…



La FDSEA et les Ghjovani Agricultori Indipendente Di Corsica Suprana
La FDSEA et les Ghjovani Agricultori Indipendente Di Corsica Suprana
Le Domaine de Casabianca a été placé en liquidation judiciaire il y a cinq ans, en décembre 2016. Dans ce cadre, le ministère de la justice a désigné un liquidateur judiciaire nîmois : Monsieur Roussel, seul habilité à donner le feu vert pour la réalisation de la vente. Or, tout semble aujourd’hui figé. L’homme demeure injoignable. Depuis cinq ans, il ne répond même plus aux lettres recommandées que lui adressent la SAFER, la Collectivité de Corse, l’administration. Pire, il a laissé le domaine se dégrader. Résultat : les 120 hectares de vigne sont morts. Tout est à l’abandon.
 
Une complication : la présence de locataires sur une partie du Domaine
« L’erreur, la faute originelle de ce liquidateur », analyse le Président de la FDSEA de Haute-Corse, Joseph Colombani, « c’est d’avoir voulu faire une vente unique des 469 hectares que comprend le domaine. Il n’a pas pris en compte le fait qu’au moment de la liquidation, 125 hectares étaient déjà à bail ». En pratique, quatre agriculteurs sont locataires de ces 125 hectares. Ils y font, selon le cas, de la vigne, du foin, de l’élevage bovin... Réaliser une vente globale nécessite un accord avec chacun d’eux : les bailleurs sont en effet prioritaires dans le cas de la vente d’un terrain. Cette nécessaire négociation – il faut trouver un terrain d’entente sur le prix – a donc compliqué la donne.
 
L’inquiétude des jeunes agriculteurs
La SAFER a pu faire avancer les choses pour les 344 hectares libres de location : les lots ont été découpés, le prix – environ 3460 euros l’hectare – fixé, et, le 17 mars 2021, 24 attributaires ont été sélectionnés parmi la centaine d’agriculteurs qui avaient fait acte de candidature. Certains attendent ces terrains pour compléter leur exploitation, d’autres, tout simplement pour s’installer : « Lorsque l’on a lancé l’appel à candidature en décembre 2020 », explique Marcu-Maria Albertini, l’un des attributaires « beaucoup se sont tournés vers ce domaine. Parce que, pour pouvoir s’installer comme agriculteur, l’administration nous demande de disposer d’une surface minimale. Moi, j’avais besoin de 5 hectares pour mes plantes aromatiques. Et je comptais sur ces terrains. Les projets les plus pertinents ont été retenus, dont le mien. Et maintenant, j’attends que la situation se débloque ».

Julien Mercinier-Pantalacci, qui fait du maraîchage bio, est inquiet : « Je me suis installé, il y a bientôt deux ans, sur un petit terrain qu’on m’a prêté. Tout juste 4 000 m2 : c’est insuffisant pour vivre ! L’ODARC a accepté mon installation, mais j’ai des engagements : c’est le “temps JA”, “Jeune Agriculteur”. Au bout de cinq ans, je dois avoir mené mon projet à terme. J’ai notamment un objectif économique : je dois, à cette échéance, parvenir à gagner 80 % du SMIC. A défaut, il me faudrait rembourser les aides reçues et la dotation “Jeune Agriculteur”. Ce serait la catastrophe ! C’est pour ça que je compte sur mon lot de Casabianca : pour disposer d’une surface suffisante afin de mener à bien mon installation, mon entreprise. D’ailleurs, nous sommes légitimes, sur ces terrains : mon grand-père y faisait paître ses brebis ! ». 

Les locataires, eux aussi, sont dans l’incertitude. Ils ont fait valoir leur droit en justice par deux fois. Et par deux fois, ils ont gagné. Mais que se passera-t-il à la fin de leur bail ? Si rien n’avance, ils risquent d’être exclus. 
 
D’autres projets à l’arrêt
« Tout cela pèse sur la vie professionnelle de ces jeunes », déplore Joseph Colombani. « Et au-delà, cela impacte également d’autres projets. Car le problème principal pour les jeunes aujourd’hui, c’est le foncier. Il y a la ferme Sainte-Juliette, le champ de tir de Diane… tous ces terrains qui pourraient être récupérés pour les jeunes agriculteurs. Mais l’argent du fonds foncier est bloqué pour Casabianca : tant que les agriculteurs ne peuvent pas acheter leur lot – et donc reconstitué le fonds – il n’y a plus de liquidités disponibles pour les autres projets ».
 
Nommer un nouveau liquidateur pour débloquer la situation
Désireux de dénoncer le manque de réactivité des pouvoirs publics, la FDSEA de Haute-Corse et les Ghjovani Agricultori Indipendente Di Corsica Suprana demandent que l’État, par l’intermédiaire de son représentant - le préfet -, désigne un nouveau liquidateur susceptible de faire aboutir les négociations avec les bailleurs – ils semblent pratiquement d’accord. Cela semble la seule solution pour débloquer la situation. « On n’acceptera pas qu’une personne exploite seul ces 400 à 500 hectares », ajoute l’agriculteur Fabien Lindori. « Notre but, c’est de partager, de faire avancer l’agriculture corse tous ensemble. Si cette action n’aboutit pas, nous en mènerons d’autres ! ».
 
A l’issue de la conférence de presse, les agriculteurs ont improvisé un barrage sur la route territoriale, quelques-uns d’entre eux, autour de Joseph Colombani, passant d’un véhicule à l’autre pour expliquer la situation aux automobilistes bloqués et présenter des excuses.

Peu de temps après, le Préfet de Haute-Corse acceptait un rendez-vous et le barrage pouvait être levé. Une délégation sera reçue vendredi 14 janvier, à 15 heures.

Un barrage a été fait sur la territoriale
Un barrage a été fait sur la territoriale