Les gouvernements passent, les idéologies varient ou font semblant mais, dès que le monde enseignant s'élève contre un changement qu'il juge néfaste, le pouvoir lui oppose le rapport Pisa, programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui, sous l'égide de l'OCDE, note les performances des systèmes éducatifs entre pays. Selon le dernier rapport, sur 75 nations, la France est 26e en mathématiques, 26e en sciences aussi, et 19e en lecture. Arrive en tête dans les trois secteurs Singapour, cette « démocratie autoritaire », où il a plus d'interdits (à commencer par la grève) que de libertés. L'école à la cravache a sans doute du bon...
Soutien de l'opinion
Le rapport Pisa dit, ce que l'on peut comprendre sans lui, que dans la formation globale de l'individu tout se joue dès le primaire. L’État s'appuie là dessus pour impulser un investissement particulier sur les premières années d'école. Soit. Mais pour cela il pratique des coupes claires dans le budget du secondaire. D'où la grève, pour une fois depuis longtemps unitaire avec des syndicats revigorés.
Et, fait nouveau, la population suit. Pendant longtemps, les enseignants ont été les mal aimés de l'opinion publique qui, s'appuyant sur leurs vacances « à rallonge », sur leurs supposés horaires effectifs légers, se liguait pour les dénigrer. Aujourd’hui, le ton change, on l'a constaté avec la grève qui vient de se produire. Le mouvement est soutenu par une large majorité de Français, qui de plus affirment avoir une bonne opinion de l’Éducation nationale et soulignent que le gouvernement ne fait pas assez d'efforts en sa faveur. Le retentissement des récents faits de violence à l'école y est sans doute pour quelque chose, avec peut-être une sorte de mauvaise conscience diffuse des parents qui se déchargent sur les enseignants pour inculquer à leur progéniture, outre les connaissances nécessaire, le savoir-vivre ensemble... Ils ont compris que le métier était loin d'être une sinécure, même avec la vocation chevillée au corps. De plus, la vox populi a enfin admis qu'être face à des élèves, ce n'est pas particulièrement intéressant du point de vue salaire. D'après un rapport de la Banque Mondiale, la France est parmi les pays développés l'un de ceux qui paient le moins ses professeurs. Avec moins de 10 ans d'ancienneté (chiffres Banque Mondiale) le salaire moyen brut en France dépasse à peine les 27 000 euros. Il est de 68 000 euros au Luxembourg, de 60 000 euros en Suisse, de 53 000 en Allemagne...
Un « rééquilibrage »
Un paradoxe : les profs sont mal payés et le lycée coûte cher : la dépense moyenne pour un élève du second degré est de 9 720 euros, celle d'un élève du premier degré de 6 300 euros. La première est en baisse, la seconde augmente, avec ce que le ministre Jean-Michel Blanquer définit comme « le rééquilibrage en faveur de l'école primaire. » Cela rappelle la balance entre essence et diesel... On supprime donc 26 000 postes d'un côté (et 400 administratifs), on en crée 19 000 de l'autre. Pour se défendre, le ministre évoque un déséquilibre historique par rapport aux pays de l'OCDE qui ont des résultats meilleurs, encore selon Pisa. La France dépense 14% de moins que la moyenne pour le primaire et 35% de plus pour le lycée.
Le basculement est en route, et il faudra en principe faire avec – en heures supplémentaires ou par la mise en place de troncs communs réduisant les filières. Cela suffira-t-il ? Une étude de la DEPP (direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance) est formelle : entre 2019 et 2021, 40 000 élèves de plus sont attendus à chaque rentrée. De quoi se faire du souci.