La fièvre catarrhale ovine se propage sur le territoire Corse. Normalement constatée à partir de la fin du mois de septembre, cette maladie, également appelée Bluetongue – signifiant « langue bleue » en raison du symptôme observé chez les bêtes – et véhiculée par les moucherons, est arrivée dès la fin du mois de mai. Une situation particulièrement inquiétante pour les éleveurs insulaires. « La maladie s'est déclenchée très tôt cette année, et le taux de mortalité est particulièrement important. On dénombre déjà près de 1 000 morts », rapporte Fabien Lindori, élu au sein du bureau de la chambre d'agriculture de Haute-Corse. « La plupart des cheptels sont touchés, et ce, sur l'ensemble du territoire Corse, c'est inédit. » Et pour cause, la Balagne, le centre Corse ou encore le Nebbui, jusqu'à présent épargnés par cette maladie apparue en Europe dans les années 1950, vivent de plein fouet cette épidémie. « Le problème, c'est qu'il s'agit d'animaux avec un système immunitaire qui n'était pas préparé à faire face, donc ils souffrent d'autant plus », précise Fabien Lindori.
Une situation alarmante
Ce nombre est d'autant plus préoccupant à ce stade de la saison que cette maladie observée en Corse depuis le début des années 2000 peut sévir jusqu'au mois de décembre. « L'année dernière, nous avons perdu environ 3 000 brebis, mais la maladie ne s'était propagée qu'à partir du mois de septembre. Dans les semaines à venir, le bilan va s'alourdir, car le pic est attendu à partir des premières pluies d'automne », pointe-t-il, particulièrement préoccupé.
Si tous les troupeaux n'ont pas de décès à déplorer, nombreux sont ceux qui présentent des bêtes avec des symptômes de cette fièvre catarrhale de sérotype 8 (variante de la maladie observée depuis 2023). À savoir : faiblesse, langue bleue, fièvre, gonflement de la gorge induisant des troubles respiratoires, œdème de la face, mort… Certains éleveurs font même face à des avortements de leurs brebis. Une situation qui induirait une forte baisse de la production laitière, et par conséquent, un manque à gagner pour les éleveurs.
Un appel urgent à la vaccination
Pour faire face à cette forte vague épidémique virale, Dominique Livrelli, président de l'ODARC (Office du Développement Agricole et Rural de Corse), insiste : « Une seule solution n'est viable à ce stade, à savoir, la vaccination. » « Il faut vacciner l'ensemble du cheptel ovin corse. C'est aujourd'hui le seul moyen pour affronter la maladie, puisque l'on voit que la plupart des troupeaux qui ont lourdement souffert sont ceux qui n'avaient pas été vaccinés. En plus, la démarche est prise en charge à 100 % par l'ODARC », rappelle-t-il. L'opération s’élève à un total de 150 000 euros pour la structure, permettant aux éleveurs de vacciner 80 000 têtes de bétail. Seule l'intervention éventuelle du vétérinaire – qui n'est qu'optionnelle – pour procéder à la vaccination sera aux frais du propriétaire.
Si l'ODARC se montre insistant, c'est tout bonnement parce qu'en 2023, seuls 50 % des éleveurs avaient fait le choix de vacciner leurs brebis. D’ailleurs, pour cette campagne, la structure peut compter sur le soutien de la Chambre de l'agriculture de Haute-Corse. « Il est primordial de vacciner l'ensemble des troupeaux pour que les bêtes puissent, au moins, vivre avec la maladie », appuie Joseph Colombani, président de la Chambre de l'agriculture de Haute-Corse. De son côté, Fabien Lindori précise l'importance du vaccin, surtout pour les éleveurs des régions touchées pour la première fois : « On voit que les bêtes vaccinées sont moins susceptibles de perdre la vie, c'est important de leur offrir les anticorps nécessaires à leur survie. »
Des indemnisations incertaines
Si la vaccination continue cette année d'être prise en charge, les aides d'urgence de 375 000 euros mises en place l'an dernier par l'État et la Collectivité de Corse pour venir en aide aux éleveurs ayant perdu du bétail, ont beaucoup moins de chances d'aboutir en 2024. « Pour l'heure, les indemnisations seront étudiées au cas par cas dans les exploitations qui ont subi le plus de dégâts, mais il n'y aura pas de généralisation. L'année dernière, elles avaient été justifiées par l'apparition du sérotype 8 en Corse. Mais comme il est désormais présent depuis plus d'un an, les indemnisations ne vont pas être débloquées systématiquement », met en garde Dominique Livrelli. Pour prétendre à ces hypothétiques indemnisations, plusieurs critères devront impérativement être réunis : « Le troupeau aura dû être vacciné, les carcasses des animaux auront dû être constatées et enlevées, et le vétérinaire aura dû confirmer la cause de la mort. » Mais pour les éleveurs, ces indemnisations sont tout bonnement indispensables et justifiées.
Et pour cause, selon Fabien Lindori, la fièvre catarrhale n'est autre qu'une conséquence de plusieurs facteurs. À savoir, celle des effets du dérèglement climatique couplés à ceux de l'inflation. « La sécheresse hivernale qui s'est abattue sur la Corse l'année dernière a causé des réactions en chaîne. Les bêtes ont moins bien mangé, et nous, éleveurs, avons été obligés d'acheter davantage de nourriture. Mais avec l'inflation, nous avons nécessairement dû rogner sur la qualité. Ainsi, nos brebis ont attaqué la saison affaiblies, et donc moins préparées à affronter le virus. »
Alors, face à ce raisonnement, Fabien Lindori est inquiet pour ses bêtes, pour l'avenir de la filière ovine, et souhaite lancer un cri d'appel à l'État : « Nous, agriculteurs corses, nous sentons oubliés... »