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François Pernin : « La pauvreté est un problème politique extrêmement grave »


le Dimanche 2 Mars 2025 à 17:25

Dans le cadre de Corsica Pruspettiva 2050, la présidence de l’Assemblée de Corse organisait une conférence sur le thème « Pauvretés et inégalités, présentes et à venir » ce mardi au musée de Bastia en présence de Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l’Université Paris 8 et spécialiste des questions de pauvreté, de précarité et d’inégalités sociales, Christophe Basso, le directeur de l’Insee Corse, et François Pernin, le président de la Coordination inter-associative de Lutte contre l’Exclusion. L'occasion pour ce dernier d'apporter un éclairage sur la situation en Corse et sur les leviers pour faire bouger les choses.



(Photo : X Marie-Antoinette Maupertuis)
(Photo : X Marie-Antoinette Maupertuis)
Un Corse sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, faisant de l’île la région métropolitaine la plus touchée par la précarité. Le constat n’est pas nouveau mais il était au cœur des travaux d’une conférence organisée par la présidence de l’Assemblée de Corse, ce mardi au musée de Bastia. Dans le cadre de Corsica Pruspettiva 2050, Marie-Antoinette Maupertuis, la présidente de l’Assemblée de Corse, Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à l’Université Paris 8 et spécialiste des questions de pauvreté, de précarité et d’inégalités sociales, Christophe Basso, le directeur de l’Insee Corse, et François Pernin, le président de la Coordination inter-associative de Lutte contre l’Exclusion (CLE), se sont penchés sur le thème « Pauvretés et inégalités, présentes et à venir ». L’occasion pour de souligner qu’ « en Corse comme dans le reste de la France, on voit que la pauvreté progresse ». « Or, quand des chiffres progressent, cela prouve que les mesures qu’on prend ne sont pas suffisantes ou suffisamment appliquées », pointe François Pernin en avertissant : « Si on ne change pas nos méthodes, la pauvreté va continuer à gonfler jusqu'à exploser, comme on l'a vu avec les gilets jaunes. Et la crise des gilets jaunes a été interrompue uniquement à cause du Covid ».
 
Si le président de la CLE se réjouit que la Corse ait « un pas d’avance sur le national », dans la mesure où une charte de lutte contre la précarité avait été inscrite dans le Padduc en 2015, puis un plan de lutte contre la pauvreté avait été adopté par l’Assemblée dès 2017, il regrette aujourd’hui que ce dernier « marque le pas ». « Derrière un tel plan, il doit y avoir une volonté politique et une évaluation des mesures en permanence », indique-t-il en déplorant que l’application de certaines actions prévues dans ce plan « qui ne coûtent rien et qui dépendant entièrement de nos propres forces en Corse » ait été très lente pour certaines et même absente pour d’autres. « Ces mesures s’inscrivent dans un ensemble et c’est la mise en place de cet ensemble qui compte », insiste-t-il.
 
Dans ce droit fil, il appelle aujourd’hui à renouveler ce plan, « tout en l’évaluant en permanence » et en « intégrant les personnes touchées par la pauvreté » à sa conception, à sa mise en œuvre et à l’évaluation des différentes mesures mises en place. « Si on veut faire une politique pertinente, il faut qu'elle soit branchée sur les besoins. Et si on mène un plan d'action au niveau de différentes municipalités, de l' intérieur, du littoral et des grandes villes, on aura rapidement 80% du contenu d'une vraie politique contre la pauvreté à faire remonter vers la Collectivité de Corse », explique le président de la CLE en rappelant que l’institution, si elle ne peut pas tout, dispose de « certains pouvoirs, en matière d'enseignement, de culture, de transport, de choix économique, d'emploi, de logement, soit sur beaucoup de facettes de prise en charge de la pauvreté ». Ainsi, il se réjouit de l’organisation de la conférence de ce jeudi. « C’est un signal positif et intelligent qui est envoyé par la présidence de l’Assemblée de Corse, parce qu'elle se place à l'horizon 2050. C’est une bonne manière d'aborder les problèmes pour pas s'occuper simplement de l'instant. Maintenant, il faut que cette parole soit transformée en acte. Et je compte beaucoup sur la présidente de l'Assemblée parce que 2050, ça se prépare aujourd'hui », glisse-t-il en insistant sur le rôle essentiel de la collectivité à une époque où un certain immobilisme de l’État se fait sentir en matière de lutte contre la pauvreté.
 
« On ne demande pas à l'État de tout faire. On demande à l'État de jouer son rôle de chef d'orchestre, d'unir toutes les forces qui trop souvent sont désunies, parfois concurrentes et morcelées. L'État doit faire de la prévention, il doit faire de la sortie de crise, de la recherche, de l'innovation, de l'expérimentation et de l'évaluation. Je pense aussi qu'il faut en arriver à créer un ministère entièrement dédié à la cause de la pauvreté, plutôt que de la morceler dans une transversalité qui n'existe pas entre différents ministères », estime-t-il en notant que « 30% de notre PIB est aujourd’hui consacré à la prise en charge de la pauvreté ». « C'est énorme ! Nous sommes les meilleurs en Europe là-dessus, mais pourtant les chiffres montrent que c'est insuffisant, parce qu'on ne fait que de la politique sociale », explique-t-il en pointant le fait que la pauvreté est avant tout un « problème politique extrêmement grave » qui amène notamment à une « espérance de vie réduite » des plus précaires, mais aussi à un « retour de la faim ». « Et puis, comme dans tous les pays pauvres, la pauvreté engendre, génère et entretient une économie souterraine, une économie mafieuse. On est impacté en Corse en première ligne. La pauvreté est une des sources d'inspiration de main d'œuvre de la mafia. Il faut avoir conscience de tout cela », pose-t-il encore.