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Gilles Filippi, président du Tribunal de commerce de Bastia : "Il est urgent d’agir pour sauver l’économie insulaire"


Christophe Di Caro le Vendredi 20 Septembre 2024 à 09:13

Face à une économie insulaire fragilisée, Gilles Filippi, président du Tribunal de commerce de Bastia, dresse un constat sans appel. Alors que les secteurs du BTP, du tourisme et du commerce sont en difficulté, il appelle à des réformes et une meilleure coordination pour soutenir les entreprises et éviter une crise plus profonde.



Gilles Filippi
Gilles Filippi
L’économie insulaire montre des signes de faiblesse. Quels secteurs sont les plus affectés selon vous ?
L'économie corse est indéniablement sous pression. Les secteurs historiquement porteurs comme le BTP, l'hôtellerie-restauration et le commerce ressentent de plein fouet la baisse d'activité. Cela crée une dynamique inquiétante, car quand ces secteurs vont mal, les autres suivent rapidement. Nous risquons un véritable effet domino, avec des répercussions sur l'ensemble de l'économie insulaire.

Quels sont les premiers indicateurs de cette crise au sein du Tribunal de commerce ?
L’heure n’est pas encore au bilan pour le tribunal, mais nous constatons déjà une augmentation significative des procédures collectives. Lors de notre audience de rentrée, nous avons eu un volume d’affaires élevé. Ce qui est encore plus frappant, c’est le nombre croissant de liquidations judiciaires volontaires. Ces liquidations ne touchent pas uniquement un secteur, elles concernent tous les pans de l’économie, des petites entreprises familiales aux acteurs plus structurés.
 
La Corse semble particulièrement vulnérable aux crises. À quoi cela tient-il selon vous ?
L’insularité reste un facteur déterminant. Elle a toujours été une contrainte pour les entreprises corses, mais aujourd’hui, d’autres défis viennent s’y ajouter. Prenez le secteur du tourisme, par exemple. Nous sommes passés d’une saison relativement étendue à une concentration quasi-exclusivement sur le mois d’août. Cette hyper-saisonnalité, renforcée par les deux dernières années, rend la situation encore plus difficile à gérer pour les entreprises qui peinent à équilibrer leurs finances sur l’ensemble de l’année.

Quelles difficultés rencontrent particulièrement les entreprises corses en ce moment ?
L'une des principales difficultés est l’absence de visibilité mais il y a un autre facteur : le pouvoir d’achat des insulaires. D’une manière générale, cela impacte tout particulièrement les commerces de proximité. Aujourd’hui on parle souvent de BTP et de tourisme qui sont certes les deux piliers de l’économie en Corse, mais il y a aussi le pouvoir d’achat et les commerces qui sont aussi importants. Sans pouvoir d’achat pour les insulaires, pas de commerces de proximité non plus, pas d’économie, pas d’investissements non plus.
  Quel rôle joue le Tribunal de commerce face à ces difficultés ?
Notre mission principale est la prévention. Le Tribunal de commerce est là pour protéger les entreprises, les salariés et les créanciers. C’est son rôle premier. Le Tribunal de commerce n’est pas qu’une chambre de « mort annoncée » d’une entreprise, son rôle premier est bien celui de protéger afin qu’il y ait une continuité dans l’activité d’une entreprise. Pour intervenir aujourd’hui en cas de problème de trésorerie ou de commandes en baisse, il y a de très nombreux leviers qui existent. Cependant, la vraie difficulté que l’on rencontre est qu’il n’y a pas de coordinateur unique. C’est un vrai parcours du combattant pour l’entrepreneur, pour qu’il sache quels sont les leviers qu’il pourra actionner pour qu’on lui vienne en aide, il est perdu. Il faudrait un coordinateur unique pour prendre en charge l’entrepreneur, malheureusement cela n’existe pas.
 
Quels leviers peuvent être activés par les entreprises locales pour faire face à cette crise ?
Il y a, bien sûr, les Prêts Garantis par l’État (PGE) et des dispositifs comme les plans de règlement avec l’URSSAF ou le Trésor Public. Mais comme je l’ai mentionné, sans un coordinateur pour centraliser les démarches, cela reste un parcours du combattant. L’entrepreneur, souvent déjà accablé par ses tâches quotidiennes, n’a ni le temps ni l’énergie de comprendre et d’utiliser efficacement ces dispositifs. Il est urgent de simplifier les démarches et de créer un guichet unique.
Quelles mesures devraient être mises en place pour soutenir l’économie corse ?
Il faudrait absolument que l’ensemble des acteurs puisse échanger, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour des raisons réglementaires. Il faut faire sauter les verrous pour que les discussions puissent être fluides et officielles afin de pouvoir donner un avenir à notre économie. Aujourd’hui la lourdeur réglementaire fait que les différents services de l’État, les collectivités ne communiquent pas entre eux. Il est plus qu’urgent d’agir. Il faut que chacun, en fonction de ses fonctions respectives, puisse se mettre autour d’une table pour échanger de manière fluide et officielle et non plus en aparté. Si on veut donner un avenir à notre économie, il va falloir que cela change.
 
Quels sont les défis majeurs à relever pour assurer une reprise durable en Corse ?
Pour assurer une reprise durable il faudrait déjà traiter les difficultés du présent afin de pouvoir se projeter sur l’avenir. Il y a un vrai caractère d’urgence. Pour les tribunaux de Bastia et d’Ajaccio les constats sont les mêmes et sans équivoque : cela fait quelques années que nous annoncions les difficultés que l’économie corse rencontre aujourd’hui de manière multi-factorielle comme nous l’avons évoqué. Tous les secteurs sont touchés. La solution reste la création d’un service unique pour les entreprises et fluidifier les échanges officiels, formels, entre les services de l’État, les tribunaux, la Collectivité de Corse et les Chambres de commerce. Il est impératif que chacun prenne conscience qu’il y a de réelles difficultés qui touchent absolument tous les secteurs.