Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, devient ministre de l'Intérieur. Aura-t-il en main le dossier corse ? (Ludovic Marin AFP)
La nomination de Bruno Retailleau à Matignon n’augure rien de bon quant à la poursuite du processus de Beauvau. Alors qu’il n’était encore que président du groupe LR au Sénat, le sénateur vendéen avait dénoncé, en mars dernier, l’accord sur l’autonomie conclu entre l’Assemblée de Corse et son prédécesseur en charge du dossier corse, Gérald Darmanin. Résolument sur la ligne dure des anti-autonomistes, il pointe : « deux difficultés absolument majeures. D’une part, la reconnaissance d’une communauté historique, culturelle, linguistique, liée à une terre. Ce serait la constitutionnalisation du communautarisme. La Constitution ne reconnaît qu’une seule communauté : c’est la communauté nationale ». Et d’ajouter : « Reconnaître une communauté historique, linguistique et culturelle revient bien à reconnaître la notion de peuple corse. Un pas dangereux à franchir. Il n’en est pas question ! ». Pas plus qu’il n’est question pour lui d’accepter la dévolution du pouvoir législatif à une collectivité territoriale : « Contourner le Parlement et faire en sorte qu’il n’y ait pas d’habilitation, c’est dangereux ! ». Cela revient, affirme-t-il, à ouvrir « la boîte de Pandore ». S’il n'est « pas opposé par principe à l'inscription des spécificités corses dans la Constitution » et à « donner aux élus corses des outils, notamment pour mieux s'adapter et mieux adapter nos lois de la République », le chef des sénateurs conclut : « S'il y a un pouvoir normatif, législatif, avec le Parlement contourné, plus la reconnaissance d'un communautarisme, pour nous, ce sera non ! ». L’inquiétude est donc forte chez les deux députés nationalistes corses, Michel Castellani et Paul-André Colombani, de voir la question corse passée aux oubliettes ou à la moulinette de la droite dure. Mais comme le résume la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, ce gouvernement et cette nomination posent aujourd’hui plus de questions qu’ils n’apportent de réponse. Tous attendent le discours de politique générale du 1er octobre pour espérer y voir un peu plus clair.
Paul-André Colombani : « Bruno Retailleau ne peut pas être un interlocuteur pour la Corse »
« L’horizon est bouché avec Bruno Retailleau à l’Intérieur. C’est encore trop tôt pour savoir quels seront les ajustements. On ne sait pas qui aura quoi en main, mais on espère tous qu’il n’aura pas en charge le dossier Corse. Bruno Retailleau, c’est la droite la plus conservatrice. C’est celui qui a pris les positions les plus dures à l’égard du dossier Corse. S’il hérite du dossier Corse, il n’y a pas grand-chose à espérer. Il ne peut pas être un interlocuteur pour la Corse ! ». Le député PNC de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud, Paul-André Colombani, ne cache pas son inquiétude sur la nomination du Sénateur LR à Matignon. « Au-delà du dossier Corse, Bruno Retailleau, c’est la fin de l’AME (Aide médicale d’Etat), c’est le droit du sol, etc. Il y a donc tout qui nous sépare ». Il préfèrerait que le dossier Corse soit confié à la ministre chargée du partenariat avec les territoires et de la décentralisation : « On attend que Catherine Vautrin reprenne la main. La logique le voudrait puisqu’on a créé un ministère de la décentralisation. En plus, Catherine Vautrin a des attaches en Corse, je pense qu’elle est un peu plus au fait de ce qui s’y passe que Retailleau ». Mais pas question, pour lui, de balayer, ce qui a déjà été validé : « Le processus d’autonomie est très avancé. Nous avons travaillé pendant deux ans, il n’est pas question pour nous d’entendre que l’on repart à zéro. Où on respecte la démocratie en Corse puisque 77 % des élus de l’assemblée de Corse ont signé le texte sur l’autonomie, ou alors on va vers des temps difficiles ». Pour l’élu nationaliste, il est important que tous les parlementaires corses soient « à peu près d’accord sur le fait de devoir reprendre les discussions. Dans le dossier Corse, il n’y a pas que la reconnaissance de la langue, l’inscription de la Corse dans la Constitution ou le pouvoir législatif, il y aussi d’autres éléments comme la santé… Après, chacun mettra le curseur là où il voudra. S’il n’y a pas de pouvoir législatif, on ne peut pas parler d’autonomie. C’est ce qui nous sépare d’une partie de la droite et de Retailleau ».
Concernant le nouveau gouvernement, Paul André Colombani salue la nomination de trois ministres : « A titre personnel, j’apprécie beaucoup Paul Christophe (ministère des Solidarités) qui a fait partie des gens qui se sont déplacés pour le CHU en Corse. Il était président de la Commission des affaires sociales, il n’a pas eu le temps de la réunir beaucoup. Il y a bien évidemment des gens comme Marc Ferracci qui sont des gens compétents, ouverts et qui connaissent le dossier Corse. J’apprécie également beaucoup Annie Genevard (ministre de l’Agriculture) ou Patrick Hetzel (ministre de l’Enseignement supérieur) qui ont toujours été à l’écoute de nos problèmes. La première est une élue de la montagne, le second est alsacien. Ce sont les gens avec qui nous avons toujours eu de très bons rapports. Maintenant on va voir ce qu’ils vont donner dans ce gouvernement ». Le député de l’Extrême-Sud a redéposé sa proposition de loi sur le CHU en Corse : « Je l’ai redéposée dans la version qui a été votée en Commission. Mais là, il faut repartir de zéro. J’espère la présenter à l’assemblée nationale. Je compte plus sur le Parlement que sur le gouvernement pour la voir adoptée ».
Concernant le nouveau gouvernement, Paul André Colombani salue la nomination de trois ministres : « A titre personnel, j’apprécie beaucoup Paul Christophe (ministère des Solidarités) qui a fait partie des gens qui se sont déplacés pour le CHU en Corse. Il était président de la Commission des affaires sociales, il n’a pas eu le temps de la réunir beaucoup. Il y a bien évidemment des gens comme Marc Ferracci qui sont des gens compétents, ouverts et qui connaissent le dossier Corse. J’apprécie également beaucoup Annie Genevard (ministre de l’Agriculture) ou Patrick Hetzel (ministre de l’Enseignement supérieur) qui ont toujours été à l’écoute de nos problèmes. La première est une élue de la montagne, le second est alsacien. Ce sont les gens avec qui nous avons toujours eu de très bons rapports. Maintenant on va voir ce qu’ils vont donner dans ce gouvernement ». Le député de l’Extrême-Sud a redéposé sa proposition de loi sur le CHU en Corse : « Je l’ai redéposée dans la version qui a été votée en Commission. Mais là, il faut repartir de zéro. J’espère la présenter à l’assemblée nationale. Je compte plus sur le Parlement que sur le gouvernement pour la voir adoptée ».
Michel Castellani : « Mr Retailleau est un centralisateur à tous crins. Ce qui en dit long sur le chemin qui nous reste à parcourir »
« C’est un gouvernement sans nuance, marqué à droite, donc on peut s’attendre à avoir une politique très libérale, ce qui d’ailleurs n’est pas en conformité avec le résultat des élections législatives. Maintenant, il faut attendre le discours de politique générale du Premier ministre pour savoir quelle tonalité exacte et quelles consignes il donnera à ses ministres. On s’adaptera de toute façon ». Le député Femu a Corsica de la première circonscription de Haute-Corse, Michel Castellani, veut rester pragmatique, tout en constatant aussi que la nomination de Bruno Retailleau à Matignon n’est pas un bon signal pour la Corse. « Il est certain que les déclarations antérieures de Mr Retailleau ne portent pas non plus à un optimisme démesuré. Le moins que l’on puisse dire est que qu’il est un représentant du versant montagnard de la politique française, c’est un centralisateur à tous crins. Il craint le communautarisme par rapport à la question Corse. Ce qui en dit long sur le chemin qui nous reste à parcourir. Mais là aussi, nous ferons acte de foi. Nous serons pédagogues ». Il estime, comme son collègue du Sud, qu’il « est impératif de ne pas fermer le dossier Corse. Il y a encore des problèmes spécifiques d’ordre social, économique et culturel qu’il faut essayer, dans des conditions que nous savons difficiles, d’affronter et trouver des solutions adaptées ». Qui sera en charge du dossier Corse de Bruno Retailleau ou de Catherine Vautrin ? La question est, pour lui aussi, cruciale : « C’est un aspect très important parce que les deux sont susceptibles d’avoir le dossier Corse en charge. Personnellement, à priori, je préférerais que ce soit Mme Vautrin parce que j’ai déjà eu à débattre avec elle au sujet de l’hôpital de Bastia, et que cela s’est quand même passé de façon positive. Maintenant, on prendra ce qu’il viendra ». Le député bastiais confie également son scepticisme sur le traitement de deux autres dossiers qu’il a pris à bras le corps. « Il faudra que je vois deux autres ministres sur deux dossiers importants : le nouveau ministre de l’Education nationale pour l’affaire des écoles immersives. La contractualisation est indispensable pour faire vivre et prospérer nos écoles immersives. J’avais un rendez-vous le 4 juillet avec Nicole Belloubet, qui a été annulé puisqu'il y a eu la dissolution. Et puis voir évidemment le ministre du Budget pour la fameuse question de la continuité territoriale, même si je suis très pessimiste sur cette question-là ».
Nanette Maupertuis : « On est dans l’attente d’un certain nombre de signaux et de prises de position »
« On a enfin un gouvernement, c’est quand même une bonne nouvelle, même si ce n’est pas forcément une composition qui reflète l’expression du peuple après la dissolution de l’Assemblée nationale et les nouvelles élections législatives ». La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, avait expliqué dans nos colonnes à quel point l’absence de gouvernement était facteur d’incertitudes et préjudiciable sur tous les plans. Elle estime, cependant, que ce gouvernement fraichement nommé n’en lève pour l’instant aucune, notamment en ce qui concerne la Corse, et pose même plusieurs questions en chaîne. « Il faut attendre la déclaration de politique générale du Premier ministre et voir s’il fait référence à la Corse. S’il ne le faisait pas, ce serait déjà un mauvais signal en soi. La deuxième question est : qui, au sein du gouvernement, sera en charge du dossier Corse ? ». Sans surprise, pour elle aussi, la nomination de Bruno Retailleau à l’Intérieur « n’est pas, dans l’absolu, une bonne nouvelle, compte tenu de ses déclarations antérieures. Il faudra attendre ses propres déclarations ». Elle avance d’autres hypothèses : « Quelqu’un d’autre pourrait être en charge du dossier Corse. La ministre des Territoires et de la décentralisation est une option possible. Le Premier ministre pourrait aussi conserver le dossier. Je note que le ministre des Outre-mer n’est pas rattaché au ministère de l’Intérieur, comme c’était le cas avec Darmanin, mais rattaché directement au Premier ministre. La personnalité de la personne en charge du dossier va forcément jouer ». Une fois cette incertitude levée, se pose une troisième question : le processus d’autonomie sera-t-il sur la table du gouvernement ? Là encore, poursuit-elle, plusieurs options sont possibles : « Soit, rien n’est prévu. Soit, dans la déclaration de politique générale, une perspective est évoquée. Se fera-t-elle sur la base d'un Reset, c'est-à-dire en mettant de côté tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant pour repartir à zéro ? Ce serait un déni de démocratie et du travail qui a été réalisé. Soit, on repart sur la méthode antérieure et surtout sur le résultat qui a été acquis par le vote largement majoritaire de l’Assemblée de Corse. C’était évidemment l’option que je retiendrais ». La présidente Maupertuis rappelle la « parole présidentielle » qui a été formulée devant l’assemblée de Corse, le 26 septembre 2023, « avec un engagement de l’État. Je rappelle aussi que, dans toutes les réunions que nous avons eu à Beauvau, tout était à chaque fois considéré comme des hypothèses possibles à soumettre au Président de la république. Je pense donc qu’il aura aussi son mot à dire dans la définition de la feuille de route avec le Premier ministre ». Et de conclure : « Donc, beaucoup d’interrogations à ce stade. À part poser ces questions-là, je ne vois pas ce qu’on peut dire d’autre. Évidemment, on est dans l’attente d’un certain nombre de signaux et de prises de position. C’est une attente qui n’est pas passive parce que, dans l’intervalle, nous avons continué à travailler sur l’écriture constitutionnelle et le transfert de compétence, notamment sur la loi organique. Dans ce cadre-là, vendredi matin, nous avons auditionné le Secrétaire général de la Nouvelle-Calédonie pour qu’il nous explique exactement les modalités qui ont prévalu pour la Kanakie. Nous allons discuter de cette situation, lundi, en Conférence des présidents ».
Propos recueillis par Nicole Mari.
Propos recueillis par Nicole Mari.