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Grussettu è Prugna : mobilisation citoyenne contre un projet immobilier à Calderaja


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 26 Octobre 2024 à 16:33

La bétonnisation de l’île n’est plus aujourd’hui limitée à son littoral. Ce samedi 26 octobre, un collectif de citoyens organisait une conférence de presse sur la place de la Poste de Grossetu è Prugna. Son objectif : dénoncer un projet de construction d’un complexe d’habitations au cœur même du village, bien loin donc de la mer et de ses plages. Les prémices d’une bétonnisation rampante de la montagne corse ?



Image Paule Santoni
Image Paule Santoni
 
Le village de Grossetu que le site de la mairie de Porticciu – la zone littorale de la commune –présente comme un « village typique de Corse », et dont il vante son église romane du XIe siècle et ses « maisons à l’architecture traditionnelle » est juché à 600 mètres d’altitude. La mer est bien loin. Et pourtant… 
Il y a quelques mois, un permis de construire est affiché devant un terrain situé au cœur du village, au lieu-dit Calderaja, mais qui semble bien pourtant être classé en Espace stratégique agricole. « Comme il n’y a pas de PLU dans le village, se désespère l’un de ses habitants, on a réussi à le rendre constructible. Le propriétaire l’a-t-il vendu ou est-il associé au projet ? Je ne sais pas. » Le fait est que c’est une société parisienne, la SARL Cargot Project spécialisée dans les activités de marchands de biens immobiliers, qui a apposé le grand panneau annonçant aujourd’hui la construction de cinq petits immeubles, pour une surface de plancher de 3812,73 m2, mis à la vente par appartements : « Casa Peraldi », du nom du propriétaire du terrain. C’est ce panneau qui donne aujourd’hui les informations les plus objectives sur le projet. « Tout s’est fait en catimini. Il n’y a eu aucune consultation des habitants », déplore l’un d’eux. 
 
Des logements, oui, mais pour qui ?
Le panneau mentionne la réalisation de 41 appartements d’une surface de 39,99 à 71,20 m2, et de cinq locaux commerciaux. Il est prévu une boulangerie, un SPAR, une pharmacie, une microcrèche. « Un SPAR et une pharmacie, on a déjà ça à Sainte-Marie [NdlR : le village voisin], peste l’un des habitants qui y réside à l’année. Mais c’est de l’habillage ! ça fait bien ! ». De façon concomitante, une partie du terrain sera bien sûr transformée en parkings : sans doute plus de 70 places, même si le chiffre reste à confirmer.
Les logements sont mis à prix « à partir de 136 000 euros », annonce encore le panneau. « Mais apparemment, précise un membre du collectif, il faudra ajouter 8 000 euros pour avoir un parking. » Un montant qui paraît bien élevé pour permettre de s’installer aux jeunes du village ou des environs, qui, comme ailleurs en Corse, ont du mal à trouver des logements à portée de leur bourse. D’autant que ces appartements ont des surfaces bien faibles pour qui voudrait fonder une famille… 
 
 

Un collectif force de propositions
Un riverain a entamé une action en justice… et plusieurs villageois ont fini par soulever le problème. Un collectif s’est formé, porté par le syndicat agricole Mossa Paisana et par Core in Fronte. Mais « ce n’est que la première étape ». Ses membres comptent bien que d’autres se rallieront à leur mouvement – d’ailleurs, des militants de toutes tendances politiques étaient présents lors de la conférence de presse. 
Une partie au moins des habitants s’inquiète des conséquences de ce que certains baptisent déjà « les cages à poule » de Grossetu : des logements qu’ils n’imaginent pas destinés à autre chose que de l’investissement locatif. D’autant que des réalisations similaires, dans les villages alentours, en donnent déjà un aperçu. « Compte tenu du nombre d’appartements, on peut estimer qu’une centaine de personnes risque ainsi de venir s’installer dans le village – si du moins les appartements ne sont pas transformés en locations touristiques. Cent personnes, c’est énorme ! s’exclame une habitante. Le quart du village ! ça va tout bouleverser ! » Au mieux, Grossetu serait ainsi transformer en une sorte de cité-dortoir, pour des personnes n’ayant pas les moyens de se loger à Aiacciu. Au pire, une cité morte l’hiver, qui se remplirait de touristes aux beaux jours. Ne parlons pas de « notre supérette, qui nous sert bien depuis des années, et qui sera concurrencée par le SPAR ! Y’a du respect de rien ! ». Les agriculteurs sont également inquiets : l’un d’eux fait notamment transiter ses brebis par le chemin qui passe en bordure des futurs immeubles. Quelles seront les réactions des futurs occupants face à ces activités agricoles ?  Enfin, ceux qui étaient venus chercher le calme au village, comme « ce couple de jeunes bretons qui a acheté une petite maison juste à côté », s’inquiètent également des nuisances qu’un tel complexe ne devrait pas manquer d’apporter. 
 
Le collectif dénonce une « artificialisation de l’espace villageois » qui fait pendant aux réalisations qui ont transformé la marina de Porticciu en station balnéaire touristique. Soulignant la nécessité de « maîtriser notre foncier […] et toute spéculation », mettant en avant à la fois les arguments environnementaux et la nécessité de préserver « l’aspect historique, traditionnel et harmonieux du village », le collectif dénonce ce qui s’apparente à une « indécence immobilière » dans un contexte où la hausse constante des loyers rend de plus  en plus difficile l’accès au logement pour les Corses les moins aisés. Il fait également des propositions : « Statut de résident avec 10 ans de résidence permanente pour acquérir et construire un bien » ; « permis de location » ; limitation à un seul meublé destiné au marché locatif, par foyer fiscal ; compétence attribuée à la Collectivité pour autoriser les meublés à vocation touristique, « sanctuarisation des terres agricoles et d’élevage ». 
L’action n’en est qu’à ses débuts : « On va discuter entre nous, continue un membre du collectif, et voir l’évolution de leur côté [NdlR : les promoteurs du projet]. On s’adaptera au fur et à mesure. » 

Images PAULE SANTONI
Images PAULE SANTONI