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Haute-Corse : L’Etat veut-il sacrifier le littoral de la plaine orientale ?


Nicole Mari le Dimanche 22 Septembre 2013 à 22:57

C’est un rapport du BRGM qui met le feu aux poudres. Censé trouver les moyens de stopper le phénomène d’érosion qui ronge les plages corses et détruit le littoral de la plaine orientale, il propose, surtout, de ne rien faire, faute d’enjeux économiques ! Encore plus surprenant, il préconise un recul stratégique à l’intérieur des terres. Pour les acteurs du tourisme, qui, de Bastia à Solenzara, ont engagé une lutte désespérée contre l’érosion de leur outil de travail, c’est la consternation et la colère. Une question sous-jacente se pose : l’Etat veut-il sacrifier la plaine orientale sur les fonds baptismaux du port de la Carbonite ?



Littoral de Venzolasca
Littoral de Venzolasca
L’étude était très attendue, à la fois, par les services de l’Etat, les collectivités et les professionnels du tourisme. Diligentée par l’Etat et menée en partenariat avec la DDTM2B (Direction départementale des territoires et de la mer de Haute-Corse) et le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), elle avait pour but de préconiser des mesures de protection contre l’érosion et les submersions marines sur le littoral de la plaine orientale, de Bastia à Solenzara, mesures qui influenceront les décisions publiques en la matière. Pour cela, elle a découpé et compartimenté le littoral en cellules sédimentaires. Sur chaque cellule, elle devait trouver « une solution aux aléas côtiers » en proposant la meilleure technique de protection possible, qui diffère d’un écosystème à un autre. Effectuée en novembre 2012, l’étude a été publiée sur le site du BRGM en juillet 2013. Depuis, la colère gronde !
 
La solution du laisser-faire
Elle gronde d’autant plus, que les professionnels du tourisme installés sur la côte, déjà confrontés à l’épineuse problématique du rétrécissement, voire de la disparition progressive des plages qui bordent leur établissement ou leur camp de vacances, avaient fortement besoin d’être rassurés. C’est ce que n’ont pas manqué de faire les rédacteurs de l’étude qu’ils avaient rencontrés avant sa publication en juin. « Ils nous ont dit de ne pas nous inquiéter ! Ils allaient préconiser des mesures de protection. Nous étions assez optimistes. Au final, cette étude préconise surtout de ne rien faire, de laisser évoluer le milieu naturellement ! Elle ne propose aucune mesure proprement dite sous prétexte que, sur certains secteurs, comme celui, par exemple, du Golo jusqu’au Fiumalto, il n’y a pas véritablement d’enjeux économiques et touristiques », raconte, amer, le propriétaire du camp de vacances de Cap Sud, situé sur la commune de Venzolasca, l’une des plus fortement impactée par le phénomène d’érosion.
Si sur certains secteurs, l’étude remplit son objectif en recommandant des méthodes douces de protection, comme la reconstitution des cordons dunaires ou la technique du by-pass pour rétablir l’apport de sédiments entre le Sud et le Nord du port de Taverna, ces préconisations sont, de manière générale, en effet, bien curieuses !
 
Un recul stratégique
Sur 8 des 17 secteurs concernés, le BRGM prône, soit de laisser l’érosion continuer son travail de destruction, soit un recul stratégique, c’est-à-dire un retrait des constructions existantes dans les terres ! « En clair, soit on recule maisons, restaurants, camps de vacances… soit on les abandonne ! Que deviennent, alors, les propriétaires et les professionnels concernés ? Nul ne semble s’en préoccuper ! Seront-nous expropriés et indemnisés ? Si nous décidons de reconstruire plus en amont dans les terres, au cas où nous en aurions la possibilité, qui paiera le coût de la destruction et de la reconstruction ? Outre le coût de cette relocalisation, encore faudrait-il qu’il y ait des terrains disponibles et constructibles ! Ce recul stratégique, c’est du pipotage pour botter en touche et nous prévenir qu’au final, on va saboter nos affaires ! De Bastia à Solenzara, nous deviendrons une zone sinistrée », s’insurge la propriétaire du domaine Riva Bella, situé sur la commune de Linguizetta, où l’étude conseille justement ce recul stratégique.
Dans la même situation, sur le cordon lagunaire de la Marana, un propriétaire de camp de vacances ironise : « Dans quel arrière-pays allons-nous reculer ? Dans l’étang ? Sur pilotis ? C’est aberrant ! ». Le BRGM se garde bien de donner un quelconque élément de réponse. « Nous avons posé la question à la DDTM qui nous a répondu : Bonne question ! ».
 
Une méthode critiquée
Les professionnels du tourisme tirent à boulets rouges, non seulement sur les résultats de l’étude, mais aussi sur la méthode employée. La principale critique concerne des oublis tendancieux. L’étude ne reprend pas des éléments que le BRGM avait mis en avant dans des études antérieures. Un exemple : l’étude actuelle estime que le Golo a un très bon débit, alors qu’une étude du BRGM de 1982 affirme que le Golo a été anémié par les barrages de Corscia et de Calacuccia et par le pompage intensif des graviers formant son lit, ce qui a favorisé l’érosion du littoral. Idem pour l’étang de Diana où le BRGM ne tient pas compte d’une étude qu’il a menée en 1986. Plus grave, il omet des éléments importants, notamment les conséquences écologiques de l’accise rocheuse de la digue de la CNPO (devenu aujourd'hui Touristra), commune de Taglio-Isolacio, toujours présente en mer, qui continue de détruire les plages sises au Nord ou les dégâts engendrés par les malformations du port de Taverna.
 
L’Etat curieusement dédouané
Mais, encore plus surprenant, cette étude, censée fournir des solutions à l’érosion côtière, oublie d’en expliquer les causes. Elle ne parle que des effets à long terme. Pas un mot non plus sur une action publique à mener pour freiner l’érosion ! Alors que la responsabilité de l’Etat est patente ! « Comme l’Etat a été condamné à maintes reprises, que ce soit pour la digue de la CNPO, le port de Taverna et pour d’autres ouvrages édifiés sans étude d’impact environnemental, le BRGM omet sciemment d’en parler. Ainsi, l’Etat ne peut plus être mis en cause et ne court plus le risque d’être obligé d’indemniser les propriétaires. Comme la prescription joue en sa faveur, on n’en parle plus », dénonce, encore, le propriétaire de Cap Sud. Le 4 décembre 2000, la Cour d’appel de Bastia a, en effet, condamné la CNPO à payer des dommages et intérêts à des propriétaires de terrains côtiers dégradés par la digue. « Les études environnementales faites sur les dernières retenues construites en aval des barrages pour l’Office hydraulique sont, aussi, passées sous silence. Le BRGM sait bien que la modification du débit d’un cours d’eau influe sur la sédimentation du sable qui ne se déverse plus en mer », ajoute-t-il.
 
Le cheval de Troie du port de la Carbonite
Autre bizarrerie : les services de la DDTM ont sorti une carte déterminant les zones submersibles. Carte qui n’est pas, pour le moment, applicable ! La concomitance des deux publications du BRGM et de la DDTM laisse perplexe. Certains esprits chagrins se demandent si elles n’ont pas un rapport avec la validation du projet de construction du port de la Carbonite. Un projet, aux inévitables conséquences environnementales prévues ou occultées. Si la controverse se focalise sur la destruction inéluctable de l’herbier de Posidonie et de la biodiversité inhérente, tout le monde occulte une autre victime collatérale : le littoral de la côte orientale. Nul ne sait, aujourd’hui, ce que la construction d’un tel ouvrage induira en termes de modifications de courantologie et d’érosion subséquente. Certains maires de communes du Sud, qui ont, pourtant, donné leur aval à la construction du port, craignent, en catimini, la destruction de 90 kilomètres de côtes. Et que dire des dégâts potentiels sur le site de la Marana, dont certains n’hésitent pas, toujours en sourdine, à prédire la ruine ! Exagérée ou pas, la crainte fait son chemin. Pour certains, l’étude du BRGM n’est qu’un artifice pour préparer le terrain, le cheval de Troie de la DDTM pour faire passer l’amère pilule du port de la Carbonite.

Haute-Corse : L’Etat veut-il sacrifier le littoral de la plaine orientale ?
Un appel à soutien
Les professionnels du tourisme ne sont, là aussi, pas décidés à se laisser faire. L’UMIH (Union régionale des métiers et des industries de l’hôtellerie de Corse) a lancé un appel à soutien qui a, déjà, été signé par l’ensemble des acteurs du secteur, hôteliers et propriétaires de campings, par leurs salariés et leurs fournisseurs, par des syndics qui gèrent des lotissements de bord de mer, par nombre de propriétaires riverains, par la totalité des maires des communes concernées et par le président de l’Association des maires, Ange-Pierre Vivoni. Les hôteliers ont demandé à Maria Guidicelli, la conseillère exécutive en charge du PADDUC, d’être leur porte-parole auprès du Préfet. « Aux Assises du littoral, on nous a dit que nous serions expropriés. Nous sommes d’accord pour que le trait de côte soit en recul pour les futures constructions, mais nous avons demandé que les établissements en dur, existants depuis 37 ans en moyenne, soient protégés. Pour cela, il suffit de modifier le port de Taverna, de finir de détruire l’accise de la digue de la Touristra, ex-CNPO, et d’empêcher le pillage des gravats des rivières », explique la propriétaire de l’hôtel San Pellegrino, situé sur la commune de Penta-di-Casinca, également membre du Conseil économique et social.
 
La fronde s’organise.
L’étude sera présentée, à la préfecture de Bastia, devant l’ensemble des maires de Haute-Corse, le 23 septembre. Le 30 septembre, des représentants de l’UMIH seront, à leur demande, reçus par le préfet de Haute-Corse et des responsables de la DDTM et du BRGM pour comprendre le but de cette étude et les suites qui lui seront donnée. « Nous allons demander aux services de l’Etat pourquoi ils ont diligenté cette étude uniquement sur le secteur qui va de Bastia à Solenzara ? Pourquoi ne l’ont-ils pas diligentée ailleurs en Corse ? Faut-il en conclure que la soi-disant érosion naturelle ne toucherait que ce bout de côte ? », s’interroge, encore, la propriétaire de l’hôtel San Pellegrino.
Les professionnels du secteur et les propriétaires riverains entendent obtenir des engagements clairs et précis de l’Etat. A défaut, ils sont prêts à créer un Collectif de défense du littoral de la Plaine orientale, commander une contre-expertise et même, au cas échéant, à ester en justice.
 
Des enjeux réels
L’UMIH fait remarquer que, malgré le mépris du BRGM, l’enjeu économique est bien réel. La Plaine orientale, c’est plus de 900 salariés et 30% des nuitées insulaires. Sans compter les autres structures touristiques et toutes les activités et emplois induits. Une grande partie de l’activité économique dépend directement de l’activité des établissements de bord de mer. Selon l’INSEE, ce serait plus de 7 000 emplois directs et indirects qui seraient concernés. « Comment est-il possible aux soi-disant experts du BRGM et de la DDTM d'affirmer que cette zone ne vaut rien économiquement ? C’est, d’ailleurs parce que nous ne représentons rien que le Conseil général et Femu Qui ont mis autant d’argent pour remettre sur pied la CNPO, c’est logique ! », raille le propriétaire de la résidence de vacances Casa Marina, située à Moriani Plage avant d’avertir : « Nous ne nous laisserons pas sacrifier ! ».
Les enjeux sont, aussi, écologiques. Cette bande de littoral regorge d’espèces endémiques rares et précieuses, comme les genévriers oxycèdres marins, multiséculaires, uniques en Corse, qui se retrouvent les racines dans l’eau salée. La politique du laisser-faire du BRGM les condamne à mort.
Interrogé, le BRGM est aux abonnés absents. Il tente, en sous-main, d’apaiser la fronde qui menace, estimant que l’étude est préconisatrice, pas décisionnelle. Néanmoins, ce sont sur ses recommandations que l’Etat prendra des décisions qui engageront l’avenir de tout un territoire.
Affaire à suivre.
 N. M.

Littoral de Linguizetta.
Littoral de Linguizetta.