Vendange dans le domaine Arena AOP Patrimoniu en Haute-Corse. Photo CNI.
- Comment se présente cette vendange 2024 ?
- En ce temps de vendange, je ne peux pas ne pas avoir une pensée pour tous ces hommes qui, il y a 49 ans, sont entrés dans la cave d’Aleria pour défendre, à la fois, notre terre et la viticulture corse qui était au plus mal dans les années 70. Si aujourd’hui, je suis vigneron, ce n’est pas seulement par mon histoire familiale, mais aussi grâce à eux. Je tiens également à saluer Pierre de Bernardi, précurseur de toutes les AOC en Corse. Concernant les vendanges, c’est une année très délicate d’un point de vue sanitaire à cause de la pluviométrie du printemps. Bien que cette pluviométrie ait permis de compenser les trois années de sécheresse, elle a engendré énormément de maladies, d’abord du mildiou et maintenant une forte présence de cicadelles dans certains vignobles de Corse, ce qui provoque des blocages de maturité. De ce fait, la vendange 2024 est assez mitigée. Elle varie selon certaines AOC et même certaines parcelles. D’une parcelle à l’autre, à deux ou trois kilomètres de distance, tout peut changer du tout au tout. Sur notre domaine, nous sommes satisfaits parce que nous allons bientôt finir les vendanges. Nous avons commencé parmi les premiers aux alentours du 10 août. Nous avons vendangé le blanc. Nous avons attaqué le rouge en espérant finir les vendanges juste avant à Santa di u Niolu. Mais, beaucoup d’amis vignerons, de partout en Corse, ont des difficultés, justement à cause de la cicadelle.
- De quelle façon le vignoble de Patrimoniu, qui est assez protégé des maladies, est-il impacté ?
- Le vignoble de Patrimoniu est, en effet, assez protégé, côté Nord. Malheureusement, des amis vignerons ont des parcelles touchées par la cicadelle et le mildiou dans la plaine d’U Poghju d’Oletta qui fait partie de l’AOC Patrimoniu. On y constate une forte présence de cicadelles et des blocages de maturité. Ce phénomène touche toutes les régions de Corse. La recrudescence, depuis deux ans, de la cicadelle entraîne une maladie qu’on appelle la flavescence dorée. Cette maladie impacte la vigne, mais surtout les feuilles, quelques temps avant la vendange. Sans feuilles, il ne peut pas y avoir de maturité puisque c’est la photosynthèse qui, à travers les feuilles, fait mûrir le raisin.
- Sur un vignoble BIO comme le vôtre, comment luttez-cous contre ce ravageur ?
- En BIO, il n’y a pas grand-chose en matière de traitement. Il faut être vigilant en amont et éviter de trop charger les vignes en azote, ce qui attire la cicadelle. La cicadelle se nourrit essentiellement d’azote. Elle vient se poser sur les feuilles chargées d’azote pour se nourrir avant bien sûr de les piquer et de les griller.
- Quels impacts au niveau de la quantité et de la qualité ?
- C’est une vendange moins quantitative. Mais s’il y a moins de quantité que l’an dernier, la qualité est là. Cela reste quand même un bon millésime. Au niveau qualitatif, nous sommes très contents parce que même si c’est compliqué à cause du mildiou, cela reste une récolte conséquente par rapport à celle des années de forte canicule. Pour ma part, je n’ai perdu que 10 % de ma récolte.
- Pour la première fois, certains vignerons ont été contraints à cause de la sécheresse d’irriguer la vigne. Comment réagissez-vous ?
- Patrimoniu, tout le monde le sait, est la seule AOC de Corse à avoir refusé l’irrigation pour plusieurs raisons. Notamment d’un point de vue philosophique, parce que nous considérons que la vigne n’est pas une culture nourricière et que nos amis éleveurs, maraîchers et arboriculteurs doivent passer en priorité. Ceci dit, même si nous ne la pratiquons pas sur l’AOC Patrimoniu, nous comprenons que certains terroirs aient besoin d’un minimum d’irrigation dans d’autres appellations de l’île. Après, c’est toujours la même chose : il y a irrigation et irrigation. Il faut vraiment, là aussi, définir une pratique la plus vertueuse possible. On peut accepter une irrigation bien faite, mais on ne peut pas accepter que certaines vignes soient irriguées jusqu’à la veille de la vendange avec un sol noyé, où l’on s’enfonce comme si nous étions au mois de novembre. Il y a un équilibre à trouver.
- La pénurie d’eau peut-elle devenir un problème au niveau viticole en Corse ?
- L’eau deviendra un problème à partir du moment où, en aval, certains agriculteurs n’ont pas une politique vertueuse de l’arrosage. Elle ne le sera pas si l’eau est utilisée de manière consciencieuse, vertueuse et dans un esprit de partage entre les différentes filières. Il faudra quand même un travail en amont avec certainement de nouvelles infrastructures, des projets structurants pour pallier la pénurie d’eau en général. Le manque d’eau n’est pas spécifique à l’agriculture. Au village, à Patrimoniu, nous avons pâti de ce manque d’eau, cet été, pourtant, nous n’irriguons pas les vignes. À partir du moment où, déjà en aval, l’agriculture pratique une irrigation vertueuse, elle pourra attendre la mise en œuvre de ces projets structurants qui devraient voir le jour dans les 15 prochaines années.
- Il y a eu le gel en avril, la grêle en juillet, la canicule en août… Le changement climatique est-il un vrai défi à relever pour le vignoble corse ?
- Oui. C’est un défi. C’est à nous de nous adapter au changement climatique. Nous adapter, cela veut dire concernant la viticulture de savoir faire des frappes chirurgicales au niveau des maturités, de commencer les vendanges plus tôt, le 10 août, et les terminer vers le 10 septembre. Savoir aussi suspendre le travail deux, trois ou quatre fois s’il le faut et attendre avant de vendanger certaines parcelles. Il faut désormais avoir une flexibilité qu’hier, nous n’avions pas. Nous avions l’habitude de démarrer les vendanges le 1er septembre et de les achever aux alentours du 15 ou 20 septembre. Aujourd’hui, il faut aussi une flexibilité au niveau de la main-d’œuvre et du travail dans les caves. Il faut observer la nature pour s’adapter aux nouvelles conditions météorologiques.
- C’est-à-dire ?
- Par exemple, pour éviter les ravages du gel de la mi-avril ou de la fin-avril ou de la grêle, nous devons tailler nos vignes plus tard pour gagner 15 jours à trois semaines de débourrement. C’est toute une remise en question des méthodes culturales qu’il faut prendre en compte, que ce soit la taille pour un débourrement tardif, l’ébourgeonnage, la date de la vendange, la flexibilité au niveau de la vendange à savoir, comme je l’ai dit, faire trois ou quatre petites séries de vendanges étalées sur un mois ou un mois et demi. Tout cela est une observation qui doit se faire rapidement parce que tout a évolué depuis 15 ou 20 ans. C’est aux vignerons et à l’agriculture en général de savoir s’adapter. Bien entendu, les différents acteurs régionaux doivent être là pour accompagner les agriculteurs, que ce soit la Collectivité de Corse, le CRVI, la Chambre régionale d’agriculture, l’ODARC... Il faudra que, dans les mois et les années qui viennent, tout le monde travaille main dans la main, de concert, pour relever le défi.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- En ce temps de vendange, je ne peux pas ne pas avoir une pensée pour tous ces hommes qui, il y a 49 ans, sont entrés dans la cave d’Aleria pour défendre, à la fois, notre terre et la viticulture corse qui était au plus mal dans les années 70. Si aujourd’hui, je suis vigneron, ce n’est pas seulement par mon histoire familiale, mais aussi grâce à eux. Je tiens également à saluer Pierre de Bernardi, précurseur de toutes les AOC en Corse. Concernant les vendanges, c’est une année très délicate d’un point de vue sanitaire à cause de la pluviométrie du printemps. Bien que cette pluviométrie ait permis de compenser les trois années de sécheresse, elle a engendré énormément de maladies, d’abord du mildiou et maintenant une forte présence de cicadelles dans certains vignobles de Corse, ce qui provoque des blocages de maturité. De ce fait, la vendange 2024 est assez mitigée. Elle varie selon certaines AOC et même certaines parcelles. D’une parcelle à l’autre, à deux ou trois kilomètres de distance, tout peut changer du tout au tout. Sur notre domaine, nous sommes satisfaits parce que nous allons bientôt finir les vendanges. Nous avons commencé parmi les premiers aux alentours du 10 août. Nous avons vendangé le blanc. Nous avons attaqué le rouge en espérant finir les vendanges juste avant à Santa di u Niolu. Mais, beaucoup d’amis vignerons, de partout en Corse, ont des difficultés, justement à cause de la cicadelle.
- De quelle façon le vignoble de Patrimoniu, qui est assez protégé des maladies, est-il impacté ?
- Le vignoble de Patrimoniu est, en effet, assez protégé, côté Nord. Malheureusement, des amis vignerons ont des parcelles touchées par la cicadelle et le mildiou dans la plaine d’U Poghju d’Oletta qui fait partie de l’AOC Patrimoniu. On y constate une forte présence de cicadelles et des blocages de maturité. Ce phénomène touche toutes les régions de Corse. La recrudescence, depuis deux ans, de la cicadelle entraîne une maladie qu’on appelle la flavescence dorée. Cette maladie impacte la vigne, mais surtout les feuilles, quelques temps avant la vendange. Sans feuilles, il ne peut pas y avoir de maturité puisque c’est la photosynthèse qui, à travers les feuilles, fait mûrir le raisin.
- Sur un vignoble BIO comme le vôtre, comment luttez-cous contre ce ravageur ?
- En BIO, il n’y a pas grand-chose en matière de traitement. Il faut être vigilant en amont et éviter de trop charger les vignes en azote, ce qui attire la cicadelle. La cicadelle se nourrit essentiellement d’azote. Elle vient se poser sur les feuilles chargées d’azote pour se nourrir avant bien sûr de les piquer et de les griller.
- Quels impacts au niveau de la quantité et de la qualité ?
- C’est une vendange moins quantitative. Mais s’il y a moins de quantité que l’an dernier, la qualité est là. Cela reste quand même un bon millésime. Au niveau qualitatif, nous sommes très contents parce que même si c’est compliqué à cause du mildiou, cela reste une récolte conséquente par rapport à celle des années de forte canicule. Pour ma part, je n’ai perdu que 10 % de ma récolte.
- Pour la première fois, certains vignerons ont été contraints à cause de la sécheresse d’irriguer la vigne. Comment réagissez-vous ?
- Patrimoniu, tout le monde le sait, est la seule AOC de Corse à avoir refusé l’irrigation pour plusieurs raisons. Notamment d’un point de vue philosophique, parce que nous considérons que la vigne n’est pas une culture nourricière et que nos amis éleveurs, maraîchers et arboriculteurs doivent passer en priorité. Ceci dit, même si nous ne la pratiquons pas sur l’AOC Patrimoniu, nous comprenons que certains terroirs aient besoin d’un minimum d’irrigation dans d’autres appellations de l’île. Après, c’est toujours la même chose : il y a irrigation et irrigation. Il faut vraiment, là aussi, définir une pratique la plus vertueuse possible. On peut accepter une irrigation bien faite, mais on ne peut pas accepter que certaines vignes soient irriguées jusqu’à la veille de la vendange avec un sol noyé, où l’on s’enfonce comme si nous étions au mois de novembre. Il y a un équilibre à trouver.
- La pénurie d’eau peut-elle devenir un problème au niveau viticole en Corse ?
- L’eau deviendra un problème à partir du moment où, en aval, certains agriculteurs n’ont pas une politique vertueuse de l’arrosage. Elle ne le sera pas si l’eau est utilisée de manière consciencieuse, vertueuse et dans un esprit de partage entre les différentes filières. Il faudra quand même un travail en amont avec certainement de nouvelles infrastructures, des projets structurants pour pallier la pénurie d’eau en général. Le manque d’eau n’est pas spécifique à l’agriculture. Au village, à Patrimoniu, nous avons pâti de ce manque d’eau, cet été, pourtant, nous n’irriguons pas les vignes. À partir du moment où, déjà en aval, l’agriculture pratique une irrigation vertueuse, elle pourra attendre la mise en œuvre de ces projets structurants qui devraient voir le jour dans les 15 prochaines années.
- Il y a eu le gel en avril, la grêle en juillet, la canicule en août… Le changement climatique est-il un vrai défi à relever pour le vignoble corse ?
- Oui. C’est un défi. C’est à nous de nous adapter au changement climatique. Nous adapter, cela veut dire concernant la viticulture de savoir faire des frappes chirurgicales au niveau des maturités, de commencer les vendanges plus tôt, le 10 août, et les terminer vers le 10 septembre. Savoir aussi suspendre le travail deux, trois ou quatre fois s’il le faut et attendre avant de vendanger certaines parcelles. Il faut désormais avoir une flexibilité qu’hier, nous n’avions pas. Nous avions l’habitude de démarrer les vendanges le 1er septembre et de les achever aux alentours du 15 ou 20 septembre. Aujourd’hui, il faut aussi une flexibilité au niveau de la main-d’œuvre et du travail dans les caves. Il faut observer la nature pour s’adapter aux nouvelles conditions météorologiques.
- C’est-à-dire ?
- Par exemple, pour éviter les ravages du gel de la mi-avril ou de la fin-avril ou de la grêle, nous devons tailler nos vignes plus tard pour gagner 15 jours à trois semaines de débourrement. C’est toute une remise en question des méthodes culturales qu’il faut prendre en compte, que ce soit la taille pour un débourrement tardif, l’ébourgeonnage, la date de la vendange, la flexibilité au niveau de la vendange à savoir, comme je l’ai dit, faire trois ou quatre petites séries de vendanges étalées sur un mois ou un mois et demi. Tout cela est une observation qui doit se faire rapidement parce que tout a évolué depuis 15 ou 20 ans. C’est aux vignerons et à l’agriculture en général de savoir s’adapter. Bien entendu, les différents acteurs régionaux doivent être là pour accompagner les agriculteurs, que ce soit la Collectivité de Corse, le CRVI, la Chambre régionale d’agriculture, l’ODARC... Il faudra que, dans les mois et les années qui viennent, tout le monde travaille main dans la main, de concert, pour relever le défi.
Propos recueillis par Nicole MARI.