- Quel bilan tirez-vous de l’année judiciaire qui vient de s’écouler ?
- C’est un bilan de maîtrise en termes de réponse à la délinquance. Pour autant, comme en 2022, j’ai demandé aux procureurs de la République de mettre l’accent, au regard de leur évolution, sur les infractions concernent les violences intrafamiliales. C’est une priorité nationale de politique pénale, mais c’est aussi une priorité que j’ai déclinée depuis mon arrivée en 2020 au niveau du ressort de la Cour d’appel de Bastia. La réponse se situe à plusieurs niveaux : préventive, répressive et une réponse qui doit conduire à mieux maîtriser les risques de récidive. Le plan préventif est tout ce qui se situe en amont de l’infraction, notamment la prise en charge et l’accompagnement des victimes afin d’éviter qu’elles soient aux prises avec de nouvelles violences. Le ressort est doté de « Téléphones Grave Danger » répartis entre les deux Parquets. Il y en a, à l’heure actuelle, une quinzaine dans chaque ressort de tribunaux, qui sont utilisés très régulièrement par les services judiciaires. Le « Bracelet antirapprochement » (BAR) a été déployé à la fin de l’année 2021 et utilisé en 2022, mais sa mise en place est beaucoup plus complexe. Il n’a pas encore été déployé dans son entièreté sur les deux ressorts de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.
- Pourquoi ?
- Plusieurs motifs à cela. Le premier est la complexité de mise en œuvre. Les contraintes techniques sont importantes et ne sont pas adaptées à la géographie d’une île comme la Corse. On sait que sur les bandes littorales, il peut y avoir une proximité entre l’auteur des faits et la victime. Ces bracelets sont paramétrés pour interdire à l’auteur de se rapprocher dans un rayon de 2 kms de la victime. Si un auteur, qui porte le bracelet, et une victime résident sur la zone bastiaise, l’auteur, lorsqu’il vaque à ses occupations ou se rend à son travail, est amené par la force des choses à rentrer dans la zone d’exclusion, ce qui déclenche une alarme intempestive sans que pour autant il ait eu l’intention d’aller commettre quelque fait que ce soit à l’égard de son ex-conjointe. Le deuxième motif, ce sont les contraintes techniques qui font que les victimes, auxquelles on le propose, sont un peu effrayées par les questions de paramétrage. Le troisième motif est, pour les victimes, la difficulté à inclure ce bracelet dans le maintien des relations avec leur ex-conjoint, quand il y a des enfants pour lesquels l’ex-conjoint bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement. Tout cela entraîne une certaine réticence vis-à-vis de ce dispositif, alors que le « Téléphone Grave Danger » a été déployé dans sa totalité, à tel point que fin 2022, les procureurs de la République de Bastia et d’Ajaccio ont sollicité la mise à disposition d’autres appareils. J’ai relayé cette demande auprès du ministère de la justice qui y a pourvu.
- Vous ne parlez que des violences faites aux femmes. Sont-elles le cœur des violences intrafamiliales en Corse ?
- Oui ! Dans le traitement que l’on observe au quotidien, les violences faites aux femmes constituent la majeure partie de ces violences. Pour autant, il y a d’autres infractions moins fréquentes, parfois des violences faites sur le conjoint masculin par une conjointe féminine, ou des violences commises sur les enfants par les parents. Ce sont des faits que l’on est amené à traiter quelques fois durant l’année. Il y a aussi des violences sur ascendants, commises par des enfants au préjudice de leurs parents. C’est un facteur d’aggravation.
- Les violences augmentent-elle parce que les femmes les dénoncent de plus en plus ou parce qu’elles prolifèrent dans le climat actuel ?
- C’est difficile de donner une réponse. Il y a toujours ce qu’on appelle un chiffre noir. Ce sont les faits qui n’ont pas été dénoncés et qui, donc, n’ont pas été portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie, encore moins de la justice. Ce chiffre noir, on n’est pas capable de le quantifier. Ce qu’on peut dire, c’est qu’un effort très important a été fait par l’État depuis le Grenelle de septembre 2019. Toute une série de mesures législatives ou d’instructions au travers des circulaires ont été prises et diffusées pour prendre en charge et mieux accompagner les victimes, mais aussi les auteurs. Concernant l’information des citoyens, un effort important a été fait avec des messages de prévention diffusés dans les médias, à travers la télévision, sur l’importance du phénomène, sur la nécessité de dénoncer les faits et de prendre des mesures. Tout cela conduit à une libération plus importante de la parole. Qu’est-ce qui fait la part entre l'augmentation éventuelle des violences ou une libération plus facile de la parole, il est difficile de le dire !
- Comment accompagnez-vous les auteurs de ces violences ?
- Dans le cadre du Grenelle, le gouvernement et les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont mis en place des moyens renforcés, notamment des Centres de prise en charge et d’accompagnement des auteurs d’infractions de violences par conjoint (CPCA). Un centre a été déployé à Corte. Il est animé par des permanents, des psychologues et des travailleurs sociaux. Les auteurs de violences sont orientés par plusieurs moyens. D’abord l’information. Dans les premiers temps de mise en route des CPCA, des hommes se sont présentés volontairement, de manière spontanée, sans que la justice intervienne. Pour autant, le mode classique d’orientation concerne des personnes placées sous main de justice, c’est-à-dire qui ont déjà commis des faits de violences et sont orientés dans le cadre du pré-sentenciel, c’est-à-dire avant l’audience, ou du post-sentenciel. En pré-sentenciel, dans le cadre d’un contrôle judiciaire avec l’obligation de se soumettre à une prise en charge sociale et psychologique, on peut ajouter l’obligation pour la personne de se présenter à ce centre. Le post-sentenciel est le prononcé d’une condamnation avec un sursis probatoire où l’on peut imposer l’orientation vers un CPCA ou des obligations de soins pour une personne alcoolique, par exemple.
- C’est un bilan de maîtrise en termes de réponse à la délinquance. Pour autant, comme en 2022, j’ai demandé aux procureurs de la République de mettre l’accent, au regard de leur évolution, sur les infractions concernent les violences intrafamiliales. C’est une priorité nationale de politique pénale, mais c’est aussi une priorité que j’ai déclinée depuis mon arrivée en 2020 au niveau du ressort de la Cour d’appel de Bastia. La réponse se situe à plusieurs niveaux : préventive, répressive et une réponse qui doit conduire à mieux maîtriser les risques de récidive. Le plan préventif est tout ce qui se situe en amont de l’infraction, notamment la prise en charge et l’accompagnement des victimes afin d’éviter qu’elles soient aux prises avec de nouvelles violences. Le ressort est doté de « Téléphones Grave Danger » répartis entre les deux Parquets. Il y en a, à l’heure actuelle, une quinzaine dans chaque ressort de tribunaux, qui sont utilisés très régulièrement par les services judiciaires. Le « Bracelet antirapprochement » (BAR) a été déployé à la fin de l’année 2021 et utilisé en 2022, mais sa mise en place est beaucoup plus complexe. Il n’a pas encore été déployé dans son entièreté sur les deux ressorts de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.
- Pourquoi ?
- Plusieurs motifs à cela. Le premier est la complexité de mise en œuvre. Les contraintes techniques sont importantes et ne sont pas adaptées à la géographie d’une île comme la Corse. On sait que sur les bandes littorales, il peut y avoir une proximité entre l’auteur des faits et la victime. Ces bracelets sont paramétrés pour interdire à l’auteur de se rapprocher dans un rayon de 2 kms de la victime. Si un auteur, qui porte le bracelet, et une victime résident sur la zone bastiaise, l’auteur, lorsqu’il vaque à ses occupations ou se rend à son travail, est amené par la force des choses à rentrer dans la zone d’exclusion, ce qui déclenche une alarme intempestive sans que pour autant il ait eu l’intention d’aller commettre quelque fait que ce soit à l’égard de son ex-conjointe. Le deuxième motif, ce sont les contraintes techniques qui font que les victimes, auxquelles on le propose, sont un peu effrayées par les questions de paramétrage. Le troisième motif est, pour les victimes, la difficulté à inclure ce bracelet dans le maintien des relations avec leur ex-conjoint, quand il y a des enfants pour lesquels l’ex-conjoint bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement. Tout cela entraîne une certaine réticence vis-à-vis de ce dispositif, alors que le « Téléphone Grave Danger » a été déployé dans sa totalité, à tel point que fin 2022, les procureurs de la République de Bastia et d’Ajaccio ont sollicité la mise à disposition d’autres appareils. J’ai relayé cette demande auprès du ministère de la justice qui y a pourvu.
- Vous ne parlez que des violences faites aux femmes. Sont-elles le cœur des violences intrafamiliales en Corse ?
- Oui ! Dans le traitement que l’on observe au quotidien, les violences faites aux femmes constituent la majeure partie de ces violences. Pour autant, il y a d’autres infractions moins fréquentes, parfois des violences faites sur le conjoint masculin par une conjointe féminine, ou des violences commises sur les enfants par les parents. Ce sont des faits que l’on est amené à traiter quelques fois durant l’année. Il y a aussi des violences sur ascendants, commises par des enfants au préjudice de leurs parents. C’est un facteur d’aggravation.
- Les violences augmentent-elle parce que les femmes les dénoncent de plus en plus ou parce qu’elles prolifèrent dans le climat actuel ?
- C’est difficile de donner une réponse. Il y a toujours ce qu’on appelle un chiffre noir. Ce sont les faits qui n’ont pas été dénoncés et qui, donc, n’ont pas été portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie, encore moins de la justice. Ce chiffre noir, on n’est pas capable de le quantifier. Ce qu’on peut dire, c’est qu’un effort très important a été fait par l’État depuis le Grenelle de septembre 2019. Toute une série de mesures législatives ou d’instructions au travers des circulaires ont été prises et diffusées pour prendre en charge et mieux accompagner les victimes, mais aussi les auteurs. Concernant l’information des citoyens, un effort important a été fait avec des messages de prévention diffusés dans les médias, à travers la télévision, sur l’importance du phénomène, sur la nécessité de dénoncer les faits et de prendre des mesures. Tout cela conduit à une libération plus importante de la parole. Qu’est-ce qui fait la part entre l'augmentation éventuelle des violences ou une libération plus facile de la parole, il est difficile de le dire !
- Comment accompagnez-vous les auteurs de ces violences ?
- Dans le cadre du Grenelle, le gouvernement et les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont mis en place des moyens renforcés, notamment des Centres de prise en charge et d’accompagnement des auteurs d’infractions de violences par conjoint (CPCA). Un centre a été déployé à Corte. Il est animé par des permanents, des psychologues et des travailleurs sociaux. Les auteurs de violences sont orientés par plusieurs moyens. D’abord l’information. Dans les premiers temps de mise en route des CPCA, des hommes se sont présentés volontairement, de manière spontanée, sans que la justice intervienne. Pour autant, le mode classique d’orientation concerne des personnes placées sous main de justice, c’est-à-dire qui ont déjà commis des faits de violences et sont orientés dans le cadre du pré-sentenciel, c’est-à-dire avant l’audience, ou du post-sentenciel. En pré-sentenciel, dans le cadre d’un contrôle judiciaire avec l’obligation de se soumettre à une prise en charge sociale et psychologique, on peut ajouter l’obligation pour la personne de se présenter à ce centre. Le post-sentenciel est le prononcé d’une condamnation avec un sursis probatoire où l’on peut imposer l’orientation vers un CPCA ou des obligations de soins pour une personne alcoolique, par exemple.
- L’autre grande priorité, affirmée depuis des années, est la lutte contre les stupéfiants, pourtant il y en a de plus en plus. Pourquoi ?
- La Corse a été relativement préservée pendant un certain nombre d’années en matière de trafic de stupéfiants. Aujourd’hui, le niveau n’est pas très important, mais on assiste, depuis quelques années, à une montée en puissance des réseaux de trafic liés à des zones de fourniture qui se situent sur le pourtour méditerranéen, notamment dans la région PACA. Marseille est un point bien connu d’alimentation, mais d’autres affaires ont pour origine, soit la région Var-Côte d’Azur, soit la région nîmoise-Montpelliéraine. Les réseaux locaux de redistribution, qui se développent notamment au niveau des deux agglomérations de Bastia et d’Ajaccio, s’approvisionnent auprès de fournisseurs continentaux sur deux types de stupéfiants : le cannabis et la cocaïne. Ces réseaux sont extrêmement nocifs, mais très rémunérateurs pour les trafiquants. C’est la raison pour laquelle les nouvelles générations de délinquants, qui sévissent en Corse, se sont orientées vers ce type de trafic, très intéressant au niveau des revenus frauduleux.
- Ces bandes agissent-elles seules ou sont-elles chapeautées par des groupes criminels ?
- C’est une question que se pose la justice. Ce qu’on peut dire, c’est que la plupart du temps, on a effectivement déterminé des liens, pas forcément très étroits, avec des groupes criminels. Ce type de réseau de distribution, pour pouvoir développer ses activités sur un territoire donné, territoire qui peut correspondre à celui d’un clan criminel que l’on connaît bien, a besoin de tisser des liens avec ce clan, ne serait-ce que pour obtenir l’autorisation de sévir sur ce territoire. Par ailleurs, se pose la question des liens financiers qui peuvent exister entre ces réseaux de distribution et ces clans. Les services d’enquête s’attachent à déterminer la réalité de ces liens.
- Concernant la grande criminalité, malgré quelques affaires emblématiques, on en a l’impression que la dérive mafieuse s’accentue. Comment l’expliquez-vous ?
- Le mot mafia n’est pas, pour moi, adapté à la réalité du fonctionnement de la criminalité corse. Ici, les clans criminels sont extrêmement territorialisés et, même s’ils peuvent avoir des agissements sur toute l’île, ils ont des implantations géographiques en raison d’attachement souvent d’origine familiale. C’est une spécificité qui ne rejoint pas ce qu’on observe avec les mafias. Quand on parle de mafia, on évoque souvent la mafia italienne, mais sur le continent, des mafia russophones ou albanaises sévissent. Ces groupes criminels sont structurés de manière beaucoup plus importante que les clans criminels que l’on observe en Corse. Pour autant, ces clans sont véritablement dangereux à travers leurs activités illicites et les règlements de compte qui sont le phénomène marquant de la haute criminalité. On s’attache au niveau judiciaire à les combattre.
- On a quand même l’impression que le phénomène est endémique ?
- Oui, parce que certains clans ont une implantation historique. La justice s’attache à travers ses actions à combattre cette implantation. Ceux qui critiquent l’action de la justice disent de manière un peu caricaturale qu’on ne voit pas les résultats. C’est largement exagéré ! Les juridictions de Bastia et d’Ajaccio mènent des actions au quotidien, notamment dans le cadre de la lutte contre les réseaux de trafic de stupéfiants. En Corse du Sud, une opération d’interpellation vient de mettre hors d’état de nuire un réseau avec la saisie de stupéfiants, d’argent et d’armes. Il y a aussi, sur un degré de gravité supérieur, une vraie collaboration entre les juridictions de Corse et celles spécialisées du continent, notamment la JIRS de Marseille ou, au niveau national, la juridiction de lutte contre la criminalité organisée, la Junalco qui est à Paris. La JIRS a des dossiers emblématiques à l’égard notamment du groupe criminel dit « Le petit bar », mais pas que. Différentes investigations sont menées sur un certain nombre de groupes criminels et sur les règlements de compte qui sont, la plupart du temps, dépaysés vers la JIRS. On ne communique pas de manière globale et précise sur ces actions parce qu’un certain nombre d’obligations nous lient, notamment le secret de l’enquête et de l’instruction. Mais je peux vous dire qu’au quotidien, des investigations sont menées et les résultats se voient à travers un certain nombre de procès. Encore récemment devant la septième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille ont été jugés toute une série d’individus sur du trafic de stupéfiants qui était adossé à l’affaire du règlement de compte de Bastia-Poretta avec des condamnations significatives en la matière. Très bientôt, la cour d’assises des Bouches-du-Rhône jugera les personnes impliquées dans ce double assassinat. Ces faits relèvent de la très haute criminalité et correspondent aux actions de groupes criminels connus sur l’île.
- La Corse a été relativement préservée pendant un certain nombre d’années en matière de trafic de stupéfiants. Aujourd’hui, le niveau n’est pas très important, mais on assiste, depuis quelques années, à une montée en puissance des réseaux de trafic liés à des zones de fourniture qui se situent sur le pourtour méditerranéen, notamment dans la région PACA. Marseille est un point bien connu d’alimentation, mais d’autres affaires ont pour origine, soit la région Var-Côte d’Azur, soit la région nîmoise-Montpelliéraine. Les réseaux locaux de redistribution, qui se développent notamment au niveau des deux agglomérations de Bastia et d’Ajaccio, s’approvisionnent auprès de fournisseurs continentaux sur deux types de stupéfiants : le cannabis et la cocaïne. Ces réseaux sont extrêmement nocifs, mais très rémunérateurs pour les trafiquants. C’est la raison pour laquelle les nouvelles générations de délinquants, qui sévissent en Corse, se sont orientées vers ce type de trafic, très intéressant au niveau des revenus frauduleux.
- Ces bandes agissent-elles seules ou sont-elles chapeautées par des groupes criminels ?
- C’est une question que se pose la justice. Ce qu’on peut dire, c’est que la plupart du temps, on a effectivement déterminé des liens, pas forcément très étroits, avec des groupes criminels. Ce type de réseau de distribution, pour pouvoir développer ses activités sur un territoire donné, territoire qui peut correspondre à celui d’un clan criminel que l’on connaît bien, a besoin de tisser des liens avec ce clan, ne serait-ce que pour obtenir l’autorisation de sévir sur ce territoire. Par ailleurs, se pose la question des liens financiers qui peuvent exister entre ces réseaux de distribution et ces clans. Les services d’enquête s’attachent à déterminer la réalité de ces liens.
- Concernant la grande criminalité, malgré quelques affaires emblématiques, on en a l’impression que la dérive mafieuse s’accentue. Comment l’expliquez-vous ?
- Le mot mafia n’est pas, pour moi, adapté à la réalité du fonctionnement de la criminalité corse. Ici, les clans criminels sont extrêmement territorialisés et, même s’ils peuvent avoir des agissements sur toute l’île, ils ont des implantations géographiques en raison d’attachement souvent d’origine familiale. C’est une spécificité qui ne rejoint pas ce qu’on observe avec les mafias. Quand on parle de mafia, on évoque souvent la mafia italienne, mais sur le continent, des mafia russophones ou albanaises sévissent. Ces groupes criminels sont structurés de manière beaucoup plus importante que les clans criminels que l’on observe en Corse. Pour autant, ces clans sont véritablement dangereux à travers leurs activités illicites et les règlements de compte qui sont le phénomène marquant de la haute criminalité. On s’attache au niveau judiciaire à les combattre.
- On a quand même l’impression que le phénomène est endémique ?
- Oui, parce que certains clans ont une implantation historique. La justice s’attache à travers ses actions à combattre cette implantation. Ceux qui critiquent l’action de la justice disent de manière un peu caricaturale qu’on ne voit pas les résultats. C’est largement exagéré ! Les juridictions de Bastia et d’Ajaccio mènent des actions au quotidien, notamment dans le cadre de la lutte contre les réseaux de trafic de stupéfiants. En Corse du Sud, une opération d’interpellation vient de mettre hors d’état de nuire un réseau avec la saisie de stupéfiants, d’argent et d’armes. Il y a aussi, sur un degré de gravité supérieur, une vraie collaboration entre les juridictions de Corse et celles spécialisées du continent, notamment la JIRS de Marseille ou, au niveau national, la juridiction de lutte contre la criminalité organisée, la Junalco qui est à Paris. La JIRS a des dossiers emblématiques à l’égard notamment du groupe criminel dit « Le petit bar », mais pas que. Différentes investigations sont menées sur un certain nombre de groupes criminels et sur les règlements de compte qui sont, la plupart du temps, dépaysés vers la JIRS. On ne communique pas de manière globale et précise sur ces actions parce qu’un certain nombre d’obligations nous lient, notamment le secret de l’enquête et de l’instruction. Mais je peux vous dire qu’au quotidien, des investigations sont menées et les résultats se voient à travers un certain nombre de procès. Encore récemment devant la septième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille ont été jugés toute une série d’individus sur du trafic de stupéfiants qui était adossé à l’affaire du règlement de compte de Bastia-Poretta avec des condamnations significatives en la matière. Très bientôt, la cour d’assises des Bouches-du-Rhône jugera les personnes impliquées dans ce double assassinat. Ces faits relèvent de la très haute criminalité et correspondent aux actions de groupes criminels connus sur l’île.
- Cette année a été marquée par la reprise des attentats. Comment traitez-vous ce genre de faits ?
- Compte tenu de la compétence nationale du Parquet national antiterroriste (PNAT), les parquets locaux et le parquet général interviennent en première ligne dès que le fait se produit. Les premières investigations sont menées par les services locaux. Ensuite, la question se pose du caractère terroriste ou pas du fait constaté. C’est dans le cadre de cette analyse que le PNAT décide ou non de se saisir. En dehors des faits de dégradation par explosif qui ont un caractère terroriste, il y a aussi toute une série de faits qui relèvent du banditisme, du racket ou de l’escroquerie à l’assurance. Un certain nombre de biens détruits par incendie ne le sont pas par combustion instantanée, mais parce qu’il y a des intérêts derrière qui peuvent relever du droit commun. Cette analyse, qui est immédiatement menée, doit faire la part de ce qui relève de la clandestinité violente nationaliste et de ce qui relève du droit commun.
- Vous avez aussi posé comme priorité : la lutte contre les infractions liées à l’urbanisme et l’environnement. Sont-elles fréquentes en Corse ?
- C’est une priorité renouvelée depuis la circulaire de politique pénale territoriale du 23 novembre 2012. L’urbanisme est un enjeu important notamment sur la zone littorale. Là encore, face à des intérêts financiers tout à fait juteux, la justice doit faire respecter strictement les règles de l’urbanisme. C’est la raison pour laquelle des investigations sont menées, des procédures sont montées et aboutissent à des condamnations par les juridictions de première instance et d’appel. Rien n’est pire que de condamner et de ne pas exécuter la décision ! Nous avons monté, à mon arrivée, une instance de coopération entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative pour que les dossiers, qui sont en état de recevoir une exécution, soient effectivement exécutés par l’autorité administrative. Notamment la remise en état des lieux lorsqu’une infraction a été constatée et qu’une construction illicite doit être en tout ou partie détruite dans le cadre de cette décision de remise en état. Tout cela amène à réunir l’ensemble des partenaires qui interviennent en la matière sous la double direction de la Coordination de sécurité en Corse et du nouveau secrétaire général qui vient d’arriver. Il s’agit de relancer de manière ferme la mise à exécution des décisions pour avoir une action efficace.
- Toutes les juridictions françaises se plaignent de la surcharge de travail et du manque d’effectif. La tribune des 3000 en a fait l’écho. Quelle est la situation en Corse ?
- Tous les magistrats et fonctionnaires ont été sensibles à cette tribune des 3000 qui a regroupé, dans les mois qui ont suivi, un nombre très important de signataires. C’est le reflet d’un mal-être des services de justice, magistrats en premier lieu, mais aussi fonctionnaires, en regard des difficultés importantes liées notamment au sous-effectif. En tant que chef de cour, j’y suis particulièrement sensible parce qu’il est de ma responsabilité, non seulement de mettre en œuvre ce qui relève de la compétence du procureur général, de décliner la politique pénale voulue par le gouvernement et le ministre de la justice, mais aussi d’utiliser les moyens adéquats pour la mettre en œuvre. Il faut que ces moyens soient à la mesure de ce que l’on nous demande de mettre en œuvre, et ils ne sont pas encore au niveau où il devrait être. Ce n’est pas pour rien que dans les annonces faites le 7 janvier par le Garde des Sceaux, il a été question de maintenir à très haut niveau le budget de la justice, qui a augmenté ces dernières années de plus 8 % par an. Il n’avait pas augmenté de cette façon-là depuis des temps très anciens. Cela veut dire que tout le monde a pris conscience de cette nécessité.
- Compte tenu de la compétence nationale du Parquet national antiterroriste (PNAT), les parquets locaux et le parquet général interviennent en première ligne dès que le fait se produit. Les premières investigations sont menées par les services locaux. Ensuite, la question se pose du caractère terroriste ou pas du fait constaté. C’est dans le cadre de cette analyse que le PNAT décide ou non de se saisir. En dehors des faits de dégradation par explosif qui ont un caractère terroriste, il y a aussi toute une série de faits qui relèvent du banditisme, du racket ou de l’escroquerie à l’assurance. Un certain nombre de biens détruits par incendie ne le sont pas par combustion instantanée, mais parce qu’il y a des intérêts derrière qui peuvent relever du droit commun. Cette analyse, qui est immédiatement menée, doit faire la part de ce qui relève de la clandestinité violente nationaliste et de ce qui relève du droit commun.
- Vous avez aussi posé comme priorité : la lutte contre les infractions liées à l’urbanisme et l’environnement. Sont-elles fréquentes en Corse ?
- C’est une priorité renouvelée depuis la circulaire de politique pénale territoriale du 23 novembre 2012. L’urbanisme est un enjeu important notamment sur la zone littorale. Là encore, face à des intérêts financiers tout à fait juteux, la justice doit faire respecter strictement les règles de l’urbanisme. C’est la raison pour laquelle des investigations sont menées, des procédures sont montées et aboutissent à des condamnations par les juridictions de première instance et d’appel. Rien n’est pire que de condamner et de ne pas exécuter la décision ! Nous avons monté, à mon arrivée, une instance de coopération entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative pour que les dossiers, qui sont en état de recevoir une exécution, soient effectivement exécutés par l’autorité administrative. Notamment la remise en état des lieux lorsqu’une infraction a été constatée et qu’une construction illicite doit être en tout ou partie détruite dans le cadre de cette décision de remise en état. Tout cela amène à réunir l’ensemble des partenaires qui interviennent en la matière sous la double direction de la Coordination de sécurité en Corse et du nouveau secrétaire général qui vient d’arriver. Il s’agit de relancer de manière ferme la mise à exécution des décisions pour avoir une action efficace.
- Toutes les juridictions françaises se plaignent de la surcharge de travail et du manque d’effectif. La tribune des 3000 en a fait l’écho. Quelle est la situation en Corse ?
- Tous les magistrats et fonctionnaires ont été sensibles à cette tribune des 3000 qui a regroupé, dans les mois qui ont suivi, un nombre très important de signataires. C’est le reflet d’un mal-être des services de justice, magistrats en premier lieu, mais aussi fonctionnaires, en regard des difficultés importantes liées notamment au sous-effectif. En tant que chef de cour, j’y suis particulièrement sensible parce qu’il est de ma responsabilité, non seulement de mettre en œuvre ce qui relève de la compétence du procureur général, de décliner la politique pénale voulue par le gouvernement et le ministre de la justice, mais aussi d’utiliser les moyens adéquats pour la mettre en œuvre. Il faut que ces moyens soient à la mesure de ce que l’on nous demande de mettre en œuvre, et ils ne sont pas encore au niveau où il devrait être. Ce n’est pas pour rien que dans les annonces faites le 7 janvier par le Garde des Sceaux, il a été question de maintenir à très haut niveau le budget de la justice, qui a augmenté ces dernières années de plus 8 % par an. Il n’avait pas augmenté de cette façon-là depuis des temps très anciens. Cela veut dire que tout le monde a pris conscience de cette nécessité.
Le Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, entouré des magistrats du siège et du Parquet, lors de sa visite au Tribunal de grande instance de Bastia, le 23 septembre 2022. Photo CNI.
- Ce plan a suscité scepticisme et inquiétude chez des magistrats qui l’estiment insuffisant. Qu’en pensez-vous ?
- Ce plan va dans le bon sens. On aimerait évidemment que ça aille beaucoup plus vite. Pour autant, il faut garder à l’esprit un principe de réalité. Les efforts budgétaires, qui ont été faits sous l’impulsion du ministre de la justice, sont extrêmement significatifs. Ce qui a été mis en œuvre dans le cadre des États généraux de la justice, de remettre à plat l’ensemble des problématiques, de réfléchir autour, de consulter les professionnels du droit et au-delà les citoyens, c’est quelque chose de totalement nouveau. On ne peut pas dire que rien n’a été fait ! Maintenant, il faut que ça s’inscrive dans la durée. Il y a aussi des paramètres à prendre en compte. Un greffier, quand il est recruté, est formé au sein de l’école nationale des Greffes et n'arrive en juridiction qu’après un délai de 18 mois. Pour un magistrat, c’est encore plus long. Quand un jeune auditeur de justice rentre à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), il ne sera opérationnel en juridiction que 31 mois plus tard. Il y a donc toujours un effet retard. Les choses vont dans le bon sens puisque les contingents de nouveaux magistrats, qui rentrent à l’ENM n’ont jamais été aussi importants. Les promotions aujourd’hui comptent 300 magistrats, elles seront plus de 400, c’est quelque chose de significatif. Des efforts ont été faits en termes d’attractivité. Les annonces de fin 2022 du Garde des sceaux sur les augmentations de rémunérations, qui entreront en vigueur en octobre 2023, répondent à une demande récurrente des syndicats concernant l’alignement des rémunérations des magistrats judiciaires sur celles des magistrats administratifs. Du retard a été pris, ces dernières années, en la matière. Ce niveau de rémunération fait partie de l’attractivité, mais il n’y a pas que ça.
- Depuis le 1er janvier, deux mesures sont rentrées en vigueur. D’abord, l’installation des cours départementales de justice. Comment ça se passe en Corse ?
- Ces cours criminelles départementales sont des juridictions qui seront amenées à juger certaines infractions criminelles sans jury populaire. Elles sont composées de cinq magistrats, un président et quatre assesseurs. Deux assesseurs sont des magistrats en fonction, les deux autres peuvent être, soit des magistrats honoraires exerçant les fonctions juridictionnelles, c’est-à-dire des magistrats retraités qui ont postulé pour continuer à servir la justice en tant que magistrats honoraires à fonction juridictionnelle, soit des magistrats à titre temporaire, c’est-à-dire des personnes qui ont un parcours professionnel en relation avec le juridique et qui sont recrutées par le ministère de la justice pour venir renforcer les juridictions. Ces deux types de magistrats sont déjà utilisés dans les juridictions, notamment en tant qu’assesseurs dans les tribunaux correctionnels ou dans des fonctions civiles. La cour criminelle départementale sera installée quand le besoin se fera sentir, c’est-à-dire quand une affaire en relevant sera en état d’être jugée. C’est la raison pour laquelle, le 12 janvier dernier, avec la première présidente, nous avons réuni l’ensemble des magistrats et fonctionnaires du greffe concernés pour nous mettre en ordre de bataille. Nous avons demandé aux tribunaux judiciaires et aux juges d’instruction de nous faire un état des dossiers susceptibles de relever de cette cour lorsque les ordonnances de clôture des instructions et de renvoi devant cette juridiction auront été rendues.
- Qu’est-ce qui relève des cours criminelles départementales ?
- Les infractions qui font courir 15 à 20 ans de réclusion criminelle, à condition que la personne poursuivie soit majeure, donc les mineurs sont exclus, et qu’elle ne soit pas en état de récidive légale. Sans quoi, elle relève de la Cour d’assises. Autre élément important, les ordonnances de mise en accusation, qui ont été rendues en 2022 pour que le dossier soit jugé en 2023, seront examinées par la Cour d’assises, sauf demande spéciale. Par exemple, nous avons deux dossiers de viol qui auraient pu relever de la Cour criminelle départementale, mais comme les ordonnances ont été rendues en 2022, les dossiers sont renvoyés devant la Cour d’assises.
- Comprenez-vous la polémique des Collectif citoyens qui jugent antidémocratique la disparition des jurys populaires ?
- Je la comprends sur le fond, mais sur la forme, elle me semble sans objet. Sur le fond, ce qui relevait autrefois en première instance de la Cour d’assises, par exemple les viols ou les viols aggravés sans état de récidive, les vols avec armes ou les extorsions avec armes, va désormais relever de la Cour criminelle. J’ai bien dit « en première instance », ce qui veut dire que si la personne, qui a été jugée devant la Cour criminelle, estime qu’un jury populaire aurait mieux pris en compte ses arguments que ne l’ont fait les magistrats professionnels, elle a toujours possibilité d’interjeter appel de la décision. Cet appel sera examiné par une Cour d’assises avec jury populaire. C’est un principe procédural qui a été mis en œuvre dans le cas de la création des Cours criminelles départementales. Donc, en vérité, sur le fond, cela peut être compréhensible, sur la forme pas du tout !
- La seconde mesure, qui fait polémique chez les magistrats, est la réduction systématique de trois mois de peine pour les condamnations de moins de deux ans. Quelle est votre position ?
- C’est un peu un retour à ce qui existait avant la création, dans le cadre de la loi pénitentiaire, du crédit de réduction de peine. Aujourd’hui, ce crédit, qui se faisait automatiquement si la personne n’était pas en état de récidive et selon le nombre de mois ou d’années à purger, n’existe plus. C’est un changement qu’il faudra évidemment jauger, mais qui, à mon sens, n’aura pas l’impact que certains voudraient bien lui prêter. Il y aura simplement pour les juges d’application des peines un renforcement de leur contrôle et donc de leur travail au regard notamment du comportement du condamné en détention. À mon sens, c’est un faux débat. Il convient d’attendre que cette mesure soit véritablement mise en application dans le courant de l’année 2023 pour dire si oui ou non, elle a un impact positif ou négatif sur les conditions de détention des personnes condamnées.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Ce plan va dans le bon sens. On aimerait évidemment que ça aille beaucoup plus vite. Pour autant, il faut garder à l’esprit un principe de réalité. Les efforts budgétaires, qui ont été faits sous l’impulsion du ministre de la justice, sont extrêmement significatifs. Ce qui a été mis en œuvre dans le cadre des États généraux de la justice, de remettre à plat l’ensemble des problématiques, de réfléchir autour, de consulter les professionnels du droit et au-delà les citoyens, c’est quelque chose de totalement nouveau. On ne peut pas dire que rien n’a été fait ! Maintenant, il faut que ça s’inscrive dans la durée. Il y a aussi des paramètres à prendre en compte. Un greffier, quand il est recruté, est formé au sein de l’école nationale des Greffes et n'arrive en juridiction qu’après un délai de 18 mois. Pour un magistrat, c’est encore plus long. Quand un jeune auditeur de justice rentre à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), il ne sera opérationnel en juridiction que 31 mois plus tard. Il y a donc toujours un effet retard. Les choses vont dans le bon sens puisque les contingents de nouveaux magistrats, qui rentrent à l’ENM n’ont jamais été aussi importants. Les promotions aujourd’hui comptent 300 magistrats, elles seront plus de 400, c’est quelque chose de significatif. Des efforts ont été faits en termes d’attractivité. Les annonces de fin 2022 du Garde des sceaux sur les augmentations de rémunérations, qui entreront en vigueur en octobre 2023, répondent à une demande récurrente des syndicats concernant l’alignement des rémunérations des magistrats judiciaires sur celles des magistrats administratifs. Du retard a été pris, ces dernières années, en la matière. Ce niveau de rémunération fait partie de l’attractivité, mais il n’y a pas que ça.
- Depuis le 1er janvier, deux mesures sont rentrées en vigueur. D’abord, l’installation des cours départementales de justice. Comment ça se passe en Corse ?
- Ces cours criminelles départementales sont des juridictions qui seront amenées à juger certaines infractions criminelles sans jury populaire. Elles sont composées de cinq magistrats, un président et quatre assesseurs. Deux assesseurs sont des magistrats en fonction, les deux autres peuvent être, soit des magistrats honoraires exerçant les fonctions juridictionnelles, c’est-à-dire des magistrats retraités qui ont postulé pour continuer à servir la justice en tant que magistrats honoraires à fonction juridictionnelle, soit des magistrats à titre temporaire, c’est-à-dire des personnes qui ont un parcours professionnel en relation avec le juridique et qui sont recrutées par le ministère de la justice pour venir renforcer les juridictions. Ces deux types de magistrats sont déjà utilisés dans les juridictions, notamment en tant qu’assesseurs dans les tribunaux correctionnels ou dans des fonctions civiles. La cour criminelle départementale sera installée quand le besoin se fera sentir, c’est-à-dire quand une affaire en relevant sera en état d’être jugée. C’est la raison pour laquelle, le 12 janvier dernier, avec la première présidente, nous avons réuni l’ensemble des magistrats et fonctionnaires du greffe concernés pour nous mettre en ordre de bataille. Nous avons demandé aux tribunaux judiciaires et aux juges d’instruction de nous faire un état des dossiers susceptibles de relever de cette cour lorsque les ordonnances de clôture des instructions et de renvoi devant cette juridiction auront été rendues.
- Qu’est-ce qui relève des cours criminelles départementales ?
- Les infractions qui font courir 15 à 20 ans de réclusion criminelle, à condition que la personne poursuivie soit majeure, donc les mineurs sont exclus, et qu’elle ne soit pas en état de récidive légale. Sans quoi, elle relève de la Cour d’assises. Autre élément important, les ordonnances de mise en accusation, qui ont été rendues en 2022 pour que le dossier soit jugé en 2023, seront examinées par la Cour d’assises, sauf demande spéciale. Par exemple, nous avons deux dossiers de viol qui auraient pu relever de la Cour criminelle départementale, mais comme les ordonnances ont été rendues en 2022, les dossiers sont renvoyés devant la Cour d’assises.
- Comprenez-vous la polémique des Collectif citoyens qui jugent antidémocratique la disparition des jurys populaires ?
- Je la comprends sur le fond, mais sur la forme, elle me semble sans objet. Sur le fond, ce qui relevait autrefois en première instance de la Cour d’assises, par exemple les viols ou les viols aggravés sans état de récidive, les vols avec armes ou les extorsions avec armes, va désormais relever de la Cour criminelle. J’ai bien dit « en première instance », ce qui veut dire que si la personne, qui a été jugée devant la Cour criminelle, estime qu’un jury populaire aurait mieux pris en compte ses arguments que ne l’ont fait les magistrats professionnels, elle a toujours possibilité d’interjeter appel de la décision. Cet appel sera examiné par une Cour d’assises avec jury populaire. C’est un principe procédural qui a été mis en œuvre dans le cas de la création des Cours criminelles départementales. Donc, en vérité, sur le fond, cela peut être compréhensible, sur la forme pas du tout !
- La seconde mesure, qui fait polémique chez les magistrats, est la réduction systématique de trois mois de peine pour les condamnations de moins de deux ans. Quelle est votre position ?
- C’est un peu un retour à ce qui existait avant la création, dans le cadre de la loi pénitentiaire, du crédit de réduction de peine. Aujourd’hui, ce crédit, qui se faisait automatiquement si la personne n’était pas en état de récidive et selon le nombre de mois ou d’années à purger, n’existe plus. C’est un changement qu’il faudra évidemment jauger, mais qui, à mon sens, n’aura pas l’impact que certains voudraient bien lui prêter. Il y aura simplement pour les juges d’application des peines un renforcement de leur contrôle et donc de leur travail au regard notamment du comportement du condamné en détention. À mon sens, c’est un faux débat. Il convient d’attendre que cette mesure soit véritablement mise en application dans le courant de l’année 2023 pour dire si oui ou non, elle a un impact positif ou négatif sur les conditions de détention des personnes condamnées.
Propos recueillis par Nicole MARI.