- Ghjelusia, votre spectacle écrit pour Patrizia Gattaceca, se joue le 14 février au Théâtre San Angelo à Bastia, votre ville de naissance. Un retour aux sources ?
- Je n’ai jamais quitté Bastia. J’y ai encore ma mère, mon frère, mes tantes, mes cousins. Je suis fier que Patrizia porte ce texte, inspiré d’une histoire vraie. C’est la magie du théâtre : parler de la réalité brute en racontant une histoire fictive. Les spectateurs ont très bien accueilli ce texte, qui dit la jalousie des villages, les rivalités, les envies, les regrets… Beaucoup s’y sont retrouvés.
- Vous l’avez créé à Saint Florent en juillet dernier. Vous y teniez particulièrement ?
- C’est mon village, celui de ma famille maternelle. Le maire Claudy Olmeta est un ami très cher. Saint Florent, c’est toute mon enfance et mon adolescence. Mon oncle Sauveur, mon parrain, dont l’humour et la tendresse me manquent chaque jour.
- Au printemps, sortira « Marine Le Pen sur le divan », un essai psychanalytique qui questionne les rapports de la femme politique avec son père, disparu récemment. Pourquoi l’avoir choisie ?
- Marine Le Pen est née pour inspirer un essai psychanalytique ! Sa vie, plus que beaucoup d’autres, est une sorte de combat à la fois pour et contre les idéaux paternels. Elle y résiste, s’en défend mais les rejoint quand même, presque irrésistiblement. Le livre raconte son impossibilité de s’extraire du désir du père, en épousant la même carrière politique que lui, en utilisant les mêmes grosses ficelles du populisme. Et pourtant, elle paraît toujours lutter pour préserver une liberté, une féminité, une puissance singulière, pas seulement inspirée du patriarche.
- Dans ce livre, analysez-vous les stratégies de communication de l’extrême-droite française ?
- Oui. Vous employez d’ailleurs le mot juste. Tout est devenu communication ! Que reste-t-il si nous enlevons la démagogie à ce discours, ni de droite, ni de gauche, ce discours vantant un jour la modération, un autre jour la radicalité, suivant les sondages ? Ce qui reste, c’est une femme fatiguée, récemment endeuillée, qui se réfugie dans l’amour de ses chats, comme pour se persuader qu’elle n’est pas que cette personnalité tonitruante, née pour provoquer.
- Votre parti-pris est-il d’étudier, à la lumière de la psychanalyse, ce que Marine Le Pen a écrit dans son autobiographie ?
- Je m’appuie essentiellement sur ce travail autobiographique, mais également sur des centaines d’heures que Marine Le Pen a accordées à la télévision et à la radio. Cette famille Le Pen, les Français l’ont scrutée pendant des décennies. Elle s’est donnée en pâture aux médias. Comble de l’ironie : le domaine de Jean Marie Le Pen à Saint-Cloud s’appelait Montretout ! Et en effet, personne dans la vie politique n’a connu une telle exposition publique, parfois obscène !
- Vous racontez que Jean-Marie Le Pen n’était pas du tout le personnage public qu’il disait être. Marine Le Pen a-t-elle baigné dans tous ces mensonges ?
- Il y avait en effet un écart terrifiant entre Le Pen défenseur de la bonne famille catholique et le père narcissique, très absent, dépeint par son ex-femme Pierrette comme un tyran domestique. Je ne dirais pas que Marine a baigné dans des mensonges, mais dans une tension perpétuelle où il s’agissait de défendre une cause très imaginaire, la cause patriotique, malgré tout le reste.
- Pensez-vous que Marine Le Pen a ses chances en 2027 et comment comprenez-vous ce succès en tant que psychanalyste ?
- Les extrémistes cherchent un Maître et les petits Maitres se font passer pour des libérateurs. L’extrémisme, c’est un antidépresseur. La démocratie, c’est l’approximation, le ratage, la précarité des institutions, sans cesse remises en jeu par la pensée, l’élaboration. L’extrémisme, c’est l’adhésion et la croyance délirante qu’un monde idéal existe, qu’il s’agit juste d’élire quelques boucs émissaires pour le trouver. Et comme l’époque est à la défaite de la pensée, pourquoi pas une Maîtresse femme au sommet de l’Etat ?
- La montée du Rassemblement National elle-elle due, selon vous, à l’absence de véritable alternative ?
- Nous assistons à la fin du semblant en politique. De plus en plus de citoyens, qui consomment des images du matin au soir sur leur téléphone, seraient tentés de court-circuiter le raisonnement, de simplifier les choses à l’extrême. Et les partis traditionnels apparaissent comme les menteurs. Comme si les autres partis démagogiques et populistes n’étaient pas dans le semblant eux aussi… Tout cela, comme vous le disiez dans votre première question, est la victoire étincelante de la communication sur l’intelligence.
- Vous participez depuis septembre à « Parlons-nous » sur RTL. Pourquoi ce choix ?
- J’avais déjà collaboré à de nombreux programmes sur la station et ils ont pensé à moi pour animer cette émission, à la suite de Caroline Dublanche, qui continue de la présenter avec talent du lundi au jeudi. J’ai dit oui sans hésiter une seconde. RTL est l’une des rares radios à avoir encore une véritable couleur populaire et exigeante.
- Le direct ne vous fait-il pas peur ?
- Non, au contraire. Je suis habitué à ce stress, entre mes interventions télévisées et ma chronique sur Radio J France. J’aime me jeter dans le vide, ne pas penser au montage. Le direct a un point commun avec la scène : même si on a répété, on improvise !
- Préférez-vous la radio ou l’écriture ?
- J’aime les deux exercices. L’écriture, c’est une course de fond, la radio, c’est un sprint. Quand on écrit, on travaille sur l’inachevé, on essaye de dépasser l’approximation. À la radio, on esquisse.
- Continuez-vous d’écrire pour la scène Corse ?
- Oui. Je monte actuellement un spectacle avec Marie-Ange Geronimi, avec laquelle j’ai toujours rêvé de travailler. Elle appartient à la même famille d’âmes que Patrizia. Elle ne triche pas. Et contrairement à beaucoup de comédiens, elle ne s’écoute pas parler, ce qui fait beaucoup de bien quand on travaille avec elle. Comme avec Ghjelusia, j’espère que nous pourrons arpenter les villages, rencontrer la population, proposer des débats, des échanges. Le théâtre, c’est l’oralité retrouvée. On éteint son téléphone, on arrête d’être sollicité par les applis. On est transporté ailleurs, dans une atmosphère que connaissaient les Anciens quand ils n’avaient pas d’écrans pour s’enfuir.
- Après treize livres, dix pièces de théâtre, des centaines d’heures d’émissions, avez-vous accompli tous vos souhaits professionnels ?
- J’ai une pudeur à répondre à cette question. Mes amis me disent que j’ai mérité tout ce que la vie m’a offert. Peut être ! Mais j’ai toujours beaucoup de peine quand je vois certains galérer, ne pas se réaliser. La haine de l’Autre naît de l’envie. Et c’est facilement compréhensible. Je dois dire qu’avec mon parcours, je n’envie plus personne. Je voudrais juste soutenir ceux qui, à leur tour, souhaitent aller loin dans leurs vocations.
- Votre fille Angèle a seize ans. Écrit-elle aussi ?
- Oui, mais elle ne me fait rien lire. Parfois, j’en souffre. Mais à l’adolescence, j’étais comme elle. Dans un tourment continuel. Je n’avais rien. Pas d’éditeur, pas de radio, pas de public. Et je voulais tout construire tout seul, sans l’aide des autres. Nous sommes orgueilleux dans la famille, mais je crois que c’est une force de ne rien attendre. Je n’ai qu’un conseil à donner à ma fille : travailler beaucoup. Échouer parfois. Se relever toujours.
Propos recueillis par N.M.
- Je n’ai jamais quitté Bastia. J’y ai encore ma mère, mon frère, mes tantes, mes cousins. Je suis fier que Patrizia porte ce texte, inspiré d’une histoire vraie. C’est la magie du théâtre : parler de la réalité brute en racontant une histoire fictive. Les spectateurs ont très bien accueilli ce texte, qui dit la jalousie des villages, les rivalités, les envies, les regrets… Beaucoup s’y sont retrouvés.
- Vous l’avez créé à Saint Florent en juillet dernier. Vous y teniez particulièrement ?
- C’est mon village, celui de ma famille maternelle. Le maire Claudy Olmeta est un ami très cher. Saint Florent, c’est toute mon enfance et mon adolescence. Mon oncle Sauveur, mon parrain, dont l’humour et la tendresse me manquent chaque jour.
- Au printemps, sortira « Marine Le Pen sur le divan », un essai psychanalytique qui questionne les rapports de la femme politique avec son père, disparu récemment. Pourquoi l’avoir choisie ?
- Marine Le Pen est née pour inspirer un essai psychanalytique ! Sa vie, plus que beaucoup d’autres, est une sorte de combat à la fois pour et contre les idéaux paternels. Elle y résiste, s’en défend mais les rejoint quand même, presque irrésistiblement. Le livre raconte son impossibilité de s’extraire du désir du père, en épousant la même carrière politique que lui, en utilisant les mêmes grosses ficelles du populisme. Et pourtant, elle paraît toujours lutter pour préserver une liberté, une féminité, une puissance singulière, pas seulement inspirée du patriarche.
- Dans ce livre, analysez-vous les stratégies de communication de l’extrême-droite française ?
- Oui. Vous employez d’ailleurs le mot juste. Tout est devenu communication ! Que reste-t-il si nous enlevons la démagogie à ce discours, ni de droite, ni de gauche, ce discours vantant un jour la modération, un autre jour la radicalité, suivant les sondages ? Ce qui reste, c’est une femme fatiguée, récemment endeuillée, qui se réfugie dans l’amour de ses chats, comme pour se persuader qu’elle n’est pas que cette personnalité tonitruante, née pour provoquer.
- Votre parti-pris est-il d’étudier, à la lumière de la psychanalyse, ce que Marine Le Pen a écrit dans son autobiographie ?
- Je m’appuie essentiellement sur ce travail autobiographique, mais également sur des centaines d’heures que Marine Le Pen a accordées à la télévision et à la radio. Cette famille Le Pen, les Français l’ont scrutée pendant des décennies. Elle s’est donnée en pâture aux médias. Comble de l’ironie : le domaine de Jean Marie Le Pen à Saint-Cloud s’appelait Montretout ! Et en effet, personne dans la vie politique n’a connu une telle exposition publique, parfois obscène !
- Vous racontez que Jean-Marie Le Pen n’était pas du tout le personnage public qu’il disait être. Marine Le Pen a-t-elle baigné dans tous ces mensonges ?
- Il y avait en effet un écart terrifiant entre Le Pen défenseur de la bonne famille catholique et le père narcissique, très absent, dépeint par son ex-femme Pierrette comme un tyran domestique. Je ne dirais pas que Marine a baigné dans des mensonges, mais dans une tension perpétuelle où il s’agissait de défendre une cause très imaginaire, la cause patriotique, malgré tout le reste.
- Pensez-vous que Marine Le Pen a ses chances en 2027 et comment comprenez-vous ce succès en tant que psychanalyste ?
- Les extrémistes cherchent un Maître et les petits Maitres se font passer pour des libérateurs. L’extrémisme, c’est un antidépresseur. La démocratie, c’est l’approximation, le ratage, la précarité des institutions, sans cesse remises en jeu par la pensée, l’élaboration. L’extrémisme, c’est l’adhésion et la croyance délirante qu’un monde idéal existe, qu’il s’agit juste d’élire quelques boucs émissaires pour le trouver. Et comme l’époque est à la défaite de la pensée, pourquoi pas une Maîtresse femme au sommet de l’Etat ?
- La montée du Rassemblement National elle-elle due, selon vous, à l’absence de véritable alternative ?
- Nous assistons à la fin du semblant en politique. De plus en plus de citoyens, qui consomment des images du matin au soir sur leur téléphone, seraient tentés de court-circuiter le raisonnement, de simplifier les choses à l’extrême. Et les partis traditionnels apparaissent comme les menteurs. Comme si les autres partis démagogiques et populistes n’étaient pas dans le semblant eux aussi… Tout cela, comme vous le disiez dans votre première question, est la victoire étincelante de la communication sur l’intelligence.
- Vous participez depuis septembre à « Parlons-nous » sur RTL. Pourquoi ce choix ?
- J’avais déjà collaboré à de nombreux programmes sur la station et ils ont pensé à moi pour animer cette émission, à la suite de Caroline Dublanche, qui continue de la présenter avec talent du lundi au jeudi. J’ai dit oui sans hésiter une seconde. RTL est l’une des rares radios à avoir encore une véritable couleur populaire et exigeante.
- Le direct ne vous fait-il pas peur ?
- Non, au contraire. Je suis habitué à ce stress, entre mes interventions télévisées et ma chronique sur Radio J France. J’aime me jeter dans le vide, ne pas penser au montage. Le direct a un point commun avec la scène : même si on a répété, on improvise !
- Préférez-vous la radio ou l’écriture ?
- J’aime les deux exercices. L’écriture, c’est une course de fond, la radio, c’est un sprint. Quand on écrit, on travaille sur l’inachevé, on essaye de dépasser l’approximation. À la radio, on esquisse.
- Continuez-vous d’écrire pour la scène Corse ?
- Oui. Je monte actuellement un spectacle avec Marie-Ange Geronimi, avec laquelle j’ai toujours rêvé de travailler. Elle appartient à la même famille d’âmes que Patrizia. Elle ne triche pas. Et contrairement à beaucoup de comédiens, elle ne s’écoute pas parler, ce qui fait beaucoup de bien quand on travaille avec elle. Comme avec Ghjelusia, j’espère que nous pourrons arpenter les villages, rencontrer la population, proposer des débats, des échanges. Le théâtre, c’est l’oralité retrouvée. On éteint son téléphone, on arrête d’être sollicité par les applis. On est transporté ailleurs, dans une atmosphère que connaissaient les Anciens quand ils n’avaient pas d’écrans pour s’enfuir.
- Après treize livres, dix pièces de théâtre, des centaines d’heures d’émissions, avez-vous accompli tous vos souhaits professionnels ?
- J’ai une pudeur à répondre à cette question. Mes amis me disent que j’ai mérité tout ce que la vie m’a offert. Peut être ! Mais j’ai toujours beaucoup de peine quand je vois certains galérer, ne pas se réaliser. La haine de l’Autre naît de l’envie. Et c’est facilement compréhensible. Je dois dire qu’avec mon parcours, je n’envie plus personne. Je voudrais juste soutenir ceux qui, à leur tour, souhaitent aller loin dans leurs vocations.
- Votre fille Angèle a seize ans. Écrit-elle aussi ?
- Oui, mais elle ne me fait rien lire. Parfois, j’en souffre. Mais à l’adolescence, j’étais comme elle. Dans un tourment continuel. Je n’avais rien. Pas d’éditeur, pas de radio, pas de public. Et je voulais tout construire tout seul, sans l’aide des autres. Nous sommes orgueilleux dans la famille, mais je crois que c’est une force de ne rien attendre. Je n’ai qu’un conseil à donner à ma fille : travailler beaucoup. Échouer parfois. Se relever toujours.
Propos recueillis par N.M.