Au début du XXe siècle, Paul Tomasi fait don de nombreux objets de sa collection personnelle, dont “un moulage en plâtre d’une petite statuette de 7 cm de hauteur au musée de Bastia”, poursuit Pascal Tramoni. Partiellement détruit lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, le musée perd ce moulage en 1943. On apprendra bien plus tard que Paul Tomasi, “ne pouvant acheter la statuette”, a fait faire un moulage de l’objet. Ou plutôt de sa copie, “en témoignent les petites traces retrouvées sur la fausse statuette”. Car c’est bien là que réside tout le mystère de la Vénus de Campo Fiorello.
Une énigme sur plusieurs décennies
En 1930, Edith Southwell-Colucci, fille du vice-consul de Grande-Bretagne à Bastia, publie un article “attestant de la disparition de la statuette”. rappelle l'archeologue“La crème de la crème, les objets les plus rares de sa collection [...] ont été malheureusement dispersés.” Pendant 33 ans, personne ne questionnera les dires de l’Anglaise. Jusqu’à ce que Roger Grosjean, archéologue spécialiste de la préhistoire corse, publie “un bilan des œuvres préhistoriques” en 1963. “À l’intérieur, on apprend que la statuette se trouve au British Museum, à Londres.” Un véritable mystère se crée alors. Comment la statuette a pu se retrouver en Angleterre, elle qui était censée être en Corse ?
La réponse est simple selon Pascal Tramoni. “Charles Forsyth Major était tellement fasciné par certaines œuvres qu’il les gardait toujours sur lui. C’était le cas de la statuette”, précise Pascal Tramoni. En 1923, l’archéologue rend visite à sa fille en Bavière. “Il va décéder là-bas, avec ses objets de collection.” L’un de ses fils récupère ces objets, qu’il va vendre aux enchères trois ans plus tard. “Dans les archives de la famille Forsyth Major, on retrouve que deux statuettes ont été vendues : l’une en 1926, achetée par le Cambridge Museum, et l’autre un an plus tard, en 1927, achetée par le British Museum pour 12 livres.”Débute alors un nouveau mystère.
Vraie ou fausse statuette ?
Pascal Tramoni et son équipe se rendent alors compte que même si la statuette n’a jamais été perdue, une autre question reste néanmoins soulevée : pourquoi y a-t-il eu deux achats de statuettes ? “L’intérêt était à présent de savoir s’il s’agissait de deux originales, d’une originale et d’une copie, ou de deux copies.” détaille le chercheur. Pour élucider ce mystère, l’archéologue se plonge alors dans les archives de journaux et écrits publiés par ses prédécesseurs. Il découvre “une note manuscrite de Paul Tomasi, écrite le 28 juillet 1905 et publiée dans l’article de Roger Grosjean”. “À l’intérieur, il écrit qu’une ‘statuette originale ou une copie’ a été offerte au British Museum par Charles Forsyth Major.” Le mystère est presque résolu.
Après des années de recherche, Pascal Tramoni obtient l’autorisation de se rendre dans les musées de Cambridge et de Londres pour étudier de plus près ces statuettes. Sur place, il se rend rapidement compte de l’évidence : “Il y a une originale et une copie.” “On reconnaît l’originale car dans les années 1970, une dizaine de statuettes ont été découvertes en Sardaigne dans des sépultures. Elles datent d’entre 4 800 et 4 600 av. J.-C. Celle-ci est faite avec le même matériau, cette roche qui était présente en Corse et en Sardaigne à l’époque.” Quant à la copie : “Le travail est grossier. Les traits se chevauchent, les surfaces ne sont pas polies, les gravures sont imprécises.” Selon l’archéologue, la copie aurait pu être réalisée par Charles Forsyth Major lui-même, “pour garder l’originale et proposer la copie à des expositions”. La statuette du Cambridge Museum est donc la vraie, Londres hérite quant à elle de la copie. Un élément qui avait déjà été mis en lumière par Gabriel Camps, préhistorien. “Il avait émis l’idée que la statuette du British Museum soit une fausse”, indique Pascal Tramoni.
Aujourd’hui, les deux statuettes trônent fièrement dans leurs musées respectifs. “La fausse est même plus connue que la vraie grâce au musée dans lequel elle se trouve”, s’amuse Pascal Tramoni. En effet, le British Museum accueille pas moins de 6 millions de visiteurs par an. L’archéologue espère quand même voir ces deux statuettes réunies : “Ce serait génial de les exposer côte à côte.”