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La “der” de l’intégrale des sonates de Beethoven, à l’église de Canari


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Jeudi 29 Août 2024 à 15:30

Lundi prochain, 2 septembre, à 20 heures, Beethoven sera une fois de plus à l’honneur dans l’église de Canari : Olivier Cangelosi interprétera quatre de ses sonates, au cours d’un récital organisé dans le cadre du Festival international de chant lyrique qui se déroule sur l’ensemble de la semaine. Avec ces derniers morceaux, le pianiste bouclera la série des trente-deux sonates de Beethoven, que les mélomanes ont pu écouter à Canari au cours des huit dernières années. La fin d’un cycle ? C’est plus compliqué que cela ! Toujours aussi passionné par son art, Olivier Cangelosi nous en dit plus…



 
 
Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte vous avez été conduit à interpréter ces 32 sonates de Beethoven à Canari ?
Depuis des années, avec ma collègue Magali Albertini, nous accompagnons le Concours de chant lyrique de Canari. Son président Jacques Scaglia nous a proposé un jour d’y présenter notre travail de solistes à l’occasion d’une ou deux soirées, tous les ans. J’ai dit à Jacques : « Si tu nous offres cette possibilité, j’aimerais faire l’intégrale des sonates de Beethoven ». Trente-deux sonates sur huit concerts… Cette année, c’est ainsi le dernier récital autour de l’intégrale des sonates. 

Quels morceaux allez-vous interpréter ?
La 8ème sonate, La Pathétique : c’est l’une des plus connues du grand public et des pianistes. L’une des plus célèbre, avec L’Appassionata et La Tempête. Je l’avais travaillée, adolescent. On donne le final à tous les concours de piano… Mais je ne l’ai encore jamais jouée en public. Ce sera ma première Pathétique !  Puis la 18ème que l’on baptise La caille ou encore La chasse, parce qu’il y a des sonneries de cor dans le final, un peu comme lors d’une chasse à courre ; et parce que, dans le premier mouvement, un thème fait penser au chant de cet oiseau. Mais le titre n’est pas de Beethoven. 
Je jouerai également la 27ème. Elle clôt la 2ème période créatrice du compositeur. 
Enfin, j’interpréterai la 32ème sonate, l’opus 111, qui est en quelque sorte l’adieu de Beethoven à la sonate. Après celle-là, il y reviendra un peu avec des “bagatelles” et avec les variations Diabelli qui sont son “testament pianistique”. Puis il n’écrira plus pour le piano. 

Vous parlez de trois périodes de création. Le récital que vous allez donner lundi donne-t-il un aperçu des trois ?
Oui, absolument. D’ailleurs, je jouerai les morceaux dans l’ordre de leur composition pour qu’on perçoive bien l’évolution de son style… même si cela reste du Beethoven du début à la fin ! C’est ça qui est intéressant dans ce programme : allier les trois périodes créatrices :
La 8ème sonate relève de la première période. On sent encore l’héritage de l’époque classique. Elle est plutôt tournée vers Haydn et Mozart.  La 2ème période, avec les deux sonates suivantes, développe toutes les possibilités techniques du piano. On qualifie certaines sonates “d’héroïques”, parce qu’elles utilisent des moyens techniques colossaux pour l’époque… et mettent le pianiste à rude épreuve ! C’est le cas de L’Appassionata, mais aussi de la Waldstein qu’on appelle aussi L’aurore… ou de la sonate des Adieux : celle-là, son titre lui a bien été donné par Beethoven. Elle est dédiée à l’archiduc Rodolphe qui avait dû partir, ce qui avait désolé le compositeur. 
Les cinq dernières sonates de Beethoven sont d’ordre plus philosophique, très liées à sa vie et à son état psychologique, dans cette dernière partie de sa vie. La 32ème sonate en fait partie.


Cette 32ème sonate qui n’a pas non plus trouvé de nom, présente-t-elle des particularités ?
Absolument. Il faut savoir que la musique de Beethoven est vraiment faite de contrastes : c’est l’une de ses caractéristiques. Et plus on avance dans ses périodes créatrices, plus c’est accentué. On peut dire que la 32ème sonate est la consécration du contraste. Peut-être celle de ses compositions qui en présente le plus. Elle est à la fois contrastée dans le discours – le flux musical –, et dans la forme. Elle comporte en effet deux mouvements : le premier, très ramassé, est une boule d’énergie puissante, intense ; alors que le final est un mouvement étiré, tout en douceur, très long, très lent. 
L’autre particularité de cette sonate, écrite en 1821-22, c’est la construction du premier mouvement sur trois notes. : do, mi bémol, si. Ces notes traduiraient la question : « Muß es sein ? » (Cela doit-il être ?) et la réponse : « Es muß sein » (cela doit être). Trois notes répondant à trois notes ; quelque chose de fondamental dans l’existence de Beethoven : « Est-ce que je dois créer cette sonate ? Oui, je dois l’écrire » … même si le processus de création lui coûte. Parce qu’il est malade. Durant les cinq dernières années durant lesquelles il continue à composer des sonates, cela le fait souffrir. Il va également utiliser ces trois notes dans son dernier quatuor à cordes. Et elles vont marquer par la suite des générations de compositeurs… comme César Franck qui, lui, les utilisera dans sa symphonie.

Cette évolution dans la création musicale, est-ce une spécificité de Beethoven ?
Non bien sûr. Certains compositeurs ne font pas évoluer leur style, restent dans le même esprit : c’est le cas de Mozart – mais bien sûr il est mort jeune. De Brahms également… Mais d’autres comme Verdi, ou Fauré, traversent aussi des périodes créatrices différentes. 
Beethoven, lui, a voulu “ouvrir de nouvelles voies”. Il l’écrit lui-même dans son Testament de Heiligenstadt, alors qu’il réalise que sa surdité va aller toujours en s’aggravant. Il songe même au suicide. Et il va surmonter ça en “ouvrant de nouvelles voies” pour la musique. Il a parfaitement conscience de son génie : il va mettre un coup de poing dans l’histoire de la musique, comme Bach quelques années auparavant. 
Ces sonates sont son laboratoire. Il utilise des procédés compositionnels qu’il développe et amplifie dans ses quatuors à cordes, ses symphonies, ses sonates pour violoncelles – des formes musicales qui traversent aussi les trois périodes créatrices. 

Quel effet cela vous fait-il d’avoir achevé l’interprétation de ces trente-deux sonates ? L’impression que la boucle est bouclée ? La fin d’un cycle ? 
Je suis assez fier et ému d’être arrivé au bout. Quand on a toutes les sonates de Beethoven dans les doigts, c’est un peu comme si on avait gravi une petite montagne : on peut contempler le corpus de sonates d’un peu plus haut. 
Mais en réalité, on “n’arrive jamais au bout”. Maintenant que je les ai dans les doigts, je vais vivre avec ; voir comment les articuler dans d’autres programmes. Je commence à les jouer systématiquement dans mes récitals de piano. Pas forcément dans une intégrale – comme j’avais voulu le faire à Canari –, mais un peu comme on compose un plat… Je les additionne à d’autres pièces. Pour mettre en lumière et la sonate, et les autres œuvres. Ça va être ma démarche, maintenant. Je projette notamment de m’attaquer à une œuvre monumentale : les Variations et fugues sur un thème de Bach du compositeur Max Reger, un post-romantique, mort en 1916. Je réfléchis à lui adjoindre une sonate de Beethoven… et également une œuvre de Bach… En fait, aujourd’hui, je cherche d’autres saveurs dans ces sonates ! 
Ce n’est pas une fin, c’est un début !