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La fourmi Tapinoma Magnum continue d’envahir la Corse


le Samedi 24 Août 2024 à 19:30

Présente depuis de nombreuses année sur l'île, cette petite fourmi très envahissante colonise de plus de plus de territoires apportant avec elle un certain nombre de désagréments. Et sa dynamique, accélérée par le réchauffement climatique et les vagues de chaleur, semble difficile à stopper.



(Crédit photo: Cyril Berquier OEC)
(Crédit photo: Cyril Berquier OEC)
Elle mesure entre 1 et 3 mm et est devenue la hantise de nombreux Corses. Sur le littoral comme dans l’intérieur, la Tapinoma Magnum, cette petite fourmi noire reconnaissable à la forte odeur de beurre rance qu’elle dégage lorsqu’elle est dérangée, a entrepris une véritable invasion de l’île. Comme de nombreuses autres localités de l’île, Vivario en fait la désagréable expérience depuis plusieurs années. Et les choses semblent s’être encore un peu accélérées cette année. Au point que dans plusieurs logements, on a dû cohabiter avec cet invité indésirable tout au long de l’été. Dans sa maison familiale au bas du village, Jean-Jacques a ainsi constaté la présence de plusieurs centaines de ces fourmis se glissant absolument partout. Non seulement dans le jardin, où, très agressives, elles mordent les pieds de tous ceux qui ont le malheur de d’approcher d’un peu trop près leur nid, mais aussi à l’intérieur. « C’est un véritable enfer. Elles sont partout dans la cuisine. Nous avons beau enfermer toute la nourriture, elles arrivent à trouver un chemin et rentrent jusque dans le four ou le lave-vaisselle », témoigne-t-il.
 
« Une colonie peut faire plusieurs hectares »
 
Originaire du Sud de la Méditerranée, notamment d’Afrique du Nord, la Tapinoma Magnum serait arrivée pour la première fois en Corse au gré de l’importation de végétaux dans les années 1970. Et y a trouvé une terre parfaite pour proliférer. « C’est une espèce qui supporte très bien les fortes chaleurs, et qui est très compétitive dans des milieux qui sont secs et pauvres en matière organique ou en ressources alimentaires », souligne Cyril Berquier, docteur en entomologie, spécialiste des fourmis à l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC).  « Elle a un fort impact sur la biodiversité locale. Nous constatons notamment de gros problèmes avec l’escargot endémique du Ricanto avec des cas de prédation », ajoute le chercheur en notant que la Tapinoma Magnum a même réussi à faire régresser la fourmi d’Argentine, présente depuis un siècle en Corse, qui est l’une des espèces les plus envahissantes au monde. Toutes deux partagent d’ailleurs une caractéristique qui explique en partie leur expansion. « Elles sont polygynes, c’est-à-dire que les fourmilières sont constituées de plusieurs centaines de reines, contrairement aux fourmilières classiques où il y a une seule reine et où il règne une certaine compétition entre les fourmilières pour les ressources. Dans le cas de ces espèces, quand une colonie va être suffisamment grande, elle va se diviser par bouturage : une partie des reines et des ouvrières vont aller essaimer un peu plus loin du nid et former des colonies sœurs qui ont les mêmes odeurs et qui collaborent. Cela explique cette forte prolifération sur les terrains, une colonie pouvant faire plusieurs hectares car elle est constituée d’un réseau de nids », explique Cyril Berquier. 
 
Une expansion qui ne semble pas prêt de s’arrêter, tous les facteurs venant renforcer la dynamique infernale de la Tapinoma Magnum étant alignés. « C’est une espèce qui est favorisée par le réchauffement climatique. Les grosses proliférations peuvent être corrélées aux périodes sèches et chaudes », révèle l’entomologiste. La petite fourmi s’est d’ailleurs trouvée particulièrement à son aise au cours de cet été étouffant. « D’année en année, le problème s’amplifie », souffle le spécialiste en reprenant : « La Tapinoma Magnum est aussi favorisée par l’érosion de la biodiversité. C’est une espèce qui a peu de compétition ». Enfin, la bétonisation et l’urbanisation viennent également lui donner un coup de pouce, les murets et le béton lézardé lui servant d’abris de choix au cours de l’hiver. 
 
Peu de moyens de lutte
 
Désormais, la colonisation de cette fourmi est telle qu’on la retrouve jusqu’à 1300m d’altitude en Corse. Et sa dynamique de population est tellement rapide qu’elle est quasi impossible à éradiquer. « L’homme aura disparu de la Corse avant la Tapinoma », glisse Cyril Berquier avec malice. Au lieu d’entamer un combat perdu d’avance, le chercheur invite donc à essayer de mettre en place quelques le peu de solutions à disposition pour limiter son expansion. À commencer par proscrire l’utilisation intempestive d’insecticides qui peut être contre-productive, en ce qu’elle contribue à tuer les autres espèces de fourmis qui sont leurs compétitrices. « En tuant les fourmis locales qui occupent le terrain, cela ne fait qu’amplifier le problème. La Tapinoma Magnum est extrêmement performante dans des milieux perturbés ou des écosystèmes un peu malades. Si on tue ses compétiteurs ou qu’il y a moins de ressources pour survivre, c’est elle qui va prendre le dessus », commente-t-il. Il préconise au contraire de s’attaquer à la colonie avec des moyens plus naturels, lorsqu’elle est le plus vulnérable et constituée de moins d’individus.
 
« C’est ce moment-là qu’il faut agir avant la reprise des populations. Cela va permettre d’avoir moins de noyaux de prolifération. Nous nous sommes aperçus que le labourage manuel et ciblé en hiver ou au printemps force les individus à se retrouver confrontés au froid et à l’humidité et va épuiser la colonie. Nous proposons de repérer l’activité des nids durant l’hiver et de retourner la terre à ces endroits », indique-t-il, « Il y a aussi d’autres petites méthodes comme laisser pousser l’herbe afin que le sol reste humide plus longtemps, ce qui ne plait pas à la Tapinoma Magnum. Il faut également s’occuper de nos alliés en favorisant la biodiversité dans le jardin, éviter d’importer des plantes et essayer d’éliminer un maximum les zones de murets ou de béton lézardé ». Mais ce travail de longue haleine pour faire reculer l’espèce ne suffit pas à répondre à l’urgence en cas d’invasion d’une maison. Dans ce cas, Cyril Berquier concède qu’il est alors possible d’utiliser des insecticides, comme de la poudre, mais « de manière très ciblée pour ne pas avoir un impact sur la biodiversité ». 
 
De nouveaux fléaux en vue
 
En outre, le chercheur pointe aussi d’autres périls qui guettent l’île avec deux espèces de fourmis très invasives signalées depuis quelques années de l’autre côté de la Méditerranée. « L’OEC se méfie particulièrement de la fourmi de feu signalée en Sicile et de la petite fourmi électrique signalée dans le Var. Ces deux espèces qui figurent dans le top 10 des espèces invasives causant le plus de problèmes dans le monde sont à nos portes. Quand une espèce est signalée sur le continent ou en Italie, généralement elles arrivent assez rapidement en Corse. Et compte tenu de la biologie de ces espèces elles sont tout à fait capables de s’implanter en Corse », s’inquiète-t-il en ajoutant : « À la différence de la Tapinoma, elles ont toutes les deux des dards et leur piqûre peut faire mal pendant une demi-heure et même causer des réactions allergiques. Elles ont aussi causé des ravages agricoles ». De facto, afin de tenter de contrer leur potentielle prochaine installation sur l’île, le spécialiste des fourmis lance un appel la population : « Si quelqu’un est confronté à l’une de ces deux espèces en Corse, se fait piquer et non mordre par les fourmis et que les douleurs durent plusieurs minutes, nous aimerions qu’il nous fasse remonter l’information via l’Observatoire conservatoire des invertébrés de Corse (OCIC)* pour que nous essayons d’agir rapidement ». 
 
 
* Contact OCIC : ocic@oec.fr  ou via sa page Facebook