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Lancement d’un marché d’intérêt national en Corse : une bonne nouvelle pour… le consommateur


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Lundi 22 Juillet 2024 à 21:28

Lundi 22 juillet, dans les locaux de A casa di l’agricultura de U Vescovatu, la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse, en partenariat avec l’ODARC, donnait le coup d’envoi d’un marché d’intérêt national pour la Corse. Derrière cette appellation quelque peu technique se cache une réalité très concrète qui devrait faciliter à la fois la vie des agriculteurs, des acheteurs… et, en définitive, du consommateur.



 

À huit heures du matin ce lundi, sur le terrain jouxtant la Chambre d’Agriculture. Il fait déjà très chaud alors que les techniciens s’affairent encore pour les derniers préparatifs de cette journée particulière. Étape intermédiaire dans le cadre d’une étude lancée en janvier dernier, l’objectif en est tout à la fois de témoigner de l’excellence des produits corses, de montrer à quoi peut ressembler un “carreau” et d’inaugurer des échanges constructifs entre producteurs et acheteurs professionnels à l’échelle de notre île – grandes surfaces, hôteliers, restaurateurs, acteurs de la restauration collective... « Ça fait un moment qu’on milite pour qu’il existe un marché d’intérêt national en Corse, explique Hyacinthe Choury, Secrétaire général du Secours populaire, et manifestement ravi de l’initiative. Il y a trois ans qu’on travaille la question. Un projet a été porté au CESEC [NdlR : Conseil économique, social, environnemental et culturel], dans le cadre de son document Manghjà nustrali. Pour aller vers l’autonomie alimentaire, c’est une des premières mesures à mettre en avant. Afin de structurer le marché alimentaire. » Le Secours populaire ne se contente pas, en effet, de distribuer les invendus que lui remettent épiceries ou grandes surfaces – invendus dont les volumes vont d’ailleurs toujours en se réduisant. En complément, la structure s’approvisionne directement auprès de producteurs corses, achetant 100 kilos de fruits et légumes par jour à Ajaccio et autant à Bastia… sans compter les plus petites antennes. « Et cela va augmenter… parce que la pauvreté se développe. » C’est donc en tant qu’acheteurs en gros qu’ils sont présents à cette rencontre, bien décidés à défendre une initiative qui, en organisant le marché, contribue à réduire les intermédiaires et transports inutiles. « Nous poussons pour que ça commence par la création d’un carreau de producteurs… voire deux : un ici et un à Aiacciu. Parce que ce sont de petits investissements et que c’est ça dont la Corse a besoin pour développer son agriculture. »


Un carreau, c’est quoi ?

Mais c’est quoi, au juste, un carreau ? Le terme s’est maintenu au fil des siècles, désignant les carreaux qui couvraient le sol des rues, et étaient alloués aux producteurs venus vendre leurs fruits et légumes au chaland. Aujourd’hui, sur les marchés d’intérêt national, ce sont toujours des carreaux, ou des demi-carreaux, qui sont loués aux vendeurs, confirme Thierry Febvay, Directeur exécutif de la SEMMARIS qui gère actuellement le marché de Rungis et dont plusieurs représentants participaient à cette journée. Sous un chapiteau dressé à l’entrée du site, les invités en ont une démonstration. Une dizaine de producteurs corses ont aligné leurs productions sur des étals : fruits, légumes, produits à base de châtaigne ou de miel, fromages, charcuterie, huile d’olive, jus de fruits ou confitures… Des produits qu’en professionnels, les membres de la délégation de Rungis ont su apprécier : « Nous avons été extrêmement impressionnés par la qualité des produits et des personnes qui les présentaient. » Des productions à base de miel, réalisées “sur mesure”pour les plus grands comme Ducasse, le Plazza ou le Ritz, et s’exportant tout autour du monde, en passant par l’huile d’Orezza, produite avec des variétés locales et selon un mode ancestral, ou encore les confitures de Jean-Paul Vincentini qui emploie maintenant une quinzaine de salariés sur son site de San Lorenzu, en pleine Castagniccia, on va de découverte en découverte. « Pour cette présentation, explique Joseph Colombani, Président de la Chambre d’agriculture de Haute-Corse, nous avons fait le choix de producteurs implantés principalement autour de Vescovatu », rappelant au passage que la micro-région était, historiquement, le grenier de Bastia. Mais il se trouve parmi eux un producteur de farine de châtaigne de Carbuccia, en Corse-du-Sud, Paulu Antone Susini, pour témoigner de ce que ce projet concerne bien l’île tout entière : « C’est symbolique, explique Joseph Colombani, de même que la présence du Président de la Chambre d’agriculture de Corse-du-Sud. » Parce que « si l’avenir permettait de développer ce système, selon le maraîcher Jean-Jacques Fieschi, ce serait un bien pour la Corse. »

 



Un marché virtuel… mais bien réel pour autant !

Ce système ? Bien sûr, c’est cette possibilité pour les producteurs de se retrouver sur un marché spécialisé, pour la vente en gros. Elle permettra « la comparaison, une compétition saine, qui tirera la production vers l’excellence », explique Joseph Colombani. Mais en réalité, c’est beaucoup plus que cela : au-delà du carreau, le dispositif comprendra en effet quatre autres dimensions.


Un marché virtuel qui permettra aux acheteurs et producteurs de faire affaire sans se déplacer, en massifiant les flux et réduisant les transports. Un dispositif d’anticipation et d’accompagnement des producteurs, qui permettra d’aider ces derniers à s’ajuster à la demande – en type de produits, qualité, quantité, prix et période. La grande distribution est prête à jouer le jeu en faisant part aux organisations de producteurs de leurs anticipations de besoin. Une facilitation à l’exportation hors de l’île : ainsi, 17 remorques quittent tous les jours l’île, à vide ! Un objectif ne pourrait-il pas être de les remplir ! En tout état de cause, en échangeant de marché de gros à marché de gros, on peut probablement optimiser l’accès des produits corses au marché continental. Enfin, un label qui, au-delà des assurances traditionnelles en termes de qualité ou de traçabilité, validera également que le produit consommé participe à l’économie locale en contribuant, notamment à la création d’emplois et, plus largement, de richesse en Corse.


Bref : une mise en relation de l’aval et de l’amont bien plus efficace que ce qui existait jusqu’à présent.


Amplifier les collaborations

Car des collaborations, il y en a bien sûr depuis bien longtemps : ainsi, Paulu Antone Susini vend sa production à base de châtaignes aux bières Pietra. Et César Filippi achète pour ses restaurants de l’Hôtel du Belvédère, à Portivechju, des cabris spécialement élevés pour une viande exceptionnelle. Il propose également des jambons de trois ans, à la qualité tout aussi exceptionnelle : un choix fait depuis longtemps du circuit court et, au final, du tourisme durable. Mais tout cela reste à petite échelle. « Avec une structure qui régulerait le marché, mettrait en relation producteurs et acheteurs de gros, on pourrait améliorer cette interface », souligne Paulu Antone Susini. « Le produit, on sait qu’il existe, explique César Filippi, Président GHR Corsica. Mais où est-il ? Comment arrive-t-il chez nous ? Nous, hôteliers et restaurateurs, il faut qu’on programme ! Nos besoins sont énormes. Avec le tourisme, nous multiplions par dix les consommateurs. Est-ce qu’on veut de ce marché ? Il faut explorer ces pistes. » Le système proposé devrait permettre de s’y attaquer et ouvrirait de belles perspectives aux agriculteurs.


Réduire les coûts… et donc les prix pour le consommateur


« Je vois deux intérêts majeurs à la création de cette organisation, explique de son côté Cecce Geronimi, maraîcher bio. Aujourd’hui, nous avons des coûts liés à tout ce qui est “post-récolte” : le conditionnement, la préparation de chaque commande de clients, et la livraison à chacun. Parfois, on peut faire dix ou vingt livraisons par jour ! Avec un marché de gros, on pourra massifier un peu tout ça. Ne livrer qu’à un seul endroit. Cela va réduire nos coûts, y compris le carburant et l’amortissement du véhicule. Et puis, on ne peut pas accepter les petites commandes éloignées : cela revient trop cher. Mais si le client peut passer commande sur la plate-forme informatique, il pourra commander d’autres produits… et il sera livré ! En fait, avec ça, tout le monde est gagnant : y compris le consommateur, puisqu’il bénéficiera de la baisse des coûts. »


Des échanges denses et constructifs


Après un spuntinu nustrale qui permettait aux visiteurs de déguster les produits corses, la rencontre s’est poursuivie autour de tables rondes dont l’objectif était de faire remonter remarques et suggestions pour la suite de l’étude. De la possibilité pour les petits producteurs de massifier les volumes et de mieux valoriser les invendus, soulignée par Jean-Do Valentini, Directeur de l’Atelier Corse Fruits et Légumes, à l’idée d’un atelier de conditionnement pour les fruits et légumes bio, à l’attention de la GMS, ou à celle, présentée par François Padrone, PDG du Leclerc d’Aiacciu, d’intégrer pisciculture et pêche au schéma, les participants ont accueilli l’initiative avec beaucoup d’intérêt et se sont montrés prêts à s’investir dans la démarche. Hyacinthe Choury, du Secours populaire, a enfoncé le clou, indiquant que c’était « un des seuls moyens de faire reculer la pauvreté » en Corse, en créant de l’emploi, en améliorant la santé des gens par une alimentation plus équilibrée, en réduisant l’empreinte carbone – puisque les importations de produits alimentaires baisseraient – et en développant la possibilité, pour les jeunes, de s’installer sur l’île – puisque l’agriculture deviendrait plus que jamais un secteur porteur.

 


Une volonté générale

Dumenicu Livrelli, Président de l’ODARC qui a financé l’étude, a confirmé son intérêt : « C’est un projet qu’il faut faire. C’est le maillon qui nous manquait », a-t-il affirmé. De son côté, le Préfet Michel Prosic a souligné cette « initiative formidable qui doit permettre d’amplifier la connaissance des produits corses, et de fournir aux producteurs corses des réseaux complémentaires de distribution ». Il a souligné combien cet outil permettrait aux agriculteurs de « mieux travailler ensemble et de mettre en avant des actions collectives », insistant sur l’importance qu’il y avait à ce que cette agriculture continue à se développer tout en étant respectueuse de son cadre environnemental, avec « une particularité à jouer, cette notion de qualité, liée à un savoir-faire, à un attachement à la terre »« Produire pour ne pas vendre ne sert à rien », a-t-il insisté. « Produire pour une demande qui n’est pas couverte, c’est essentiel », a-t-il conclu, ajoutant que « l’objectif, c’est de garder la plus-value en Corse. »


Les suites et le calendrier


Quant à la délégation de Rungis, elle est partante : « Dans notre mission, a expliqué Thierry Febvay, nous accompagnons un certain nombre de dynamiques territoriales autour du développement de commerce de produits alimentaires de gros. Avec un état d’esprit qui consiste à favoriser l’émergence d’outils locaux, permettant de relocaliser de la production agricole et de la consommation locale. » Ainsi, la prochaine étape passera-t-elle, en septembre, par un voyage d’étude de la Chambre d’agriculture et de l’ODARC à Rungis, pour de fructueux échanges. « Il y a une conjoncture qui se prête à porter une telle réflexion aujourd’hui, conclut Joseph Colombani à l’issue des débats. La souveraineté alimentaire que recherche la France ; l’autonomie alimentaire que nous recherchons nous ; une économie corse dans un état loin d’être satisfaisant ; le tourisme qui reste aléatoire… Il y a une pertinence à produire local et à ce que les Corses dépensent pour se nourrir reste en Corse. Je suis satisfait de cette journée : c’est le jour numéro 1 du marché de gros en Corse. Dès cet hiver, nous devrions commencer à travailler sur un ou deux produits… En 2026, on devrait poser la première pierre d’un premier carreau. Et l’ensemble devrait être opérationnel d’ici cinq ans. » Ce premier carreau pourrait bien être localisé à Vescovatu : non seulement l’ODARC y dispose de terrains, mais le maire, qui s’implique toujours fortement dans les initiatives de la Chambre, est prêt à accueillir ce marché dans cette zone stratégique agricole, au carrefour des routes d’Aiacciu, de Portivechju et de Bastia.