C’est une figure emblématique, liée à une pratique ancestrale : la signadora. Sa mission est d’intervenir dans la guérison du corps et de l'esprit, chassant le mauvais œil. En plein cœur de Bastia, près de la place du marché, se trouve Hélène Susini. Elle fait partie de ces signadore, bien qu’elle ne se revendique pas comme telle. “Peut-être que ce n’est pas à moi de le dire. Je trouve qu’il faut avoir de l’humilité par rapport à ce mot. Mais du moment qu’on signe le mauvais œil pour l’enlever, on est considéré comme une signadora.”
Cette pratique, elle l’a découverte il y a des années, alors qu’elle était encore enfant. “J’ai toujours été attirée par l’invisible, le mystère, et par le fait de chercher ce qu’il y a au-delà des apparences”, explique-t-elle. “J’aime aussi les symboles, les allégories. J’ai donc fait beaucoup de recherches sur les pratiques magico-religieuses en Corse. De plus, ma grand-mère signait donc je souhaitais apprendre à signer à mon tour.” Ce n’est que des années plus tard qu’Hélène Susini va apprendre cette pratique, auprès d’une signadora de son village. “Une vieille dame du village m’a proposé de m’enseigner. C’est comme ça que j’ai commencé.”
Depuis la première prière qu’elle a apprise “au coin d’un poêle au village”, elle en a appris “des dizaines d’autres”. Et toujours à l’oral. “Toutes les prières que je connais sont dans ma tête, car les prières de l’ochju s’apprennent la nuit de Noël, et oralement”, précise-t-elle. “On ne peut les utiliser que si on les retient. On dit que si on ne les retient pas, on a le droit de les réapprendre, mais que si, au bout de trois fois, on ne les retient toujours pas, c’est qu’on n’est pas fait pour ça.” Les prières, très variées, diffèrent “en fonction des régions, mais aussi de la façon dont les personnes faisaient le lien entre énergie négative et religiosité”. “Rien que pour le mauvais œil, j’en connais quatre”, lance Hélène Susini.
Une dimension spirituelle dans la pratique de l’ochju
Pour Hélène Susini, c’est toute une “dimension spirituelle” qui entre en œuvre lors de la pratique de l’ochju. “Je considère qu’il faut une sorte d’élan de transcendance vers le divin, sans lequel on ne peut signer l’ochju. Il faut aussi une volonté d’aider son prochain de façon généreuse et désintéressée. Il y a une véritable verticalité du divin vers nous, mais aussi une horizontalité de nous vers les autres.” Elle précise que “plus je cherche à m’élever en conscience et à comprendre les autres, plus je suis compétente pour signer l’ochju, et inversement.”
Aujourd’hui, son but est de défendre le riacquistu des pratiques magico-religieuses, grâce à son association E Signadore, créée en 2022. “Notre objectif, avec les autres signadore avec qui j’échange, est de retrouver des pratiques quotidiennes, qui étaient naturelles chez nos aïeux et qui se perdent tout doucement pour différentes raisons.” Ce qu’elle aime, c’est de s’apercevoir que “certaines pratiques n’ont jamais disparu, et ont continué à être pratiquées”. “Certaines pratiques, dont on dit venir des États-Unis, sont en fait des pratiques qui ont toujours été en Corse, et qui ne sont jamais parties. Je pense par exemple aux paysans qui montaient les nuits de pleine Lune remplir d’eau de source les anfractuosités des rochers pour que cette eau soit chargée des énergies de la Lune. Aujourd’hui, on recommande de faire son eau de Lune parce qu’elle apporte des bienfaits.”