« Trente mesures pour une société corse libre, apaisée et démocratique ». C’est le titre du rapport que le Conseil exécutif présentera à l’Assemblée de Corse lors de la session sur les dérives mafieuses qui se tiendra le 27 février prochain. Une session spéciale décidée après le meurtre d’un jeune pompier dans un bar d’Aiacciu, juste avant Noël, et que le nouvel assassinat d’une jeune fille de 19 ans, samedi dernier à Ponte-Leccia, rend d’une actualité brulante et douloureuse. Que faire face à ces drames à répétition qui touchent la jeunesse et endeuillent la Corse ? C’est la question que la présidente de l’Assemblée de Corse avait posée, lors de la dernière session, et à laquelle ce rapport tente de répondre. Il part du constat que les dérives mafieuses ne font que s’aggraver, avec un point d’acmé atteint entre 2005 et 2014 et des chiffres qui en disent long : 94 assassinats, un taux de poursuite de 4% et un taux de résolution quasi-nul. L’assassinat du jeune militant nationaliste, Massimu Susini, le 12 septembre 2019, a été, note le rapport, « l’élément déclencheur d’une réaction d’une partie du corps social insulaire ». Il a provoqué la création des collectifs anti-mafia et l’organisation par l’Exécutif d’une session spéciale pour « construire un autre chemin ». Le rapport liste le travail effectué depuis, les nombreuses consultations et auditions qui en ont découlé, les ateliers de travail mis en place qui ont abouti, en mars 2021, à un premier rapport du président de l’Exécutif sur « la question des dérives criminelles ». Ledit rapport a débouché sur l’adoption d’une résolution solennelle, le 18 novembre 2022, qui actait la mise en place d’un nouveau cycle de travail de cinq mois pour diagnostiquer les dérives, leurs causes et leurs mécanismes et définir une stratégie d’ensemble pour les combattre. Un rapport de synthèse a été présenté le 25 octobre 2023, il est le prélude de celui qui sera débattu fin février.
Un plan d’action global
Dans ce nouveau rapport, l’Exécutif propose « un plan d’action global composé de trente mesures, dans des domaines relevant de ses compétences propres ou partagées, ou ne relevant pas de ses compétences au terme du droit positif actuel ». Trente mesures autour de cinq axes : l’amélioration de l’éthique dans les politiques publiques, les secteurs économiques qui subissent la plus forte pression du crime organisé, la lutte contre les drogues et les commerces illicites, le volet régalien, enfin des enjeux éducatifs, culturels et sociétaux. Concernant le premier axe, le rapport rappelle les actions déjà mises en place depuis l’avènement des nationalistes aux responsabilités, que ce soit en matière de contrôle interne ou de contrôle des établissements satellites et en matière d’évaluation des politiques publiques avec comme gain : un élargissement de la concurrence, une diminution des coûts et des contentieux. L’Exécutif propose, notamment de constituer un centre de ressources sur les dérives mafieuses pour diffuser les informations au public, de créer une instance consultative pour poursuivre le travail engagé, d’aider à la reconnaissance d’utilité publique pour les collectifs anti-mafia.
Les déchets et l’urbanisme dans le viseur
Concernant le secteur économique où les dérives et les pressions sont prégnantes, l’Exécutif propose de « garantir la prééminence de l’intérêt public dans le secteur des déchets », particulièrement, exposé « partout dans le monde », à « l’emprise ou au risque d’emprise de la criminalité organisée et des mafias ». Estimant que les solutions déjà mises en place sont « souvent insuffisantes, voire inefficaces », il demande, « à travers une adaptation règlementaire, l’introduction dans le code de la commande publique de la notion de « bénéfice raisonnable » dans les secteurs stratégiques, notamment la gestion des déchets, et d’en systématiser l’application ». Autre secteur en tension : l’immobilier. « Les territoires sont soumis à de fortes pressions, notamment spéculatives, mais aussi la pression des administrés : il est parfois difficile pour un élu local de réaliser l’exercice de l’élaboration du document d’urbanisme jusqu’à son terme », souligne le rapport. « Le fait de ne pas disposer de document d’urbanisme éloigne également de l’élu la responsabilité de la délivrance, mais surtout du refus de délivrance des autorisations d’urbanisme, puisque la responsabilité du refus est alors portée par l’Etat ». Avant d’ajouter que « le fait de ne pas disposer d’un document d’urbanisme peut sembler plus favorable à la constructibilité ». L’Exécutif préconise de créer une instance conjointe Etat-Collectivité de Corse (CdC) en charge du suivi des permis de construire, de renforcer les aides financières de la CdC pour accompagner l’adoption des documents d’urbanisme, de mettre en place une fiscalité immobilière sur les opérations spéculatives ainsi que des outils plus opérationnels au service d’une rénovation agraire. La taxe anti-spéculative ne pourra être créée que dans le cadre d’une autonomie fiscale.
La drogue, une cause nationale
Concernant les drogues, l’Exécutif envisage de faire de la lutte contre la consommation des drogues, de ce fléau, « une cause nationale ». L’idée est de sensibiliser la jeunesse et d’impliquer les acteurs de la vie économique et festive, notamment à travers le label « A droga inno ! » qui serait accordé à tous les établissements de nuit qui s’inscriraient dans cette démarche et signeraient une charte d’éthique. L’objectif est aussi de mener la lutte contre le protoxyde d’azote, ce gaz incolore, utilisé dans le milieu médical et industriel, fait un ravage chez les jeunes, peu conscients de sa dangerosité. Concernant les dérives mafieuses, l’Exécutif propose à l’Etat deux axes : « D’une part, la volonté de reconstruire un lien de confiance entre les Corses et l’institution judiciaire ». Pour cela, il estime nécessaire que l’Etat « reconnaisse officiellement le conflit politique » qui plombe depuis des décennies ses relations avec l’île, et qu’il accepte « une autonomie synonyme d’un partenariat loyal entre l’Etat et la CdC ». Il lui demande de mettre fin à la décorsisation des emplois et des fonctionnaires exerçant au sein du système judiciaire insulaire et de présenter, chaque année, devant l’Assemblée de Corse la politique pénale menée dans l’île. Il appelle à un dialogue institutionnel entre la CdC et les autorités administratives et judiciaires.
Pas de juridiction d’exception
D’autre part, l’Exécutif entend « contribuer, en tant que force de propositions dans un domaine relevant du régalien, à la définition d’une réponse pénale qui tienne compte de la menace croissante que représentent les dérives mafieuses, en Corse ». Il réaffirme son refus de mesures dérogatoires au droit commun, exigées par les collectifs anti-mafia, et « son attachement indéfectible à une société de liberté, construite sur le respect de l’Etat de droit et des libertés individuelles, des droits de la défense et des règles du procès équitable, ainsi que des libertés fondamentales ». Pas question donc d’approuver des juridictions d’exception que les Nationalistes ont toujours combattues, leur préférant le principe de jury populaire. Il n'est pas partisan de la création prévue en 2026 d’un Parquet national anticriminalité organisé et de la refonte du statut de repenti, deux mesures du projet de loi de lutte contre le nacrotrafic, adopté en première lecture par le Sénat le 4 février dernier. « Le Conseil exécutif partage la préoccupation exprimée par de nombreux professionnels du droit selon lequel avec l’inflation des lois sécuritaires, nous construisons les outils de notre asservissement de demain ». Il rejette une autre demande des collectifs anti-mafia, celle de la création du « délit d’association mafieuse, transposé du droit italien », en justifiant sa position dans une longue analyse juridique d’où il ressort que « la plupart des comportements incriminés par le droit italien sont également prévus et réprimés par le droit français », à travers « le délit d’association de malfaiteurs, la circonstance aggravante de bande organisée, l’infraction d’extorsion, l’infraction de blanchiment ou de non-justification de ressources ». L’Exécutif souhaite que l’Assemblée de Corse soit consultée « sur tout projet de réforme comportant des dispositions spécifiques relatives à la Corse, y compris en matière d’organisation des services de police ou de justice ».
Des antidotes culturels
Concernant les enjeux éducatifs, culturels et sociétaux, l’Exécutif partage l’idée que la réponse policière et judiciaire ne peut, à elle seule, garantir le succès de la lutte contre les pratiques mafieuses qui sont enracinées dans la société. Son objectif est de « former par l’éducation, la sensibilisation et la pédagogie, des citoyens libres, des hommes et des femmes capables d’identifier les risques de dérives, de comprendre les dangers et surtout en capacité de faire des choix ». Pour cela, il veut promouvoir « le renforcement d’une culture civique, citoyenne et démocratique » qui est, selon lui, « indissociable de la société véritablement bilingue que nous voulons construire : la langue corse est constitutive de notre identité collective et de notre rapport au monde. C’est donc naturellement en cette langue, et en référence aux codes culturels positifs qu’elle véhicule ou qui y sont attachés, que doivent être pensées et transmises les valeurs de démocratie et de justice qui sont les plus sûrs antidotes à la culture mafieuse ». Il entend, par exemple, créer un « prix Citatinanza », centré sur la problématique de l’éducation à la légalité par la création artistique, engager une réflexion sur l’impact de certaines œuvres, mobiliser les associations, l’université et les autorités religieuses pour favoriser l’enseignement moral et civique afin de générer « une culture collective du bien commun ». Le rapport précise que certaines propositions sont déjà en vigueur, d’autres pourraient intervenir sans délai, d’autres enfin méritent d’être expertisées. Si les propositions du Conseil exécutif sont validées par l’Assemblée de Corse, elles feront l’objet d’un calendrier pluriannuel, accompagné d’objectifs annuels.
Affaire à suivre…
N.M.
Un plan d’action global
Dans ce nouveau rapport, l’Exécutif propose « un plan d’action global composé de trente mesures, dans des domaines relevant de ses compétences propres ou partagées, ou ne relevant pas de ses compétences au terme du droit positif actuel ». Trente mesures autour de cinq axes : l’amélioration de l’éthique dans les politiques publiques, les secteurs économiques qui subissent la plus forte pression du crime organisé, la lutte contre les drogues et les commerces illicites, le volet régalien, enfin des enjeux éducatifs, culturels et sociétaux. Concernant le premier axe, le rapport rappelle les actions déjà mises en place depuis l’avènement des nationalistes aux responsabilités, que ce soit en matière de contrôle interne ou de contrôle des établissements satellites et en matière d’évaluation des politiques publiques avec comme gain : un élargissement de la concurrence, une diminution des coûts et des contentieux. L’Exécutif propose, notamment de constituer un centre de ressources sur les dérives mafieuses pour diffuser les informations au public, de créer une instance consultative pour poursuivre le travail engagé, d’aider à la reconnaissance d’utilité publique pour les collectifs anti-mafia.
Les déchets et l’urbanisme dans le viseur
Concernant le secteur économique où les dérives et les pressions sont prégnantes, l’Exécutif propose de « garantir la prééminence de l’intérêt public dans le secteur des déchets », particulièrement, exposé « partout dans le monde », à « l’emprise ou au risque d’emprise de la criminalité organisée et des mafias ». Estimant que les solutions déjà mises en place sont « souvent insuffisantes, voire inefficaces », il demande, « à travers une adaptation règlementaire, l’introduction dans le code de la commande publique de la notion de « bénéfice raisonnable » dans les secteurs stratégiques, notamment la gestion des déchets, et d’en systématiser l’application ». Autre secteur en tension : l’immobilier. « Les territoires sont soumis à de fortes pressions, notamment spéculatives, mais aussi la pression des administrés : il est parfois difficile pour un élu local de réaliser l’exercice de l’élaboration du document d’urbanisme jusqu’à son terme », souligne le rapport. « Le fait de ne pas disposer de document d’urbanisme éloigne également de l’élu la responsabilité de la délivrance, mais surtout du refus de délivrance des autorisations d’urbanisme, puisque la responsabilité du refus est alors portée par l’Etat ». Avant d’ajouter que « le fait de ne pas disposer d’un document d’urbanisme peut sembler plus favorable à la constructibilité ». L’Exécutif préconise de créer une instance conjointe Etat-Collectivité de Corse (CdC) en charge du suivi des permis de construire, de renforcer les aides financières de la CdC pour accompagner l’adoption des documents d’urbanisme, de mettre en place une fiscalité immobilière sur les opérations spéculatives ainsi que des outils plus opérationnels au service d’une rénovation agraire. La taxe anti-spéculative ne pourra être créée que dans le cadre d’une autonomie fiscale.
La drogue, une cause nationale
Concernant les drogues, l’Exécutif envisage de faire de la lutte contre la consommation des drogues, de ce fléau, « une cause nationale ». L’idée est de sensibiliser la jeunesse et d’impliquer les acteurs de la vie économique et festive, notamment à travers le label « A droga inno ! » qui serait accordé à tous les établissements de nuit qui s’inscriraient dans cette démarche et signeraient une charte d’éthique. L’objectif est aussi de mener la lutte contre le protoxyde d’azote, ce gaz incolore, utilisé dans le milieu médical et industriel, fait un ravage chez les jeunes, peu conscients de sa dangerosité. Concernant les dérives mafieuses, l’Exécutif propose à l’Etat deux axes : « D’une part, la volonté de reconstruire un lien de confiance entre les Corses et l’institution judiciaire ». Pour cela, il estime nécessaire que l’Etat « reconnaisse officiellement le conflit politique » qui plombe depuis des décennies ses relations avec l’île, et qu’il accepte « une autonomie synonyme d’un partenariat loyal entre l’Etat et la CdC ». Il lui demande de mettre fin à la décorsisation des emplois et des fonctionnaires exerçant au sein du système judiciaire insulaire et de présenter, chaque année, devant l’Assemblée de Corse la politique pénale menée dans l’île. Il appelle à un dialogue institutionnel entre la CdC et les autorités administratives et judiciaires.
Pas de juridiction d’exception
D’autre part, l’Exécutif entend « contribuer, en tant que force de propositions dans un domaine relevant du régalien, à la définition d’une réponse pénale qui tienne compte de la menace croissante que représentent les dérives mafieuses, en Corse ». Il réaffirme son refus de mesures dérogatoires au droit commun, exigées par les collectifs anti-mafia, et « son attachement indéfectible à une société de liberté, construite sur le respect de l’Etat de droit et des libertés individuelles, des droits de la défense et des règles du procès équitable, ainsi que des libertés fondamentales ». Pas question donc d’approuver des juridictions d’exception que les Nationalistes ont toujours combattues, leur préférant le principe de jury populaire. Il n'est pas partisan de la création prévue en 2026 d’un Parquet national anticriminalité organisé et de la refonte du statut de repenti, deux mesures du projet de loi de lutte contre le nacrotrafic, adopté en première lecture par le Sénat le 4 février dernier. « Le Conseil exécutif partage la préoccupation exprimée par de nombreux professionnels du droit selon lequel avec l’inflation des lois sécuritaires, nous construisons les outils de notre asservissement de demain ». Il rejette une autre demande des collectifs anti-mafia, celle de la création du « délit d’association mafieuse, transposé du droit italien », en justifiant sa position dans une longue analyse juridique d’où il ressort que « la plupart des comportements incriminés par le droit italien sont également prévus et réprimés par le droit français », à travers « le délit d’association de malfaiteurs, la circonstance aggravante de bande organisée, l’infraction d’extorsion, l’infraction de blanchiment ou de non-justification de ressources ». L’Exécutif souhaite que l’Assemblée de Corse soit consultée « sur tout projet de réforme comportant des dispositions spécifiques relatives à la Corse, y compris en matière d’organisation des services de police ou de justice ».
Des antidotes culturels
Concernant les enjeux éducatifs, culturels et sociétaux, l’Exécutif partage l’idée que la réponse policière et judiciaire ne peut, à elle seule, garantir le succès de la lutte contre les pratiques mafieuses qui sont enracinées dans la société. Son objectif est de « former par l’éducation, la sensibilisation et la pédagogie, des citoyens libres, des hommes et des femmes capables d’identifier les risques de dérives, de comprendre les dangers et surtout en capacité de faire des choix ». Pour cela, il veut promouvoir « le renforcement d’une culture civique, citoyenne et démocratique » qui est, selon lui, « indissociable de la société véritablement bilingue que nous voulons construire : la langue corse est constitutive de notre identité collective et de notre rapport au monde. C’est donc naturellement en cette langue, et en référence aux codes culturels positifs qu’elle véhicule ou qui y sont attachés, que doivent être pensées et transmises les valeurs de démocratie et de justice qui sont les plus sûrs antidotes à la culture mafieuse ». Il entend, par exemple, créer un « prix Citatinanza », centré sur la problématique de l’éducation à la légalité par la création artistique, engager une réflexion sur l’impact de certaines œuvres, mobiliser les associations, l’université et les autorités religieuses pour favoriser l’enseignement moral et civique afin de générer « une culture collective du bien commun ». Le rapport précise que certaines propositions sont déjà en vigueur, d’autres pourraient intervenir sans délai, d’autres enfin méritent d’être expertisées. Si les propositions du Conseil exécutif sont validées par l’Assemblée de Corse, elles feront l’objet d’un calendrier pluriannuel, accompagné d’objectifs annuels.
Affaire à suivre…
N.M.