
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse où se tiendra, jeudi, la session extraordinaire sur les dérives mafieuses. Photo Paule Santoni.
C’est une session maintes fois demandée par les collectifs anti-mafia, très attendue après les assassinats qui, depuis quelques mois, endeuillent et secouent la Corse, et particulièrement difficile tant le sujet est complexe et propre à certaines démagogies et exagérations. La session extraordinaire consacrée aux dérives mafieuses se tient toute la journée de jeudi à partir de 10 heures à l’Assemblée de Corse, soit quelques jours à peine après l’enterrement de Chloé, une jeune fille de 19 ans, dont l’assassinat par erreur le 15 février dernier à Ponte-Leccia a choqué profondément toute l’île. Déjà décidée après le meurtre d’un autre innocent, un jeune pompier dans un bar d’Aiacciu, une nuit juste avant Noël, cette session a peu de chance de s’ouvrir dans une grande sérénité. Le rapport de l’Exécutif, nommé « Lutte contre les dérives mafieuses : trente mesures pour une société corse libre, apaisée et démocratique », qui sera au cœur des débats, était porteur d’espérance, mais il a suscité, dès sa divulgation, la polémique. Issu d’un cycle de travail et de consultations de cinq mois, il esquisse, en 81 pages, un plan global autour de cinq axes prioritaires et de trente mesures qui restent limitées par des contraintes infranchissables, à savoir le manque de compétences régaliennes de l’Exécutif, tout en tentant de les outrepasser dans la perspective espérée d’une révision constitutionnelle qui élargirait le champ d’action de la Collectivité de Corse.
Un rapport à polémique
Le rapport propose, malgré la faiblesse de ses marges de manœuvre, des pistes de solutions parfois intéressantes, notamment en matière d’appels d’offres et de politiques publiques où des améliorations ont déjà été apportées, en matière également de gestion des déchets et d’urbanisme qui subissent la plus forte pression du crime organisé. Il décline surtout des actions pour répondre aux enjeux éducatifs, culturels et sociétaux qui semblent dérisoires à certains, mais qui sont primordiaux dans une île où la proximité et les liens sociaux peuvent conduire à une certaine résignation et une apathie menaçant la qualité même de ce lien social. Dès sa sortie, le texte a subi un tir groupé des collectifs antimafia pour qui le compte n’y est pas. En tête de file, le collectif anti-mafia Massimu Susini : « Nous étions assez optimistes et on tombe de haut. C’est une très grande déception. Ce rapport est très en-deçà du travail des ateliers, mais aussi de ce que nous avions envisagé après avoir rencontré le président de l’Exécutif à plusieurs reprises et l’avoir entendu nous dire que le rapport serait fidèle à ce que les ateliers préconisaient ». S’il adoube le volet éducation : « C’est la seule chose qui tienne la route, le seul chapitre d’un bon niveau où l’on a des propositions concrètes », le collectif ne digère pas l’absence du mot mafia : « On parle encore de dérives mafieuses, mais à un moment donné, à force de dériver, un bateau s’échoue ! À partir de combien de morts va-t-on commencer à parler de mafia ? ». Les collectifs supportent encore moins le refus de l’Exécutif de mesures dérogatoires au droit commun et des juridictions d’exception, de triste mémoire en Corse, tout comme son rejet d’un Parquet national anticriminalité organisé, sa méfiance sur la refonte du statut de repenti ou sur un nouveau délit d’association mafieuse, transposé du droit italien. Autant de mesures que les collectifs réclament à grands cris.
Une commission houleuse
La commission permanente de l’Assemblée de Corse, élargie aux associations et aux collectifs, qui s’est tenue à huis clos lundi après-midi à Bastia pour examiner le rapport et préparer la session, a été plutôt houleuse. Les échanges entre les collectifs et la majorité territoriale ont été abrupts, les premiers assez virulents ont déclenché, chez les seconds, des réactions vives et une mise au point ferme. Pourtant à l’issue de la réunion, les commentaires se voulaient lénifiants. Léo Battesti, porte-parole du collectif « Maffia no, a Vita ie », fait état « de divergences » au niveau de la politique pénale, mais se félicite de l’union du politique et de la société civile insulaires dans une réponse commune : « Nous sommes pour avoir des lois spécifiques antimafia, d’autres sont moins convaincus, mais tout le monde veut que le pouvoir régalien et en particulier le législateur, qui a le compte de ces réalités, ne laissent plus la Corse en déshérence. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation grave en Corse, il y a une emprise mafieuse considérable. C’est une réponse politique, c’est un exemple d’association du politique et de la société civile, c’est très bien ». De son côté, la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, défend le refus des juridictions d’exception : « Nous avons vu en Corse ce que ça a donné par le passé. On ne peut pas présupposer de ce qu’il arrivera dans le futur avec des juridictions qui pourront prendre des décisions de manière très dure, très conservatrice, à tout bout de champ, dans toutes les situations, qu’elles soient en matière de criminalité organisée, de droit commun ou en matière politique ». Elle appelle à « la vigilance ».
Un texte à amender
Dans le rapport, l’Exécutif avait justifié ses rejets en arguant que l’arsenal des lois répressives est déjà bien assez fourni et que « par l’inflation des lois sécuritaires, nous construisons les outils de notre asservissement de demain ». Il est vrai que sous les mandatures macronistes, les lois sécuritaires ont atteint un niveau record qui préoccupe jusqu’aux instances internationales. Une position partagée par la Ligue des droits de l’Homme qui a toujours milité pour la suppression des juridictions d’exception et s’est élevée contre la disparition des jurys populaires. « La revendication d’un nouveau délit d’association mafieuse aux contours flous notamment en matière de recueil de la preuve, ouvre la porte à l’arbitraire, à l’identique du délit français d’association de malfaiteurs ». Elle se félicite que l’Exécutif corse « ne soutienne pas autant de reculs ». Le rapport et ses trente mesures ont également fait l’objet d’un avis favorable du CESEC, réuni mardi en séance plénière. Pour sa présidente, Marie-Jeanne Nicoli : « L’essentiel, c’est que la question soit dans l’espace et le débat publics ». Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, assure travailler à trouver un compromis : « On va essayer de faire évoluer les positions pour trouver des points d’équilibre. Après, on assumera les désaccords de façon tranquille. Ce qui est important, c’est que nous sommes d’accord sur l’essentiel. Et cet essentiel est de construire une société corse libre, apaisée, démocratique et affranchie des pratiques mafieuses ». L’opposition a déjà annoncé qu’elle déposerait plusieurs amendements.
Un ministre inattendu
Personne ne sait trop quoi raisonnablement espérer de cette session spéciale, mais ce qui est certain, c’est que personne ne s’attendait à la venue inopinée du ministre de la Justice. Gérald Darmanin s’est carrément imposé en guest-star à une session parlementaire à laquelle il n’était pas convié. La rumeur, qui a couru toute la journée de lundi, a été confirmée, le soir même, à CNI, par son cabinet, sans en préciser ni les modalités, ni le programme. Cette annonce a stupéfié le monde politique insulaire qui a appris par la presse la participation du ministre, provoquant des réactions très mitigées. Si les présidents Simeoni et Maupertuis se sont refusés à tout commentaire, d’autres jugent cette main forcée du ministre « assez cavalière » et peu conforme au protocole des visites ministérielles, d’autres encore fustigent « un mépris des institutions » auquel il est vrai les divers gouvernements Macron ont habitué la Corse. L’opposition, par contre, s’en réjouit, estimant que la venue d’un ministre est « un bon signal » et peut faire avancer les choses, à condition qu’elle soit « suivie d’actes ». Core in Fronte entend saisir l’occasion pour revenir sur la question du Fijait et des lourdes condamnations financières que doivent régler quelques militants nationalistes. Par sa venue, le ministre a grillé la politesse à l’invité vedette initial, Leoluca Orlando, ancien maire de Palerme pendant près de 25 ans, ex-président de la région de Sicile, ex-député italien et désormais député européen. L’intervention de cette grande figure de la guerre contre la mafia sicilienne, que Gilles Simeoni avait rencontrée à Palerme, promet d’être très instructive.
Des annonces en perspective
Autre fait nouveau – corrélé ou pas à la venue du ministre ? -, les services de l’Etat ont, pour une fois, accepté l’invitation de l’assemblée de Corse, invitation qu’ils ont toujours dédaignée par le passé, tout comme ils ont obstinément refusé de participer aux auditions et aux travaux préliminaires. Depuis sa prise de fonction, le nouveau Préfet de Corse, Jérôme Filippi, paraît s’être emparé du sujet, inaugurant, peut-être, une nouvelle dynamique dans la lutte contre le crime organisé, domaines régaliens où l’Etat n’a, en Corse, brillé, ni par sa volonté politique, ni par ses résultats. L’ancien préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin, a même affirmé, devant la mission d’information parlementaire sur l’avenir institutionnel de l’île, que « le crime organisé imprègne l’intégralité de la société corse jusqu’aux services de l’Etat ». En sera-t-il question jeudi ? Difficile à dire ? Néanmoins, la venue du ministre a de quoi surprendre. On suppose que si Gérald Darmanin arrive mercredi soir pour prendre exclusivement la parole jeudi matin à l’Assemblée de Corse, c’est, pour le moins, faire des annonces fortes sur la politique pénale qu’il entend mener contre les dérives mafieuses. Rien d’autre n’est prévu à son programme, à part une réunion de travail avec les chefs de la juridiction de la Corse mercredi soir à 21 heures, peut-être pour affiner son allocution du lendemain. On peut s’étonner qu’il ait choisi un tel lieu, et dans des conditions qui restent à définir, pour ce genre de déclaration traditionnellement réservée à un cadre judiciaire. Sa venue ayant bouleversé l’ordre du jour, on ne sait pas quel sera le format et le déroulé de la session. Cette visite ministérielle éclair draine, donc, son lot de surprises. On en saura un peu plus jeudi matin.
N.M.
Un rapport à polémique
Le rapport propose, malgré la faiblesse de ses marges de manœuvre, des pistes de solutions parfois intéressantes, notamment en matière d’appels d’offres et de politiques publiques où des améliorations ont déjà été apportées, en matière également de gestion des déchets et d’urbanisme qui subissent la plus forte pression du crime organisé. Il décline surtout des actions pour répondre aux enjeux éducatifs, culturels et sociétaux qui semblent dérisoires à certains, mais qui sont primordiaux dans une île où la proximité et les liens sociaux peuvent conduire à une certaine résignation et une apathie menaçant la qualité même de ce lien social. Dès sa sortie, le texte a subi un tir groupé des collectifs antimafia pour qui le compte n’y est pas. En tête de file, le collectif anti-mafia Massimu Susini : « Nous étions assez optimistes et on tombe de haut. C’est une très grande déception. Ce rapport est très en-deçà du travail des ateliers, mais aussi de ce que nous avions envisagé après avoir rencontré le président de l’Exécutif à plusieurs reprises et l’avoir entendu nous dire que le rapport serait fidèle à ce que les ateliers préconisaient ». S’il adoube le volet éducation : « C’est la seule chose qui tienne la route, le seul chapitre d’un bon niveau où l’on a des propositions concrètes », le collectif ne digère pas l’absence du mot mafia : « On parle encore de dérives mafieuses, mais à un moment donné, à force de dériver, un bateau s’échoue ! À partir de combien de morts va-t-on commencer à parler de mafia ? ». Les collectifs supportent encore moins le refus de l’Exécutif de mesures dérogatoires au droit commun et des juridictions d’exception, de triste mémoire en Corse, tout comme son rejet d’un Parquet national anticriminalité organisé, sa méfiance sur la refonte du statut de repenti ou sur un nouveau délit d’association mafieuse, transposé du droit italien. Autant de mesures que les collectifs réclament à grands cris.
Une commission houleuse
La commission permanente de l’Assemblée de Corse, élargie aux associations et aux collectifs, qui s’est tenue à huis clos lundi après-midi à Bastia pour examiner le rapport et préparer la session, a été plutôt houleuse. Les échanges entre les collectifs et la majorité territoriale ont été abrupts, les premiers assez virulents ont déclenché, chez les seconds, des réactions vives et une mise au point ferme. Pourtant à l’issue de la réunion, les commentaires se voulaient lénifiants. Léo Battesti, porte-parole du collectif « Maffia no, a Vita ie », fait état « de divergences » au niveau de la politique pénale, mais se félicite de l’union du politique et de la société civile insulaires dans une réponse commune : « Nous sommes pour avoir des lois spécifiques antimafia, d’autres sont moins convaincus, mais tout le monde veut que le pouvoir régalien et en particulier le législateur, qui a le compte de ces réalités, ne laissent plus la Corse en déshérence. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation grave en Corse, il y a une emprise mafieuse considérable. C’est une réponse politique, c’est un exemple d’association du politique et de la société civile, c’est très bien ». De son côté, la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, défend le refus des juridictions d’exception : « Nous avons vu en Corse ce que ça a donné par le passé. On ne peut pas présupposer de ce qu’il arrivera dans le futur avec des juridictions qui pourront prendre des décisions de manière très dure, très conservatrice, à tout bout de champ, dans toutes les situations, qu’elles soient en matière de criminalité organisée, de droit commun ou en matière politique ». Elle appelle à « la vigilance ».
Un texte à amender
Dans le rapport, l’Exécutif avait justifié ses rejets en arguant que l’arsenal des lois répressives est déjà bien assez fourni et que « par l’inflation des lois sécuritaires, nous construisons les outils de notre asservissement de demain ». Il est vrai que sous les mandatures macronistes, les lois sécuritaires ont atteint un niveau record qui préoccupe jusqu’aux instances internationales. Une position partagée par la Ligue des droits de l’Homme qui a toujours milité pour la suppression des juridictions d’exception et s’est élevée contre la disparition des jurys populaires. « La revendication d’un nouveau délit d’association mafieuse aux contours flous notamment en matière de recueil de la preuve, ouvre la porte à l’arbitraire, à l’identique du délit français d’association de malfaiteurs ». Elle se félicite que l’Exécutif corse « ne soutienne pas autant de reculs ». Le rapport et ses trente mesures ont également fait l’objet d’un avis favorable du CESEC, réuni mardi en séance plénière. Pour sa présidente, Marie-Jeanne Nicoli : « L’essentiel, c’est que la question soit dans l’espace et le débat publics ». Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, assure travailler à trouver un compromis : « On va essayer de faire évoluer les positions pour trouver des points d’équilibre. Après, on assumera les désaccords de façon tranquille. Ce qui est important, c’est que nous sommes d’accord sur l’essentiel. Et cet essentiel est de construire une société corse libre, apaisée, démocratique et affranchie des pratiques mafieuses ». L’opposition a déjà annoncé qu’elle déposerait plusieurs amendements.
Un ministre inattendu
Personne ne sait trop quoi raisonnablement espérer de cette session spéciale, mais ce qui est certain, c’est que personne ne s’attendait à la venue inopinée du ministre de la Justice. Gérald Darmanin s’est carrément imposé en guest-star à une session parlementaire à laquelle il n’était pas convié. La rumeur, qui a couru toute la journée de lundi, a été confirmée, le soir même, à CNI, par son cabinet, sans en préciser ni les modalités, ni le programme. Cette annonce a stupéfié le monde politique insulaire qui a appris par la presse la participation du ministre, provoquant des réactions très mitigées. Si les présidents Simeoni et Maupertuis se sont refusés à tout commentaire, d’autres jugent cette main forcée du ministre « assez cavalière » et peu conforme au protocole des visites ministérielles, d’autres encore fustigent « un mépris des institutions » auquel il est vrai les divers gouvernements Macron ont habitué la Corse. L’opposition, par contre, s’en réjouit, estimant que la venue d’un ministre est « un bon signal » et peut faire avancer les choses, à condition qu’elle soit « suivie d’actes ». Core in Fronte entend saisir l’occasion pour revenir sur la question du Fijait et des lourdes condamnations financières que doivent régler quelques militants nationalistes. Par sa venue, le ministre a grillé la politesse à l’invité vedette initial, Leoluca Orlando, ancien maire de Palerme pendant près de 25 ans, ex-président de la région de Sicile, ex-député italien et désormais député européen. L’intervention de cette grande figure de la guerre contre la mafia sicilienne, que Gilles Simeoni avait rencontrée à Palerme, promet d’être très instructive.
Des annonces en perspective
Autre fait nouveau – corrélé ou pas à la venue du ministre ? -, les services de l’Etat ont, pour une fois, accepté l’invitation de l’assemblée de Corse, invitation qu’ils ont toujours dédaignée par le passé, tout comme ils ont obstinément refusé de participer aux auditions et aux travaux préliminaires. Depuis sa prise de fonction, le nouveau Préfet de Corse, Jérôme Filippi, paraît s’être emparé du sujet, inaugurant, peut-être, une nouvelle dynamique dans la lutte contre le crime organisé, domaines régaliens où l’Etat n’a, en Corse, brillé, ni par sa volonté politique, ni par ses résultats. L’ancien préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin, a même affirmé, devant la mission d’information parlementaire sur l’avenir institutionnel de l’île, que « le crime organisé imprègne l’intégralité de la société corse jusqu’aux services de l’Etat ». En sera-t-il question jeudi ? Difficile à dire ? Néanmoins, la venue du ministre a de quoi surprendre. On suppose que si Gérald Darmanin arrive mercredi soir pour prendre exclusivement la parole jeudi matin à l’Assemblée de Corse, c’est, pour le moins, faire des annonces fortes sur la politique pénale qu’il entend mener contre les dérives mafieuses. Rien d’autre n’est prévu à son programme, à part une réunion de travail avec les chefs de la juridiction de la Corse mercredi soir à 21 heures, peut-être pour affiner son allocution du lendemain. On peut s’étonner qu’il ait choisi un tel lieu, et dans des conditions qui restent à définir, pour ce genre de déclaration traditionnellement réservée à un cadre judiciaire. Sa venue ayant bouleversé l’ordre du jour, on ne sait pas quel sera le format et le déroulé de la session. Cette visite ministérielle éclair draine, donc, son lot de surprises. On en saura un peu plus jeudi matin.
N.M.