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Messe du pape François en Corse : « L’Église est féconde quand elle est joyeuse, comme ici ».


Nicole Mari le Dimanche 15 Décembre 2024 à 18:17

Plus de 8000 fidèles assistaient au Casone, à Aiacciu à la messe en plein air présidée par le pape François, retransmise sur des écrans géants dans plusieurs endroits de l’île. Une cérémonie rythmée par les chants corses des confréries et la ferveur populaire. Les confrères ont donné la communion aux fidèles. A quelques jours de Noël, dans son homélie, le Saint Père a exhorté les Chrétiens au courage, à adopter « l’attente joyeuse » et à cultiver leur foi. Il rappelle que le Christ est venu donner au monde des signes d’espérance dont le premier est la paix. Il redit aux Corses : « Vos traditions sont une richesse. Continuez sur cette voie : l’Église est féconde quand elle est joyeuse ».



Le pape François préside la Sainte messe à Aiacciu en Corse. Photo Paule Santoni.
Le pape François préside la Sainte messe à Aiacciu en Corse. Photo Paule Santoni.
« Le pape, c’est un cadeau avant Noël ». Le mot, écrit dans le livret liturgique distribué aux fidèles avant la messe, illustre dans sa simplicité l’importance de cet évènement historique que constitue la visite du Pape François sur la terre corse. La messe en plein air, qui a débuté ce dimanche après-midi, avec plusieurs minutes de retard sur l’horaire prévu, est le point culminant de cette ferveur extraordinaire qui restera gravée dans les mémoires. Elle réunit jusqu’à 10 000 personnes au Casone, plus 10 000 fidèles devant un écran géant place Miot, et quasiment toute l’île devant les écrans posés dans les villes ou les villages. C’est en tout plus de 100 000 personnes qui suivent la messe dans l’île, sans compter les spectateurs de l’hexagone et d’ailleurs. La joie, l’émotion et la fierté, qu’ont montré les Corses, sont partagées par le pape qui affiche un sourire radieux. Dans son homélie, il rendra hommage au peuple corse et avoue qu’il a été touché par cette piété et cet enthousiasme populaires qui s’expriment avec force depuis qu’il a foulé le sol corse : « J’ai vu tant d’enfants ici, je n’en n’ai jamais vu autant ailleurs. C’est votre joie et votre gloire », s’attirant les vivats de la foule.
 
Le chant des confrères
C’est dans une voiturette sous les applaudissements et l’acclamation des fidèles : « E vivu Franscecu ! E vivu u nostru Papa ! » que le pape franchit, avec le cardinal Bustillo, les derniers mètres jusqu’à l’estrade spécialement conçue pour l’occasion, comme l’intégralité du mobilier rituel blanc et or, en forme de navire, qui sert à la cérémonie. Les prêtres, l’intégralité du clergé insulaire, des évêques venus du continent et des cardinaux, sont revêtus de la robe rose, une couleur seulement portée deux fois dans l’année, qui symbolise l’avènement proche du Messie. Derrière eux s’agglutinent les confréries qui, chacune à son tour, vont chanter un chant de la messe, les confrères donneront la communion aux fidèles. La célébration s’ouvre sur l’Introït, entonné par I Chjama Aghjalesi, le chant latin d'entrée de la messe, suivi du chant de procession qui parle de joie et de paix. Après la prière pénitentielle et la prière d’ouverture, tous deux dites par le pape, la première lecture, tirée du Livre d’Isaïe, est faite en langue corse par Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse et chrétienne pratiquante. D’autres prières seront in lingua nustrale. Chaque séquence est ponctuée par un court chant liturgique interprété par une confrérie, des chants et des voix que le pape écoute attentivement et qu’il semble appréciés.
 
L’attente suspicieuse
Le pape reprend la parole pour prononcer, dans le droit fil de ses discours précédents, - le premier au colloque sur la religiosité populaire, le second à la cathédrale devant les prêtres -, une longue et puissante homélie en italien sur l’importance de garder l’espérance en Dieu et de cultiver la foi. Il commence par exhorter les fidèles au courage en citant cette question de des publicains et des soldats à Jean-Baptiste dans l’Evangile de Saint Luc : « Que devons-nous donc faire ? ». Jean-Baptiste répond : « Pratiquez la justice, soyez droits et honnêtes ». Et le pape de commenter : « En impliquant tout particulièrement les derniers et les exclus, l’annonce du Seigneur réveille les consciences parce qu’Il vient pour sauver, non pour condamner ceux qui sont égarés ». Il y a, précise-t-il, deux manières d’attendre le Messie : « l’attente suspicieuse et l’attente joyeuse ». La première est « pleine de méfiance et d’anxiété. Celui qui a l’esprit occupé par des pensées égocentriques perd la joie de l’âme. Au lieu de veiller avec espérance, il doute de l’avenir. Tout absorbé par des projets mondains, il n’attend pas l’œuvre de la Providence ».

Le pape dit son homélie. Photo AFP / TIZIANA FABI.
Le pape dit son homélie. Photo AFP / TIZIANA FABI.
Le rôle des confréries
Face à cette torpeur, le pape proclame la parole de Saint Paul : « Ne vous inquiétez de rien ! ». Et ajoute : « Ne soyez pas angoissés, déçus, tristes. Combien ces maux spirituels sont répandus aujourd’hui, là en particulier où prédomine le consumérisme. Une telle société vieillit insatisfaite parce qu’elle ne sait pas donner : celui qui vit pour lui-même, la main fermée, ne sera jamais heureux ! ». Il donne comme remède la pratique de la foi à travers, par exemple, la prière du Rosaire, mais aussi les confréries « qui peuvent nous éduquer au service gratuit du prochain, qu’il soit spirituel ou corporel. Ces associations de fidèles, si riches de leur histoire, participent activement à la liturgie et à la prière de l’Église qu’elles agrémentent de chants et de dévotions populaires ». Il recommande à tous les membres des confréries « de se rendre toujours proches par leur disponibilité, notamment envers les plus fragiles, en rendant la foi opérante dans la charité. La confrérie a une dévotion spéciale qui est proche de tous ». Une belle reconnaissance du rôle social des confréries corses qui sont l’une des incarnations de la piété populaire dans l’île.
 
L’attente joyeuse
La vraie attitude chrétienne, affirme le Saint Père, est l’attente joyeuse. « Il n’est pas facile d’être joyeux ! », reconnaît-il. « La joie chrétienne n’est, en aucun cas, insouciante, superficielle. Il s’agit au contraire d’une joie du cœur reposant sur un fondement très solide… La venue du Seigneur nous apporte le salut : elle est donc un motif de réjouissance. Notre joie n’est donc pas une consolation illusoire pour nous faire oublier les tristesses de la vie. Elle est le fruit de l’Esprit par la foi au Christ Sauveur qui frappe à notre cœur, le libérant de la tristesse et de l’ennui ». C’est pourquoi l’avènement du Seigneur devient une fête pleine d’avenir pour tous les peuples : « En compagnie de Jésus, nous découvrons la vraie joie de vivre et celle de donner les signes d’espérance que le monde attend ». Le premier de ces signes est la paix. « Celui qui vient est l’Emmanuel, le Dieu avec nous, qui donne la paix aux hommes aimés du Seigneur… Puissent nos communautés grandir dans leur capacité d’accompagner tout le monde, en particulier les jeunes sur le chemin du baptême et des sacrements !». Il déplore les enfants qui abandonnent leurs géniteurs dans les maisons de vieux : « Prenez soin des vieux, des anciens qui sont la sagesse d’un peuple ! ».
 
La joie des Corses, un modèle
Comme le matin, le pape François érige la Corse en modèle à suivre : « En Corse, Dieu merci, les chrétiens sont nombreux ! Continuez sur cette voie : l’Église est féconde quand elle est joyeuse. C’est cela le style de notre annonce qui apporte à tous la paix du Seigneur et la lumière de la foi ». S’il n’oublie pas la misère, les guerres, la corruption et la violence, il proclame « une espérance certaine qui ne déçoit pas puisque le Seigneur vient habiter au milieu de nous. Ainsi, notre engagement pour la paix et la justice trouve dans sa venue une force inépuisable. En tout temps et au milieu, le Christ est la source de notre joie. Pour la porter partout, gardons-la toujours dans notre cœur. Nous serons alors les témoins de l’espérance qui ne déçoit pas. Avec cette certitude que le Christ est avec nous, nous serons heureux et nous rendrons les autres heureux ». Après le credo et la prière universelle, le Cardinal Bustillo, qui préside l’Eucharistie, présente et bénit les offrandes, le pain et le vin, aidé notamment par le cardinal Mamberti. Le Sanctus est chanté par u cunfraternita San Martinu di Patrimoniu.

Le Cardinal François Bustillo, évêque de Corse, entouré du cardinal Mamberti et des évêques. Photo Paule Santoni.
Le Cardinal François Bustillo, évêque de Corse, entouré du cardinal Mamberti et des évêques. Photo Paule Santoni.
La puissance de la foi
A la fin de la messe, le Cardinal François Bustillo, resplendissant lui aussi de joie, salue, sous les acclamations, son peuple venu en masse et tous ceux qui ont travaillé pour que cette journée « soit belle et inoubliable » et « afin de vivre ce moment de communion et d'espérance ». Avant de remercier le pape : « Nous vous disons ensemble un immense merci ! Merci pour vos paroles, vos gestes et votre force intérieure qui nous encouragent à continuer notre chemin avec passion ». Reprenant les paroles du Prophète Isaïe : « Le Peuple, qui marchait dans les ténèbres, a vu se lever une grande lumière », il rappelle que le Christ « s'est donné pour nous afin de nous purifier et nous transformer en peuple ardent à faire le bien. Sortir des ténèbres et faire du bien, il s'agit d'un projet opportun et urgent pour notre société ». Le Cardinal Bustillo proclame, lui aussi, la puissance de la foi et de l’espérance face aux divisions et à la peur : « La société a besoin de modèles capables de croire et d'espérer. Notre foi, si elle est adulte, mature et responsable, nous sort de la tristesse et du désespoir. Une foi solide nous libère de la tentation de sombrer dans le fatalisme et d'imaginer un monde mythique. La société française a besoin de retrouver le goût de la vie et l'espérance. La foi chrétienne - sans arrogance et sans complexes - peut apporter un peu de sel, le sel évangélique pour sortir de la vie fade et retrouver la joie de vivre. L'Evangile, si méconnu nous relève et nous provoque pour mener une vie meilleure, plus juste, plus pacifique, plus fraternelle ». Et de conclure en langue corse : « Grazie Santu Padre per incoraggiarci à crescere, a credere et a sperare ! La vostra testimonianza è una forza per noi ! ». Avant de lui offrir un présent, une partition d'un antiphonaire (livre liturgique catholique rassemblant les partitions grégoriennes des heures) d'un couvent de Sartène du XI° siècle rédigé sur parchemin. « Lors de la création des cardinaux l'année dernière, vous avez dit : le collège cardinalice est appelé à ressembler à un orchestre symphonique capable d'écouter... Nous essayons de le faire. Notre société a besoin de célébrer la vie. Nous vous disons Merci ! ».
 
Conservez vos traditions !
Après avoir reçu des étoiles, symboles de la foi et de l’Espérance, des mains des enfants, le Souverain Pontife conclut la cérémonie en remerciant le Cardinal Bustillo « pour ses paroles et pour toute cette journée au cours de laquelle je me suis senti à la maison ! Merci à tous ceux qui, de différentes manières, ont préparé cette visite, à la communauté ecclésiale et à la communauté civile ». Et par la bénédiction des fidèles corses en disant : « Allez de l’avant dans l'harmonie, dans la distinction qui n'est pas la séparation, en travaillant toujours ensemble pour le bien commun. Je salue et bénis les malades, les personnes âgées isolées, les prisonniers. Que la Madunnuccia apporte réconfort et espérance à ceux qui souffrent ! Vos traditions sont une richesse qu'il faut conserver et cultiver, mais pas pour vous isoler, mais toujours en vue de la rencontre et du partage. Merci à tous ! Bon chemin vers la sainte fête de Noël ! ». Un message fort invitant les pèlerins à vivre leur foi au quotidien et de manière visible, comme le font les Corses, à prendre soin des plus fragiles et à s’ouvrir sur le monde. Après la bénédiction, les confrères et la foule ont entamé tous en chœur u Dio Salvi Regina, l’hymne corse de dévotion à la Vierge Marie, puis Sunate e campane corse, clôturant en beauté, au coucher du soleil, une magnifique messe pontificale, la première en Corse, et une visite papale intense qui s’est déroulée dans une grande proximité.
 
N.M.
 

Photo Bertrand Guay (AFP)
Photo Bertrand Guay (AFP)