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Michel Castellani : « Si le statut de la Corse était performant, les frigos seraient pleins ! »


Nicole Mari le Lundi 28 Octobre 2024 à 18:06

La ministre du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation, Catherine Vautrin, a réaffirmé, lors de sa visite en Corse, la poursuite du processus d’autonomie et détaillé le calendrier. En même temps, elle a rencontré les acteurs économiques de l’île et répété qu’il n’y avait pas une question Corse, mais des problèmes en Corse. Pour le député Femu a Corsica de la 1ère circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT, Michel Castellani, il n’est pas question d’opposer les deux. Il explique à Corse Net Infos que la résolution des problèmes du quotidien ne peut pas occulter la dimension politique de la question Corse.



Michel Castellani, député Femu a Corsica de la 1ère circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT.
Michel Castellani, député Femu a Corsica de la 1ère circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT.
- La ministre Vautrin a répété à plusieurs reprises qu’il n’y a pas une question Corse, mais des problèmes en Corse. Est-ce une façon de fermer la porte à certaines revendications politiques ?
- Il convient de lui poser la question. En ce qui me concerne, les choses sont claires : il y a bien une question historique corse, et c’est celle-ci qu’il convient de prendre en compte. Elle est de nature éminemment politique. On ne peut résumer les difficultés de la Corse à des questions matérielles, même si ces dernières sont patentes. Il n’est pas question de laisser noyer ce qui constitue le fond même de notre action politique dans des approches sémantiques.
 
- N’y a-t-il pas, de votre part, comme le dit l’opposition, une sous-estimation de ces difficultés matérielles ?
- Nullement ! Comme chaque portion de l’espace terrestre, la Corse doit répondre à des besoins en aménagement. Il convient d’y maîtriser la gestion de l’eau, des déchets, des transports intérieurs, maritimes et aériens, du logement, de la formation, de la santé et certainement d’autres. La réponse à ces problèmes est de la compétence de la Collectivité, des communes ou des intercommunalités suivant les cas, avec une intervention plus ou moins directe et plus ou moins forte de l’Etat. En tant que député, j’ai bien souvent à faciliter l’avancée de tel ou tel dossier, à accompagner tel ou tel projet auprès des ministères. C’est dans ce domaine de responsabilité que j’ai eu à faire avancer la question d’un nouvel hôpital à Bastia. Ces questions relèvent de la vie quotidienne et sont naturellement d’une grande importance.
 
- Mais pour vous, l’essentiel est ailleurs et réside dans la dimension politique de la question corse ?
- En effet. Les difficultés du quotidien ne sont nullement opposables à ce qu’il est convenu de qualifier de problème corse. L’insularité pose des problèmes particuliers, mais n’est en aucun cas la base de notre problématique. Ce qui l’est, en revanche, c’est la nécessité impérieuse de prendre en compte les intérêts vitaux d’un peuple. Le peuple corse, avec sa continuité historique, sa langue, son sens de la vie, sa musique, ses proverbes, ses fêtes, sa cuisine et son lien à sa terre. Le sentiment d’appartenance est notre irremplaçable valeur commune. Cette personnalité a permis à tant de femmes et d’hommes, chaque jour, et au fil des siècles, de se fondre dans notre communauté. L’histoire nous l’enseigne : soit il y avait chez les arrivants un sentiment d’enfermement, un phénomène de rejet, et ils partaient dès que possible, soit leurs enfants devenaient Corses. L’évolution contemporaine des choses fait que cette réalité sociale et sociétale ne joue plus, ou, pour mieux dire, joue en sens contraire. Par le jeu de mouvements migratoires extrêmement puissants, les Corses sont devenus minoritaires chez eux et le deviennent chaque jour un peu plus. Plus rien n’est protégé ! Langue noyée, économie dominée, foncier raboté par une spéculation débridée, référents sociétaux extravertis et étrangers à nos traditions…
 
- Comment réagissez-vous face à cette situation ?
- Face à cette situation, soit on pense que la fin de ce que nous sommes historiquement est inéluctable, que la chaîne est brisée, et on baisse les bras, soit on agit politiquement pour porter une réponse adaptée. C’est ce que font beaucoup de citoyens dans les domaines politique, social, culturel, syndical ou associatif. Il y a également, hélas, ceux qui, dans chacun de ces domaines, piétinent au quotidien nos intérêts vitaux, même s’il est de bon ton d’affirmer en toute occasion combien on aime la Corse et de saupoudrer tout programme politique d’un brin de corsisme.
 
- Pensez-vous convaincre la classe politique française d’accompagner votre démarche ?
- Faire comprendre notre situation à Paris n’est pas commode. Nous nous heurtons à un esprit très centralisateur, à une crainte de tous les instants d’affaiblir et même de démembrer la France. Il y a là-bas un nationalisme qui dépasse largement le nôtre. Il y a en fait deux France. Une autoritaire et centralisée qui nous est fondamentalement hostile. Et aussi une France des terroirs, Girondine, qui nous est bien plus proche. Face à cette situation, nous faisons systématiquement de la pédagogie. Et, contrairement à ce qui a pu se dire quelquefois, nous ne lâchons rien sur la dimension fondamentale de nos intérêts historiques et politiques. J’ai toujours une tonalité conciliante et constructive, mais sans concession sur le fond. Pas par idéologie, mais parce que le sujet ne s’y prête pas.
 
- Dans ce contexte, comment définiriez-vous votre action politique ?
- Il convient selon nous de mener les deux démarches de front. Pousser les dossiers de nature matérielle d’un côté, et représenter du mieux possible notre communauté en tant que telle de l’autre. Les deux aspects sont d’ailleurs bien souvent liés. Quant on affirme que l’autonomie ne remplira pas les frigidaires, ça n’est rien d’autre qu’un profond conservatisme et une fadaise. Si le statut de la Corse était performant, les frigos seraient pleins ! Et, par conséquent, comment agir sur les piètres réalités sociales de notre île sans avoir les compétences pour le faire ? Je pense aux structures cartellisées de l’offre, qui font de nous un marché périphérique captif. Je pense à la nécessité d’un statut fiscal, indispensable à soutenir une vie économique et sociale moins déprimée. Je pense à des compétences culturelles, seules susceptibles de sauver notre langue. Ci vole a scumbatte. Un colpu a u chjerchju, un colpu à a botte ! Hè cio chi cercu di fà, u megliu pussibile, ogni ghjornu.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.