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Philippe Sire : "En Corse, la gestion des finances publiques exige un équilibre délicat"


Christophe Di Caro le Lundi 16 Septembre 2024 à 18:04

À la tête de la Chambre régionale des comptes de Corse depuis un an et demi, Philippe Sire veille à la bonne gestion des finances publiques des collectivités locales. Entre contrôle rigoureux et soutien aux élus, il revient sur les spécificités de la gestion insulaire, les défis auxquels font face les collectivités et le rôle clé de l’institution dans l’accompagnement des acteurs locaux pour garantir un service public de qualité.



Philippe Sire, Président de la Chambre régionale des comptes
Philippe Sire, Président de la Chambre régionale des comptes
Quel est le rôle de la Chambre régionale des comptes en Corse et son intégration au sein de la Cour des comptes en France ?
La Chambre régionale des comptes (CRC) en Corse est une entité indépendante de la Cour des comptes nationale. Son programme d’audit est établi localement, après concertation, et n'est pas imposé depuis Paris. Cependant, il arrive que la CRC participe à des enquêtes d'envergure nationale menées par la Cour des comptes. Cela peut, dans certains cas, limiter quelque peu son indépendance régionale. Par exemple, si nous contribuons à une enquête nationale sur la gestion de l’eau, cela influence inévitablement notre programme régional, notamment en lien avec l’Office d’Équipement Hydraulique de la Corse. À noter que tout ce qui touche à la gestion des ressources humaines ou aux aspects budgétaires est généralement traité par la Cour des comptes nationale. En France, chaque région métropolitaine dispose d’une Chambre régionale des comptes, soit 13 CRC au total, auxquelles s’ajoutent les Chambres des territoires et départements d’outre-mer.

Comment la Chambre régionale des comptes en Corse veille-t-elle à la bonne gestion des finances publiques locales ? Quels types de contrôles menez-vous ?
Chaque année, nous réalisons entre 12 et 15 contrôles. Ces derniers sont soit organiques, c'est-à-dire qu'ils portent sur une collectivité spécifique comme une commune, une communauté de communes ou la Collectivité de Corse, soit thématiques, axés sur une politique publique précise. Nous vérifions d'abord la fiabilité des comptes, puis nous examinons des domaines comme les commandes publiques, la gestion des ressources humaines ou encore la mise en œuvre des politiques publiques.
Depuis mon arrivée, il y a un an et demi, j’ai souhaité renforcer les contrôles sur les communautés de communes et les communes de taille moyenne, souvent délaissées. Bien que les élus perçoivent parfois ces contrôles comme une contrainte, ils nous remercient par la suite. Nous leur apportons des recommandations qui leur offrent une véritable feuille de route pour améliorer leur gestion. Ils expriment souvent leur satisfaction, considérant nos constats comme une aide précieuse pour clarifier leur gouvernance. Il est important de noter que nous effectuons nos contrôles à charge et à décharge, ce qui signifie que nos rapports ne sont pas forcément négatifs. Même en présence de dysfonctionnements, l’issue peut être positive.

Quelles sont les relations entre la Chambre régionale des comptes et les administrations locales en Corse ? Comment se déroule une mission de contrôle ?
Pour débuter un contrôle, la commune ou la collectivité concernée doit figurer sur notre programme. Une fois cette décision prise, nous envoyons une lettre au maire pour l'en informer. Les contrôles, qui durent entre quatre et six mois, sont réalisés par des magistrats, souvent à distance via des supports dématérialisés. Toutefois, je tiens à ce que mes collègues se rendent également sur le terrain, rencontrent les maires et les directeurs des services, afin de mieux comprendre les projets en cours.
Le rapport de contrôle est ensuite délibéré collégialement par la Chambre avant d’être envoyé de manière provisoire à l’élu concerné, qui dispose d’un mois pour formuler des observations contradictoires. Après prise en compte, ou non, de ces réponses, un rapport définitif est établi. L’élu a encore un mois pour répondre, puis deux mois supplémentaires pour le présenter devant son Conseil municipal. Si cette étape n’est pas respectée, nous publions le rapport malgré tout, en y joignant les réponses de l’élu. L’ensemble du processus est basé sur la collégialité et la contradiction, garantissant ainsi que l’élu puisse toujours s’expliquer.

En quoi la gestion des finances publiques en Corse diffère-t-elle des autres régions de France ? Y a-t-il des particularités locales que vous devez prendre en compte ?
La spécificité majeure en Corse réside dans le poids de la Collectivité de Corse, qui est devenue, depuis la fusion des deux départements en 2018, une structure imposante avec plus de 4500 agents. Elle représente presque la moitié des finances publiques que nous auditons. Chaque fois que nous souhaitons examiner une collectivité en Corse, nous devons souvent inclure dans notre contrôle la Collectivité de Corse et les huit agences et offices qui lui sont rattachés. Cela a été le cas pour des sujets tels que la gestion des déchets, l’eau, l’aménagement du territoire ou encore les transports aériens, pour ne citer que les plus récents. C’est une particularité que l’on ne retrouve pas dans les autres régions françaises.

La Cour des comptes nationale a récemment exprimé des préoccupations concernant la situation financière en France. Comment cela se traduit-il au niveau local, notamment en Corse ?
Sur ce point, je laisserai Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, s'exprimer. Toutefois, il est vrai que les difficultés nationales ont des répercussions au niveau local. Moins l’État dispose de ressources, moins il en alloue aux collectivités locales, notamment via des dotations comme la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF), en baisse ces dernières années. Par ailleurs, la réforme de la fiscalité locale, avec la suppression de la taxe d’habitation, a rendu les collectivités davantage dépendantes d’une fraction de la TVA. Or, cette ressource est bien plus volatile que les impôts locaux, autrefois fixés par les élus eux-mêmes.

Le gouvernement vise à ramener le déficit public sous les 3 % d’ici 2027. Pensez-vous cet objectif réalisable ? Quels efforts devront être fournis au niveau local et national ?
Je doute que cet objectif soit atteint d’ici 2027. En plus de réduire le déficit, il faudra également s'attaquer à la dette publique, sous peine de voir son remboursement devenir le premier poste budgétaire de l’État dans les années à venir. On ne parle pas encore d’austérité, mais il est clair qu’une vigilance accrue est nécessaire concernant les finances publiques.

Comment la Cour des comptes, au niveau national et régional, peut-elle contribuer à réduire la dette publique tout en maintenant les services publics essentiels ?
Notre travail se concentre davantage sur la dette des collectivités locales. En Corse, par exemple, la dette de la Collectivité de Corse dépasse le milliard d’euros. Les collectivités endettées doivent trouver un équilibre entre le remboursement de leur dette et l’investissement dans des services publics de qualité. Pour les élus locaux, la situation est complexe et leurs marges de manœuvre sont souvent très limitées.

Quels sont les principaux défis auxquels la Chambre régionale des comptes est confrontée dans la gestion publique en Corse ?
Les défis sont nombreux, à commencer par la transition écologique, qui nécessite des investissements conséquents. En Corse, la gestion des déchets reste un problème majeur. Nous espérons que la construction de l’usine de valorisation des déchets à Monte permettra d’améliorer la situation.

Quels conseils donneriez-vous aux collectivités locales pour améliorer leur gestion financière et éviter les dérives budgétaires ?
Nous ne donnons pas de conseils spécifiques, mais nous encourageons les collectivités à gérer les deniers publics de manière efficace et efficiente. Il s’agit de fournir un service public de qualité au moindre coût, en tenant compte des moyens disponibles. Certaines petites collectivités font appel à des cabinets d’étude pour les aider dans cette tâche, même si cela a également un coût.