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Pierre Ghionga : « Ceux, qui sont contre la coofficialité, sont contre la langue corse »


Nicole Mari le Mardi 16 Avril 2013 à 00:12

Le statut de coofficialité de la langue corse, qui sera soumis au débat et au vote, jeudi 25 avril à l’Assemblée de Corse (CTC), n’en finit pas de provoquer passions et polémiques sur fond de manœuvres politiciennes. Ce que n’apprécie pas son rédacteur, le conseiller exécutif Pierre Ghionga, président du Cunsigliu di a lingua corsa, qui exprime son incompréhension devant cette frilosité à sauver a lingua nustrale, déclarée « en grand danger » par l’Unesco. Conforté par un récent sondage qui affirme que 90 % des Corses sont pour le bilinguisme, il explique, à Corse Net Infos, sa volonté d’obtenir un consensus le plus large possible et répond à tous les points qui font débat.



Pierre Ghionga, Conseiller exécutif chargé de la langue et président du Cunsigliu di a lingua corsa
Pierre Ghionga, Conseiller exécutif chargé de la langue et président du Cunsigliu di a lingua corsa
- Que va-t-il se passer concrètement le 25 avril à la CTC ?
- Concrètement, je vais présenter le statut de coofficialité devant les élus territoriaux qui vont s’en saisir. Il y aura un débat, des amendements et un vote. Je suis ouvert à tout, mais je n’accepterai pas que l’on triture et dénature ce statut pour qu’il n’en reste plus rien. Si les amendements vont vider le texte de son sens, dans ce cas-là, il faut mieux ne pas le voter ! Nous avons fait un travail important pour enlever tous les points de litige et faire en sorte que ce statut recueille le plus large consensus possible.
 
- Pensez-vous réussir à obtenir un vote favorable assez large malgré l’opposition d’une partie de la droite et de la gauche ?
- Chacun prendra ses responsabilités ! Ce statut est la traduction de la motion de 2011, votée par 36 élus qui demandaient la coofficialité. Si ces mêmes élus ne s’y retrouvent pas, ils devront l’expliquer au peuple. Je suis un démocrate. Je demande un vote à l’assemblée et la validation par le peuple. J’espère une forte majorité. J’aurais aimé une unanimité, mais je crains qu’elle ne soit inatteignable. C’est, quand même étrange, ces partis nationaux qui, en discours, sont pour des statuts de toutes sortes et puis reculent face à la réalité du vote !
 
- C’est-à-dire ?
- Je voudrais rappeler à certains élus, notamment ceux du PRG, qu’en 2010, ils ont fait une proposition de loi à l’Assemblée nationale qui s’appelait : le statut Jung. Cette proposition, signée notamment par Paul Giacobbi, Christiane Taubira et de nombreux élus PRG, demandait que la compétence linguistique soit prise en compte pour le recrutement dans les services publics. Notre statut est bien inférieur sur ce point-là puisque nous ne demandons pas cette compétence au moment de l’embauche. Dix jours après, l’UMP a sorti sa proposition de statut Le Fur visant à créer un statut des langues régionales.
 
- Quels points de litige ont évolué ?
- Certains points ont évolué au gré des réunions que nous avons eu avec les syndicats. Les deux principaux points d’achoppement, à savoir le transfert de la compétence éducative à la région et la mise à disposition du personnel à la CTC, ont été abandonnés. Nous sommes arrivés à un consensus autour de la création d’une structure qui s’appellerait : le Conseil économique territorial. Celui-ci gérerait, à parité Etat/CTC, l’Education Nationale en Corse.
 
- Qu’avez-vous décidé sur le niveau requis de corse pour être professeur dans l’île ?
- Le critère de niveau B2 de corse, requis pour passer le concours, a été aussi abandonné et est remplacé par une formation statutaire à la langue corse. Il y a actuellement deux concours : un bilingue et un normal. Il n’y aurait plus qu’un seul concours avec deux options : une pour la personne qui possède un niveau linguistique déjà conséquent au départ et une pour celle qui ne l’a pas et qui bénéficiera, ensuite, de la formation en langue corse.
 
- La Gauche Républicaine et le Front de gauche s’élèvent contre l’obligation de parler corse qu’ils estiment discriminatoire. Qu’en pensez-vous ?
- Je voudrais qu’ils m’éclaircissent ce point. Les mots ont un sens. Un statut de coofficialité comporte forcément des obligations ! Qu’est-ce que la coofficialité ? C’est des droits pour les individus et des obligations pour les administrations, qui accompagnent les droits des individus. Pour avoir un enseignement bilingue, il faut des professeurs formés au bilinguisme ! Il y aura, donc, une obligation de formation. Je ne vois pas comment on peut faire autrement ! C’est le système actuel qui est inégalitaire et discriminatoire. Il fait du corse la langue de l’élite, d’une certaine bourgeoisie insulaire qui ne veut pas se mélanger au reste de la population vivant sur l’île. C’est ça qui est inacceptable !
 
- N’y-a-t-il pas un problème, actuellement, au niveau de cette formation bilingue des professeurs ?
- Aujourd’hui, la CTC n’a pas de compétence en la matière. Elle ne peut, donc, pas dire à l’Etat qu’elle va prendre en charge la formation des professeurs. Pour pouvoir le faire, il faut un transfert de compétence. C’est une question très importante et très politique.
 
- Certains élus opposent, au statut de coofficialité, la notion de bilinguisme. Quelle est votre position ?
- Je reste béat de stupéfaction quand j’entends certains hommes politiques, qui ont exercé des responsabilités importantes, dire qu’ils sont pour un bilinguisme renforcé. Qu’on m’explique ce qu’est, concrètement, un bilinguisme renforcé ! Je lance ce défi à tous ceux qui en parlent, à avis, par hypocrisie parce qu’ils sont contre la langue corse ! Je les accuse, soit de ne pas avoir travailler sur le sujet parce que, lorsqu’on y travaille, on s’aperçoit que le seul outil permettant d’arriver à une société bilingue est la coofficialité. Soit, plus grave, de ne pas avoir le courage de leurs opinions. Qu’ils disent carrément qu’ils se contrefichent de la langue corse, qu’ils ont inventé ce concept parce qu’ils ne veulent pas s’aliéner une partie putative de l’électorat nationaliste pour les municipales ou pour d’autres scrutins ! Je préfèrerais qu’ils le disent vraiment, au lieu d’inventer des arguments de ce niveau !
 
- Quelle est la différence entre bilinguisme et coofficialité ?
- C’est tout à fait différent. Le bilinguisme est l’objectif : une société où l’on veut parler les deux langues à parité. Le moyen pour y arriver est le statut de coofficialité. Il n’y a pas d’autre manière d’y arriver. L’outil idoine du bilinguisme, qui a été expérimenté ailleurs, est un statut de coofficialité pour les deux langues. Je rappelle simplement que l’objectif de ma politique en faveur de la langue, qui passe par un statut de coofficialité, est d’instaurer une société bilingue en Corse, un bilinguisme réel et ouvert au plurilinguisme.
 
- Des élus et des syndicats s’insurgent contre l’importance donnée à la langue au détriment de la question sociale et de l’emploi. Que leur répondez-vous ?
- Il y a corrélation entre défendre une langue et défendre une économie. La langue corse peut induire de l’économie et des emplois. Au niveau social, elle peut induire de la solidarité et de l’égalité. La langue corse n’est pas un OVNI ou une perte de temps. Au contraire, elle donne du sens à notre société, un autre horizon que celui du mercantilisme et une autre vision de l’avenir à nos enfants.
 
- Ces mêmes élus se sont emparés de l’échec du référendum alsacien pour prophétiser la même issue au référendum corse en s’appuyant sur le vote négatif de 2003. Craignez-vous cette éventualité ?
- Je me plie aux décisions du peuple. Le peuple alsacien ne l’a pas voulu. Qui en est responsable ? Peut-être l’enjeu de la réforme alsacienne a-t-il été mal expliqué ? Il s’est heurté à l’opposition de Mulhouse, une ville plus pauvre qui s’est peut-être senti délaissée et qui a fait le plus preuve de militantisme contre cette réforme. Concernant la Corse, notre responsabilité est, si réforme il y a, de l’expliquer et de la faire voter. Je n’ai pas peur de la démocratie. Je suis pour l’organisation d’un référendum. Si les Corses disent oui, ce sera bien. S’ils disent non, nous ferons avec ! Mais si le statut n’est pas voté, c’est la Corse qui aura perdu !
 
- La non-ratification par François Hollande de la charte des langues régionales n’est-elle pas de mauvais augure pour la demande de coofficialité ?
- Non ! La non-ratification de la charte des langues minoritaires ne change rien à notre problème parce qu’à mon avis, cette charte n’est pas adaptée aux langues régionales. Elle s’adresse à des langues non menacées, qui sont minoritaires dans un pays, mais majoritaires dans l’autre, comme par exemple : le hongrois en Roumanie ou le finlandais en Suède. Je ne pense pas qu’elle aurait été l’outil pour sauver notre langue. Il faut, pour les langues régionales, un statut national à géométrie variable. Cela impose une réforme de la Constitution française !
 
- Et si l’Etat persiste à refuser ?
- Nous devons avoir une position démocratique, c’est-à-dire un vote massif de la CTC en faveur de cette coofficialité, ratifiée par un référendum. Et là, je ne vois pas comment la République pourrait s’opposer à la volonté démocratique d’une région. Je fais juste remarquer que le Conseil Constitutionnel a, par exemple, validé le fait qu’en Alsace, les curés soient payés par l’Etat alors qu’il nous a retoqué une mesure beaucoup plus ancienne, datant de 1821 : les Arrêtés Miot. Vous verrez que, sur la langue, l’alsacien va se faufiler, d’une manière ou d’une autre, vers une sorte d’officialité en se camouflant derrière l’allemand. Si l’Etat refuse de prendre en compte notre demande de coofficialité, il faudra, à ce moment-là, prendre nos responsabilités.
 
 - Si le statut est validé, combien de temps faudra-t-il pour sauver la langue corse ?
- Il ne faut pas confondre le vote sur le principe de coofficialité et la mise en place de ce principe qui s’appelle la coofficialisation. Cette dernière sera une procédure très longue. Il faudra environ 20 ans pour que, par exemple, les fonctionnaires corses soient tous bilingues. Et, de grands moyens financiers. Il faudra consacrer, juste pour la formation de ces fonctionnaires, entre 1 à 2 millions d’€ par an. Le bilinguisme, c’est, donc, du temps et de l’argent. Il faut une volonté politique forte pour l’obtenir !
Propos recueillis par Nicole MARI