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Projet de loi sur la fin de vie. Pour le cardinal Bustillo, « on va créer une société plus dure, plus cruelle et moins humaine »


le Lundi 27 Mai 2024 à 20:10

L'Assemblée Nationale se penche depuis ce lundi après-midi sur le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et à la fin de vie. Alors que les députés devront notamment se prononcer sur la légalisation de l'aide à mourir, le cardinal François-Xavier Bustillo, évêque de Corse, livre sans détour son sentiment sur ce qui constitue un véritable débat de société.



- Le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et à la fin de vie est examiné par l’Assemblée Nationale depuis ce lundi.  Dans une récente tribune que vous avez écrit pour le Figaro, vous avanciez que « légaliser la fin de la vie par une mort autorisée est un échec de notre corps social et de nos politiques ». Pour vous, l’État ne devrait donc pas intervenir dans ce débat ? 
- L’État a le pouvoir et le devoir d’offrir des lois à la société pour que les citoyens vivent au mieux. C’est le devoir de l’État et c’est sa responsabilité aussi. Dans ce cas précis, il y a une loi particulière : on parler d’aider à mourir. Beaucoup de philosophes, et de religieux – pas seulement catholiques – ont parlé de l’importance d’aider à vivre. La question que je me pose n’est pas juste technique, médicale ou juridique. Je me demande pourquoi on arrive à demander la mort ? Et c’est là, effectivement, que je souligne et je crois que c’est une cause grave, que notre société, depuis une cinquantaine d’années, va mal. Si des citoyens arrivent à la fin de la vie, qu’ils n’en peuvent plus et qu’ils demandent la mort, c’est qu’il y a un problème. Je peux parfaitement comprendre qu’on demande la fin de la souffrance, c’est tout à fait naturel. Pour cela, il y a les soins palliatifs. Il y a aussi la loi Leonetti, qui, à mon avis, n’est pas dépassée. C’est pour cela que je pense que la question du projet de loi de fin de vie est grave. Nous sommes en démocratie, le Parlement va parler, mais nous nous sommes prononcés avant. Je pense que dans un débat de société, sans vouloir imposer, mais sur le principe de responsabilité, il faut dire notre vision. Nous ne l’imposons pas, mais nous participons au débat social avec notre pensée, avec notre vision de l’homme et de sa destinée. Et je crois que la mission de l'État, par nature, est d'aider à vivre. 
 
- Depuis l’annonce de ce projet de loi, l’Église de France n’a eu de cesse de manifester son inquiétude quant aux dérives que ce texte pourrait engendrer. Dans un point presse à Rome la semaine dernière, la présidence des évêques de France déplorait dans ce droit fil des « verrous (qui) ont sauté ». Des critères stricts, bien qu’assouplis par rapport au texte initial, encadrent cependant la possibilité de recourir à une aide à mourir. Des conditions insuffisantes selon vous ?
- Vous utilisez justement le terme d’inquiétudes. Ce n'est pas à l'Église de dire à l'État ce qu'il doit faire. Ce n'est pas à nous de gouverner. Ce sont ceux qui ont été légitimement élus qui doivent gouverner et proposer les lois justes pour la société. Moi, je pense qu'il peut y avoir une banalisation de l'évaluation de la fin de vie parce qu'il y a des critères extrêmement complexes à évaluer, par exemple, supporter la douleur. Chaque personne a son métabolisme, nous sommes tous différents. Quelqu'un peut supporter une douleur insupportable pour moi et d'autres ne vont pas supporter ce que je considère être une douleur tolérable. Ce que je veux dire, c'est que c’est tellement difficile d'évaluer la capacité de tenir dans la douleur. Par contre, ce que je trouve important et ce que je crois que l'État devrait faire, c'est de travailler pour que les personnes puissent vivre le mieux possible la douleur. Des douleurs physiques ou psychologiques, nous en avons tous, nous ne sommes pas encore au paradis. On les porte plus ou moins bien, mais nous vivons tous avec des douleurs. C'est lié à notre imperfection. On peut comprendre qu'il y a des maladies horribles, douloureuses. Mais est-ce qu'il faut légiférer en fonction d'une minorité ou en fonction d'une souffrance particulière ? Est-ce que la loi Leonetti ne suffit pas ? Moi, je me pose la question et mon inquiétude est là. Quel futur préparons-nous aux nouvelles générations ?
 
- Soulager les souffrances indicibles de malades en fin de vie qui répondent peu aux soins palliatifs n’est-il toutefois pas faire preuve de miséricorde ? Ou est-ce une « fausse compassion » comme l’évoque le Pape François ?
- Si une personne qu'on aime souffre, on essaye de faire attention, de la soutenir. Le Pape parle de fausse compassion parce qu'on dit : « tu souffres, ce n'est pas grave. » Je pense que la solution doit être technique - les soins palliatifs -, mais elle doit être en même temps aussi affective. Je pense qu'un des grands dangers, c'est le manque de solidarité et le manque d'humanité. Quelque part, on délègue tout aux soins techniques qui sont froids, malgré tout ce que peuvent faire les infirmiers ou les médecins. On ne peut pas déléguer une telle responsabilité au corps médical. Il est important que nous soyons humains et qu'on redécouvre cette dynamique belle et importante comme la famille, l'affection, la présence. Quand j'étais jeune étudiant, pour le sacrement des malades de personnes qui sont en train de mourir, je me rappelle qu’on me disait : la personne n'a plus la force d'ouvrir les yeux ni de parler, donc, l'attitude juste, c'est de montrer la présence. On est avec la famille, on touche la main et on parle à l’ouïe. Si une personne est en souffrance, la solution n'est peut-être pas un côté technique, mais de lui dire on est là, on est avec toi, on ne peut pas prendre ta place, mais on t'accompagne jusqu'au bout. Et je reviens à la loi Leonetti : elle permet en douceur un accompagnement à ce niveau-là. C'est pour cela que c'est un peu surprenant qu'on sorte une loi assez radicale et sans retour.
 
- La volonté d’aller plus loin que la loi Leonetti est malgré tout un peu aussi dictée par le fait qu’on sait qu’aujourd’hui, de nombreux Français en fin de vie se déplacent dans des pays frontaliers qui ont légalisé l’euthanasie pour recevoir une aide à mourir. Le fait que la France n’ait pas encore tranché sur ce sujet et ferme les yeux sur ce phénomène n’est-il pas un peu hypocrite ?
- Je pense que plus qu’hypocrite, c'est responsable de la part de l'État français. Quand on parle de Droits de l'Homme, quand on parle de la fraternité, de la liberté, de l'égalité, on fait tous de très beaux discours. Mais à la fin, où est le pays de Droits de l'Homme ? Le premier droit qu'on cite, c'est la vie. Et la fraternité, le soutien, la solidarité avec les plus vulnérables, où est-elle ? Parce que le danger, c'est que comme dans la loi de la jungle, à la fin les forts tiennent toujours et les faibles, on les élimine. Et quelque part, il pourrait y avoir une forme d'eugénisme social qui n’est pas sain : les faibles ont un défaut, une souffrance, alors on les élimine, on a la solution parce qu'on a la loi avec nous. Et cela, je trouve que c'est un peu dangereux.
 
- Malgré ce que pense l’Église du suicide, on sait que certains catholiques pratiquants plongés dans des souffrances insupportables font eux-mêmes le choix de recourir à une aide à mourir. Qu’en pensez-vous ?
- Je pense qu'il faut toujours respecter les personnes. J'ai accompagné beaucoup de suicides, je pense qu'on ne juge pas la personne, mais on regrette le geste. Mais je suis conscient qu'il y a des personnes qui portent de telles souffrances qui, à la fin, n'ont plus la force. Et alors, on peut comprendre, mais sans justifier. Et puis, on ne connaît pas le mystère de chaque personne. Après, on sait la culpabilité qu'il y a pour l’entourage derrière un suicide, on se dit qu’on n'a pas vu, peut-être qu'on n'a pas écouté, peut-être qu'on n'a pas été là. Donc, il est important, à mon avis, qu'on se dise attention à ne pas déclencher un système social, médical, juridique dans lequel on va mettre en valeur la culpabilité, et où on va alourdir le dossier administratif parce qu’on va se protéger. Et si une personne veut avoir recours à une aide à mourir mais que la famille ne veut pas, cela va peut-être déclencher des complexités juridiques à accompagner. Donc moi je pense qu'il faut peut-être déjà respecter la nature avec son imperfection, tout simplement. Et après, il faut accompagner les personnes du mieux qu'on peut. C'est là qu'il faut se montrer humain. C'est là que la proximité peut relever les personnes.
 
- Dans un entretien accordé au journal l’Humanité, l’Archevêque de Tours, Mgr Vincent Jordy, porte-parole de la confédération des évêques de France dans le cadre des débats sur cette réforme, s’est interrogé en faveur de l’opportunité d’organiser un référendum face à ce sujet de société. Un point de vue que vous partagez ?
- Un référendum, c'est un moindre mal, déjà, par rapport à une loi qui nous tombe du haut. Après, je pense que le principe important, c'est le principe de la vie. On parle tellement de la mort de la planète, de la mort des systèmes économiques, politiques, de la mort de la démocratie, c'est anxiogène, quand même, tout ce qu'on nous dit. Et moi, je me dis que faisons-nous pour encourager la vie, pour exploiter les moyens que nous avons d'un point de vue humain, intellectuel et fraternel pour aider et soutenir les personnes ? Je pense que le but de la vie, c'est d'encourager. Je pense à la mort de Lazare dans le chapitre 11 de l’Évangile de Saint Jean, où il dit trois termes que je trouve fort intéressants pour notre société : « sors dehors, déliez-le, laissez-le aller ». Quelque part, Jésus nous sort de nos tombeaux ou de nos tentations thanatophiles pour nous dire : « vis, avance ». Je pense que la société, l'État, les institutions ont besoin d'encourager vers la vie et de soutenir tous ceux qui peinent. C'est quand on peine qu'on a besoin de quelqu'un. Quand on souffre, on risque de se sentir abandonné. Et la peur de l'abandon, c'est la peur ancestrale de l'homme. Si on légalise sur l'abandon des personnes en difficulté, quelque part, on va créer une société plus dure, plus cruelle et moins humaine.