L’idée avait été validée par les deux présidents de l’Exécutif et de l’Assemblée de Corse, il y a quinze jours. Il s’agissait, après les décevants entretiens parisiens de la semaine dernière, de proposer aux élus territoriaux d’adopter une résolution solennelle pour délivrer un message commun au président Macron. L’objectif du pouvoir nationaliste était, comme cela a parfois été le cas par le passé, d’obtenir un vote à l’unanimité de l’Assemblée de Corse pour opposer un front uni et parler d’une même voix face au chef de l’Etat. A trois jours de sa venue tant attendue dans l’île, la concrétisation s’est faite dans l’urgence pendant la session du 2 février dont elle fut la question majeure, longuement débattue en fin de soirée.
Des considérants brefs…
La résolution proposée, qui sera remise, mardi, au président de la République, s’est voulue, dans ce souci de consensus, assez brève et concentrée sur quatre points essentiels. Prenant, d’abord, acte du contexte difficile et du calendrier contraint, elle liste rapidement un certain nombre de considérants : « Considérant que la situation politique nouvelle en Corse est constitutive d’un fait majeur devant être pris en compte, considérant l’aspiration profonde du peuple corse à la paix, à la démocratie, au développement et à l’émancipation, considérant la nécessité de respecter le fait démocratique et l’expression du suffrage universel, considérant la révision constitutionnelle prévue dans le courant de l’année 2018, considérant la venue en Corse du Président de la République les 6 et 7 février 2018, considérant que la combinaison de ces éléments doit permettre de mettre un terme définitif à la logique de conflit et d’ouvrir une nouvelle ère dans les relations entre la Corse et l’Etat… ».
… Et des demandes concises
Avant d’aligner une demande conjointe et solennelle de l’Exécutif et de l’Assemblée en quatre articles tous aussi brefs, clairs et concis. L’article 1 appelle « le Président de la République à ouvrir avec les représentants élus de la Corse et les forces vives de l’île, un dialogue sans préalable ni tabou entre l’Etat et la Corse ». L’article 2 demande que « la Corse fasse l’objet d’une mention spécifique dans la Constitution permettant de la doter d’un statut défini par référence à l’article 74, prenant en compte sa situation politique, sa géographie, son insularité, son relief, sa démographie, son histoire ainsi que l’identité culturelle du peuple corse » et que « cette reconnaissance permette la mise en œuvre de solutions adaptées aux enjeux stratégiques liés notamment à la fiscalité, au foncier, à la langue et à l’exercice du pouvoir législatif ». L’article 3 réclame « l’application immédiate et sans restriction du droit au rapprochement de tous les prisonniers poursuivis ou condamnés pour des actes en relation avec la situation politique de la Corse » et qu’une « mesure d’amnistie intervienne au terme du règlement définitif de la question corse ». L’article 4 demande « la reprise des discussions concernant les ressources, moyens et transferts de fiscalité de la Collectivité de Corse, conformément aux engagements du Gouvernement afin que celle-ci soit en mesure de jouer pleinement son rôle d’institution motrice du développement social, économique et culturel de la Corse ».
Une occasion sans précédent
Quatre points présentés par le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, qui revient sur les enjeux : « Cette résolution s’inscrit dans le cadre de la visite présidentielle pendant laquelle nous espérons qu’une position sera donnée par le président de la République concernant la situation de la Corse et les moyens de l’améliorer, d’améliorer également les relations entre la Corse et Paris. Un certain nombre de conditions sont réunies, comme elles ne l’ont jamais été, pour envisager les choses de manière positive afin que soit apportée une solution au problème corse. Il y a la possibilité pour Paris d’insérer dans une révision constitutionnelle prévue un dispositif nous permettant de déroger au droit commun et de pouvoir mener des projets importants pour nous. Il ne faut pas rater cette occasion qui est sans précédent sur le plan historique ! ». Le débat sur ces quatre articles a relayé les divergences politiques surgies lors de la campagne électorale et les mêmes réticences, voire les mêmes peurs, mais sur un ton beaucoup plus apaisé. Les deux groupes libéraux, à l’exception de Pierre Ghionga, ont refusé le consensus, arguant de leur droit à la différence.
Le droit à la différence
« Nous sommes presque d’accord, donc presque en désaccord. C’est un signe de démocratie vivante de ne pas céder toujours à un unanimisme de mauvais aloi ou de rechercher sans cesse le consensus absolu. Sans rentrer dans une obstruction permanente, l’opposition doit faire vivre sa différence et se faire entendre », déclare Jean-Martin Mondoloni, président du groupe « Per l’avvene ». Le point d’achoppement s’est cristallisé sur la question institutionnelle. La droite, s’alignant sur la position exprimée par le président du Sénat, Gérard Larcher, récuse l’inscription de la Corse dans l’article 74 et lui privilégie une possible inscription dans l’article 72 qui « nous semble, dans l’approche, suffisant pour faire évoluer les compétences », explique François-Xavier Ceccoli du groupe « La Corse dans la République ». « Pour nous, le principe d’autonomie commence d’abord par faire fonctionner la loi du 22 janvier 2002 qui ne fonctionne pas. Il est nécessaire, à ce motif, que place soit faite à la Corse dans l’article 72, relatif aux collectivités métropolitaines de droit commun ou à statut particulier, pour rendre opérationnel ce pouvoir d’adaptation et d’expérimentation. Une majorité s’était, d’ailleurs, dégagée dans l’hémicycle le 27 septembre 2013 pour borner le périmètre d’une éventuelle évolution constitutionnelle au sein de l’article 72, le nouvel article propre à la Corse pouvant être numéroté 72-5. C’est la garantie pour la Corse de maintenir son positionnement au sein de l’ensemble métropolitain et de l’Union européenne, tout en permettant l’opérationnalité du pouvoir d’adaptation et l’établissement d’un statut fiscal. Les principes ne sont pas équivalents dans l’article 74. On passerait d’un état décentralisé à un Etat fédéralisé », complète Jean-Martin Mondoloni. La droite, refusant de se prêter au jeu des amendements, propose une résolution substitutive qui est récusée.
Un territoire ultramarin
A l’inverse, après de longues tractations hors hémicycle, le groupe pro-macroniste « Andà per dumane » de Jean-Charles Orsucci a accepté, après dépôt d’amendements, d’adhérer à la démarche. « Dans l’intérêt général de la Corse, nous ne pouvons pas refuser de travailler avec la majorité territoriale et l’opposition. Notre groupe s’inscrit dans une démarche progressiste, nous sommes d’accord avec l’article 1 sur la nécessité d’ouverture du dialogue. L’article majeur, pour nous, est l’article 4 qui demande des moyens pour faire fonctionner la collectivité unique au service des Corses. La question institutionnelle est toute aussi essentielle. Nous pensons que le président de la République sera à la hauteur des attentes de notre collectivité. Le fil a été tracé lors de son discours de Furiani sur la décentralisation ». Se démarquant de l’opposition de droite, il estime que l’article 72 n’est pas adapté à la situation de la Corse, alors que « l’article 73 ou 74 ouvre le champ des possibilités. Je ne comprends pas pourquoi les gens s’opposent à ce que nous soyons considérés comme un territoire ultramarin. La situation socioéconomique de la Corse est en tous points comparable à celles de ces îles… Néanmoins, le pouvoir législatif doit être clairement défini dans la Constitution et encadré ». Seul bémol concernant l’épineuse question des prisonniers : « Dans un souci d’efficacité, la question de l’amnistie devait être abordée, mais il nous appartient d’en définir les modalités. Je vous propose sur cette question et celle des prisonniers à simplement renvoyer aux délibérations de l’Assemblée de Corse ».
Une manifestation prématurée
L’opposition s’est réunie dans une même condamnation de la manifestation populaire qui aura lieu à Ajaccio ce samedi après-midi à l’appel des mouvements nationalistes et d’une quinzaine d’associations. « Nous considérons que cette manifestation est prématurée et comporte le risque de la rue. Ce qui nous gène aussi, c’est qu’il ne faudrait pas que tout cela débouche sur une Corse à deux vitesses, une qui serait moins corse parce qu’elle se situe à l’article 72. Il ne faudrait pas que ce débat et la manifestation débouchent sur ce clivage. Il reste une divergence de fond entre nous sur l’interprétation que vous faites du scrutin. Votre légitimité est actée, mais vous considérez que les Corses ont voté pour vous pour faire nation, nous ne le pensons pas », affirme Jean-Martin Mondoloni. « Nous répondons favorablement à votre demande de résolution face à l’urgence de la venue du président de la République. Mais, nous pensons qu’organiser une manifestation est une erreur, il aurait été préférable d’entendre d’abord ce que le président de la République a à dire avant d’en critiquer le fond », regrette Jean-Charles Orsucci.
Au final, la résolution a été adoptée, vers 23h30, par 48 voix sur 63 : 41 voix de la majorité territoriale Pè a Corsica, 6 voix d’Andà per dumane et la voix de Pierre Ghionga, élu du groupe de Valérie Bozzi, qui a invoqué la cohérence de son engagement pour l’autonomie.
N.M.
Réactions à l’issue du vote de Gilles Simeoni, Jean-Charles Orsucci et Jean-Martin Mondoloni.
Des considérants brefs…
La résolution proposée, qui sera remise, mardi, au président de la République, s’est voulue, dans ce souci de consensus, assez brève et concentrée sur quatre points essentiels. Prenant, d’abord, acte du contexte difficile et du calendrier contraint, elle liste rapidement un certain nombre de considérants : « Considérant que la situation politique nouvelle en Corse est constitutive d’un fait majeur devant être pris en compte, considérant l’aspiration profonde du peuple corse à la paix, à la démocratie, au développement et à l’émancipation, considérant la nécessité de respecter le fait démocratique et l’expression du suffrage universel, considérant la révision constitutionnelle prévue dans le courant de l’année 2018, considérant la venue en Corse du Président de la République les 6 et 7 février 2018, considérant que la combinaison de ces éléments doit permettre de mettre un terme définitif à la logique de conflit et d’ouvrir une nouvelle ère dans les relations entre la Corse et l’Etat… ».
… Et des demandes concises
Avant d’aligner une demande conjointe et solennelle de l’Exécutif et de l’Assemblée en quatre articles tous aussi brefs, clairs et concis. L’article 1 appelle « le Président de la République à ouvrir avec les représentants élus de la Corse et les forces vives de l’île, un dialogue sans préalable ni tabou entre l’Etat et la Corse ». L’article 2 demande que « la Corse fasse l’objet d’une mention spécifique dans la Constitution permettant de la doter d’un statut défini par référence à l’article 74, prenant en compte sa situation politique, sa géographie, son insularité, son relief, sa démographie, son histoire ainsi que l’identité culturelle du peuple corse » et que « cette reconnaissance permette la mise en œuvre de solutions adaptées aux enjeux stratégiques liés notamment à la fiscalité, au foncier, à la langue et à l’exercice du pouvoir législatif ». L’article 3 réclame « l’application immédiate et sans restriction du droit au rapprochement de tous les prisonniers poursuivis ou condamnés pour des actes en relation avec la situation politique de la Corse » et qu’une « mesure d’amnistie intervienne au terme du règlement définitif de la question corse ». L’article 4 demande « la reprise des discussions concernant les ressources, moyens et transferts de fiscalité de la Collectivité de Corse, conformément aux engagements du Gouvernement afin que celle-ci soit en mesure de jouer pleinement son rôle d’institution motrice du développement social, économique et culturel de la Corse ».
Une occasion sans précédent
Quatre points présentés par le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, qui revient sur les enjeux : « Cette résolution s’inscrit dans le cadre de la visite présidentielle pendant laquelle nous espérons qu’une position sera donnée par le président de la République concernant la situation de la Corse et les moyens de l’améliorer, d’améliorer également les relations entre la Corse et Paris. Un certain nombre de conditions sont réunies, comme elles ne l’ont jamais été, pour envisager les choses de manière positive afin que soit apportée une solution au problème corse. Il y a la possibilité pour Paris d’insérer dans une révision constitutionnelle prévue un dispositif nous permettant de déroger au droit commun et de pouvoir mener des projets importants pour nous. Il ne faut pas rater cette occasion qui est sans précédent sur le plan historique ! ». Le débat sur ces quatre articles a relayé les divergences politiques surgies lors de la campagne électorale et les mêmes réticences, voire les mêmes peurs, mais sur un ton beaucoup plus apaisé. Les deux groupes libéraux, à l’exception de Pierre Ghionga, ont refusé le consensus, arguant de leur droit à la différence.
Le droit à la différence
« Nous sommes presque d’accord, donc presque en désaccord. C’est un signe de démocratie vivante de ne pas céder toujours à un unanimisme de mauvais aloi ou de rechercher sans cesse le consensus absolu. Sans rentrer dans une obstruction permanente, l’opposition doit faire vivre sa différence et se faire entendre », déclare Jean-Martin Mondoloni, président du groupe « Per l’avvene ». Le point d’achoppement s’est cristallisé sur la question institutionnelle. La droite, s’alignant sur la position exprimée par le président du Sénat, Gérard Larcher, récuse l’inscription de la Corse dans l’article 74 et lui privilégie une possible inscription dans l’article 72 qui « nous semble, dans l’approche, suffisant pour faire évoluer les compétences », explique François-Xavier Ceccoli du groupe « La Corse dans la République ». « Pour nous, le principe d’autonomie commence d’abord par faire fonctionner la loi du 22 janvier 2002 qui ne fonctionne pas. Il est nécessaire, à ce motif, que place soit faite à la Corse dans l’article 72, relatif aux collectivités métropolitaines de droit commun ou à statut particulier, pour rendre opérationnel ce pouvoir d’adaptation et d’expérimentation. Une majorité s’était, d’ailleurs, dégagée dans l’hémicycle le 27 septembre 2013 pour borner le périmètre d’une éventuelle évolution constitutionnelle au sein de l’article 72, le nouvel article propre à la Corse pouvant être numéroté 72-5. C’est la garantie pour la Corse de maintenir son positionnement au sein de l’ensemble métropolitain et de l’Union européenne, tout en permettant l’opérationnalité du pouvoir d’adaptation et l’établissement d’un statut fiscal. Les principes ne sont pas équivalents dans l’article 74. On passerait d’un état décentralisé à un Etat fédéralisé », complète Jean-Martin Mondoloni. La droite, refusant de se prêter au jeu des amendements, propose une résolution substitutive qui est récusée.
Un territoire ultramarin
A l’inverse, après de longues tractations hors hémicycle, le groupe pro-macroniste « Andà per dumane » de Jean-Charles Orsucci a accepté, après dépôt d’amendements, d’adhérer à la démarche. « Dans l’intérêt général de la Corse, nous ne pouvons pas refuser de travailler avec la majorité territoriale et l’opposition. Notre groupe s’inscrit dans une démarche progressiste, nous sommes d’accord avec l’article 1 sur la nécessité d’ouverture du dialogue. L’article majeur, pour nous, est l’article 4 qui demande des moyens pour faire fonctionner la collectivité unique au service des Corses. La question institutionnelle est toute aussi essentielle. Nous pensons que le président de la République sera à la hauteur des attentes de notre collectivité. Le fil a été tracé lors de son discours de Furiani sur la décentralisation ». Se démarquant de l’opposition de droite, il estime que l’article 72 n’est pas adapté à la situation de la Corse, alors que « l’article 73 ou 74 ouvre le champ des possibilités. Je ne comprends pas pourquoi les gens s’opposent à ce que nous soyons considérés comme un territoire ultramarin. La situation socioéconomique de la Corse est en tous points comparable à celles de ces îles… Néanmoins, le pouvoir législatif doit être clairement défini dans la Constitution et encadré ». Seul bémol concernant l’épineuse question des prisonniers : « Dans un souci d’efficacité, la question de l’amnistie devait être abordée, mais il nous appartient d’en définir les modalités. Je vous propose sur cette question et celle des prisonniers à simplement renvoyer aux délibérations de l’Assemblée de Corse ».
Une manifestation prématurée
L’opposition s’est réunie dans une même condamnation de la manifestation populaire qui aura lieu à Ajaccio ce samedi après-midi à l’appel des mouvements nationalistes et d’une quinzaine d’associations. « Nous considérons que cette manifestation est prématurée et comporte le risque de la rue. Ce qui nous gène aussi, c’est qu’il ne faudrait pas que tout cela débouche sur une Corse à deux vitesses, une qui serait moins corse parce qu’elle se situe à l’article 72. Il ne faudrait pas que ce débat et la manifestation débouchent sur ce clivage. Il reste une divergence de fond entre nous sur l’interprétation que vous faites du scrutin. Votre légitimité est actée, mais vous considérez que les Corses ont voté pour vous pour faire nation, nous ne le pensons pas », affirme Jean-Martin Mondoloni. « Nous répondons favorablement à votre demande de résolution face à l’urgence de la venue du président de la République. Mais, nous pensons qu’organiser une manifestation est une erreur, il aurait été préférable d’entendre d’abord ce que le président de la République a à dire avant d’en critiquer le fond », regrette Jean-Charles Orsucci.
Au final, la résolution a été adoptée, vers 23h30, par 48 voix sur 63 : 41 voix de la majorité territoriale Pè a Corsica, 6 voix d’Andà per dumane et la voix de Pierre Ghionga, élu du groupe de Valérie Bozzi, qui a invoqué la cohérence de son engagement pour l’autonomie.
N.M.
Réactions à l’issue du vote de Gilles Simeoni, Jean-Charles Orsucci et Jean-Martin Mondoloni.
Manifestation du 3 février : Prématurée pour Jean-Charles Orsucci, Indispensable pour Gilles Simeoni