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Réserve naturelle de Scandula : L’Assemblée de Corse rejette le projet de révision de l’Etat


Nicole Mari le Lundi 3 Mars 2025 à 18:55

L’Assemblée de Corse a adopté à l’unanimité, vendredi, le rapport de l’Exécutif sur la révision du décret relatif à la réserve naturelle de Scandula, rapport qui rejette le projet proposé par les services de l’Etat. Ce projet, jugé trop restrictif, qui prévoit la mise en place des zones de protections renforcées autour des nids de balbuzards avec une interdiction totale de toutes activités entre le 15 février et le 31 août, a déclenché une levée de boucliers des communes et des socioprofessionnels. L’Assemblée propose une nouvelle mouture alliant protection de l’Environnement et réalités économiques.



La réserve de Scandula. Photo CNI.
La réserve de Scandula. Photo CNI.
La protection de Scandula est un sujet délicat qui suscite débats et polémiques depuis de nombreuses années. Et ce n’est pas le rapport présenté par l’Exécutif corse sur la révision du décret relatif à la réserve naturelle qui va les clore ! L’objectif de cette révision est d’actualiser le décret qui date de 1975. « Une révision importante et pertinente pour actualiser le survol de drones à Scandula, ou les arrêtés qui permettaient de stationner la nuit dans les Posidonies de manière incontrôlée ou d’être en limite de la réserve et de poser quelques nuisances complémentaires », précise, le président de l’Office de l’Environnement (OEC), Guy Armanet. « Il y a vraiment une volonté de mettre au-dessus de la pile le cadre environnemental et d’essayer de faire vivre un tourisme raisonné et durable. Nous avons cheminé quasiment un an avec les services de l’État pour préparer ce décret. Nous avons rencontré les différents acteurs, les maires, les pêcheurs, les responsables de loisirs, les plaisanciers et nous avons essayé de construire quelque chose de durable qui permet au plus grand nombre de pouvoir occuper l’espace », poursuit-il. Mais rien n’est moins simple ! Concilier la protection de ce site remarquable, - sa beauté, sa biodiversité et ses espèces rares comme le balbuzard pêcheur ou le corail rouge, classé depuis 1983 comme patrimoine mondial de l’Unesco -, avec la navigation touristique en pleine croissance et les revendications des socioprofessionnels est un véritable casse-tête, tant les intérêts peuvent s’avérer contradictoires. Avec en toile de fond, le spectre d’une perte du label Unesco après celle, en 2000, du label européen des espaces protégés.

Guy Armanet. Photo Paule Santoni.
Guy Armanet. Photo Paule Santoni.
Une gestion maîtrisée
La polémique surgit de la nouvelle mouture du règlement, initialement corédigée par la Collectivité de Corse et les services de l’Etat et qui est présentée au Conseil national de la Protection de la Nature (CNPN). Cette instance d'expertise rend, en avril 2024, un avis d’opportunité concentré sur la protection du site menacé par la sur-fréquentation nautique : 11 000 bateaux dans la Réserve d’avril à octobre, soit une moyenne de 50 bateaux par jour, 159 000 visiteurs sur les bateaux de promenade, soit + 6 % en 12 ans. Le CNPN demande « la mise en place des Zones de protections renforcées (ZPR) sur les secteurs de 250 mètres délimités autour des nids de balbuzards, avec une interdiction totale de toutes activités pour une période allant du 15 février au 31 août ». Il rajoute une « clause balai » permettant au Préfet maritime de réglementer d’autres zones. Le but est de « mettre en quiétude l’ensemble des nids de balbuzards recensés dans le périmètre de la Réserve, qu’ils soient occupés ou non, sans possibilité de dérogation ». L’avis est repris par la Préfecture, qui amende le texte en conséquence, déclenchant une levée immédiate de boucliers des maires des communes concernées, des socioprofessionnels, de l’association des Bateliers de Scandula, des pêcheurs... L’OEC, pris entre le marteau écologique et l’enclume économique, leur emboîte le pas, dénonçant « une mise sous cloche ». Il pointe dans le texte amendé « plusieurs imprécisions » et « des erreurs manifestes d’interprétation », ainsi qu’une « contextualisation des enjeux environnementaux en contradiction avec la réalité du territoire ». Et plaide pour une approche différenciée qui concilie l’ensemble des usages. Un revirement de posture pour un Exécutif nationaliste, souvent critiqué pour ses positions trop protectionniste en matière de sites naturels, que Guy Armanet justifie par les progrès réalisés : « La gestion de la réserve de Scandula est maîtrisée depuis trois ans. On arrive à mettre en place des choses efficientes pour le cadre environnemental, la nature, les balbuzards et pour tous ceux qui fréquentent le secteur. Les pêcheurs ont évoqué le caractère dangereux de la passe de Gargalu, zone refuge permettant d’éviter de traverser, plus au large, notamment par forte houle. Il conviendra de les écouter ». Nonobstant, l’État engage, sur son texte remanié, l’enquête publique qui s’est achevée le 12 février dernier.
 
Une meilleure protection
A travers ce rapport, l’Exécutif propose d’amender le texte de l'Etat, notamment son article 4, source du litige, et formule des orientations : « actualiser et consolider le diagnostic portant sur l’écologie et la gestion des usages du site, inscrire des mesures réglementaires efficientes pour préserver les milieux et les espèces sans toutefois y porter préjudice, conditions de sécurité pour la navigation, maintien des usages durables à la fois pour le secteur économique local, les activités récréatives et les pêcheurs ». Pour Guy Armanet, la réserve de Scandula doit se doter « de licences professionnelles et plaisancières et de quotas qui n’existent pas dans le décret. Avec les socioprofessionnels, il y aurait 52 bateaux qui feraient des rotations dans le secteur. On aurait la main sur la grande plaisance et on éviterait ainsi la majorité des 60 000 bateaux qui rentrent dans la zone et qui font fi de toutes les règles ». Cela empêcherait « leur ancrage diurne et nocturne sur la totalité de la réserve et la navigation par des arrêtés garantissant adaptabilité et cohabitation ». Concernant les balbuzards, il entend même durcir les règles en vigueur : « Pourquoi devrions-nous surveiller dix nids dans la réserve de Scandula alors qu’il en existe près de 40 en Corse ? Nous voulons aller encore plus loin : inscrire un principe d’instauration de zones de quiétude pour les balbuzards pêcheurs en période de reproduction sans à priori et même au mois d’août, si les oisillons n’auraient pas pris leur envol ». Il demande des moyens complémentaires à l’Etat : « Avec deux ou trois bateaux au lieu d’un actuellement, on aurait la possibilité de surveiller davantage le secteur et d’être en permanence sur le plan d’eau ». Enfin, Guy Armanet propose de mettre en place « une politique largement plus ambitieuse que celle proposée par l’Etat » avec la création d’une réserve naturelle qui engloberait, dans ses 70 000 hectares, les 1000 ha de la réserve de Scandula avec des mesures de limitation de la fréquentation comme aux Lavezzi. Avant de reconnaître : « C’est la seule solution pour retrouver non seulement le label européen, mais aussi pour conserver l’inscription de Scandula au patrimoine mondial de l’Unesco ».

Paul-Félix Benedetti. Photo Paule Santoni.
Paul-Félix Benedetti. Photo Paule Santoni.
Des incertitudes
Si l’opposition vote le rapport à l’unanimité et s’aligne globalement sur la position de l’Exécutif, Angèle Chiappini, pour le groupe U Soffiu Novu, s’inquiète du temps perdu et plaide pour que les communes soient associées à la négociation avec l’Etat. Paul-Félix Benedetti, président du groupe Core in Fronte, est, lui aussi, d’accord pour « ne pas accepter un diktat violent de l’État qui est proposé avant que les conclusions de la Commission d’enquête ne soient produites. C’est quelque chose de bizarre ! », mais réclame une « vision patrimoniale forte en termes de protection ». Dans son viseur : les dérogations accordées aux professionnels. « Il y a trop d’incertitudes. Vous n’avez pas quantifié le nombre de licences. On va laisser la possibilité a du locatif bateau d’avoir des dérogations. C’est complètement farfelu ! ». Il rappelle que « les rapports 2023 de l’Unesco ne sont pas aussi favorables, ils montrent une inflexion sur la notion de protection. On n’est peut-être pas loin d’une décision d’un placement en mesure d’alerte, cela voudrait dire l’interdiction totale de tout, ou alors une perte ou une sortie du label Unesco, comme on est sorti du label européen ». Le leader indépendantiste propose la mise en place d’une instance de discussion entre toutes les parties : « Il faut constituer un COPIL et y associer les groupes politiques et les socioprofessionnels. On ne peut pas laisser les instances de l'OEC toutes seules à la discussion. Le secteur de la promenade en mer est un secteur en tension, autant que les déchets. Si vous regardez les sinistres de bateau ou les morts - je pense à Bonifacio, à Ajaccio, il y a quelques années-, ce n’est pas un secteur tranquille, il génère des profits importants sur des périodes très courtes et il a une forme de pression naturelle. Il y a une logique économique ». L’objectif, poursuit-il est de mettre en place des mesures conservatoires immédiates, dès l’été 2025, par ordonnance ou arrêté préfectoral dérogatoire. « La limitation des cinq nœuds, immédiatement. L’interdiction de mouillage et des haut-parleurs, immédiatement. La zone de sécurité sur toutes les zones de nidification réelle, obligatoirement ». Il pose également le problème des bateaux à grande vitesse.
 
Une affaire en suspens
En réponse, Guy Armanet martèle que l’OEC a été « spectateur dans cette affaire. Nous avons essayé de construire les choses pendant un an. Mais à l’ouverture de l’enquête, on a été obligé de s’opposer au nouveau décret. On est d’accord à plus de 80% avec le décret. On a demandé de ne réviser que les 20% restants pour aller plus vite. Ce n’est pas l’OEC qui s’arcboute, mais tous les acteurs ». Il s’inscrit en faux contre un « revirement » de posture : « Je n’ai pas la sensation de changer de position, mais de proposer un durcissement des choses. D’avoir des arrêtés minutes sur tous les nids occupés, y compris au mois d’août, ça n’était jamais arrivé à Scandula ! Jamais ! Ce sont des mesures que nous avons déployées depuis 2021. Ce sont les pêcheurs et les socioprofessionnels du coin qui nous indiquent là où il y a des oisillons dans les nids qu’il faut surveiller. On essaye vraiment de faire primer le cadre environnemental. D’ailleurs, U Levantu nous accompagne depuis deux ans et vient compter les nids avec nous ». Il n’est pas contre l’idée du COPIL, sauf, annonce-t-il, que « le 15 mars est la deadline pour que je rende copie au préfet. C’est pour ça que la semaine prochaine, je vais avec tous les maires en préfecture d’Ajaccio. Si l’enquête publique venait à se rouvrir, très volontiers, on créerait un COPIL ou une commission ad hoc à l’assemblée de Corse pour travailler avec vous. C’est la volonté du président de l’Exécutif d’ouvrir sur tous ces secteurs sensibles. Cela nous permettrait d’aller plus loin dans la discussion ». Affaire à suivre…
 
N.M.