Ce n’est pas une histoire de start-up ni une success story d’accélérateur. Smovo est née dans un restaurant. En Espagne. Jacques Rocca-Serra, entrepreneur ajaccien à la retraite, y passe une soirée avec son fils. Il veut rentrer, cherche un taxi. Autour de lui, les autres clients commandent leur voiture en quelques clics, depuis leur smartphone. « Je me suis dit : c’est fou. Chez nous, on en est encore à appeler trois numéros, espérer une réponse, attendre qu’un chauffeur se libère. »
De cette scène, anodine en apparence, naît une idée : une application mobile qui permettrait, en Corse comme en Sardaigne, de réserver un taxi, mais aussi de se faire livrer un repas ou de trouver un baby-sitter — le tout, dans une interface unique, adaptée aux réalités insulaires. Un outil pour relier ce qui, jusqu’ici, restait dispersé.
Une plateforme pensée pour un usage concret
Smovo est aujourd’hui téléchargeable sur smartphone, et lancée simultanément en Corse et en Sardaigne, deux territoires confrontés à des difficultés similaires : offre de transport limitée, géographie accidentée, usages numériques encore hétérogènes.
L’application repose sur un principe simple : regrouper trois services clés — transport (taxis, VTC, motos), livraison, et services à domicile. Un seul outil pour gérer plusieurs besoins. Une interface qui fonctionne avec la géolocalisation, affiche les délais, et permet une mise en relation simple, directe, rapide. Sans fioriture. Mais l’approche est progressive. Pour l’instant, seul le premier volet est actif : réserver un taxi ou un VTC. Trente chauffeurs sont partenaires, entre Bastia, Ajaccio, Porto-Vecchio et la plaine orientale. La plateforme affiche leur disponibilité en temps réel, propose des filtres selon le type de véhicule ou le nombre de passagers, et permet de commander en quelques secondes, sans passer par l’annuaire ou le bouche-à-oreille. « C’est la première phase du projet », explique Jacques Rocca-Serra. « On commence par la mobilité. Ensuite viendront la livraison – de repas, de courses – puis les services à domicile : coiffeur, baby-sitter, technicien, etc. »
La promesse n’est pas neuve. Mais le terrain, lui, change tout. C’est là que Smovo veut jouer une autre carte. Celle d’un outil pensé localement, au contact direct avec les chauffeurs et les prestataires, sans modèle imposé depuis Paris ou San Francisco. « On ne cherche pas à disrupter, on essaie d’organiser », résume le fondateur. L’inscription pour les professionnels est gratuite. La commission sera de 10 % maximum pour les taxi ou les livraisons, bien en-deçà des standards pratiqués par les plateformes traditionnelles. Pour les prestataires de services à domicile, un abonnement modulable (mensuel, trimestriel ou annuel) est prévu.
Côté utilisateur, l’application est gratuite. Le paiement se fait uniquement pour les prestations, sans surcoût. Un système de fidélisation est en préparation, avec des points à cumuler pour bénéficier de cartes cadeaux ou de réductions. « On veut que ce soit utile, accessible, mais aussi équitable pour les professionnels », résume Jacques Rocca-Serra. Contrairement aux grandes plateformes, l’application ne dicte pas ses prix. Le client et le chauffeur restent libres de valider ou non une course selon les conditions proposées.
Un pari simple dans un système compliqué
La force de Smovo, pour l’instant, c’est sa simplicité. Et sa prudence. Pas de promesse spectaculaire, mais une progression assumée : lente, locale, construite. Le projet est familial. Derrière l’application, pas de start-up surdotée : juste un entrepreneur, ses deux filles, sa femme. Et une conviction partagée : que ce genre de service ne doit pas être réservé aux grandes villes. « On ne veut pas faire croire qu’on a déjà tout. On pose des briques, on verra où ça nous mène », dit son fondateur. Pour l’heure, quelques centaines d’utilisateurs ont téléchargé l’appli. La campagne de communication vient de commencer. Et les premiers retours, côté chauffeurs comme côté clients, sont jugés encourageants.
Mais une application, même bien pensée, ne vaut que si elle est adoptée. Reste à voir si l’écosystème insulaire saura s’en emparer. Pour cela, il faudra convaincre à la fois les professionnels — souvent peu digitalisés — et les utilisateurs — encore peu habitués à réserver une garde d’enfants ou un taxi via une application.