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Daniel Pennac à Ajaccio : "Je suis un raconteur d’histoires"


Michela Vanti le Mardi 21 Janvier 2025 à 11:32

Daniel Pennac sera à Ajaccio du 23 au 25 janvier à l’occasion des Nuits de la Lecture. À l’invitation de Racines de Ciel, le célèbre auteur de la saga Malaussène rencontrera des écoliers ajacciens et le grand public, à travers de nombreux rendez-vous.
Pour CNI, il revient sur sa longue carrière, son amour inaltéré pour l’écriture, et sa passion de raconter des histoires, toujours aussi vive après quatre décennies de création.
Rencontre



Daniel Pennac. Crédit photo Francesca Mantovani
Daniel Pennac. Crédit photo Francesca Mantovani

Vous avez des origines corses, n’est-ce pas ?
Oui, mon grand-père était corse. 

Quel lien entretenez-vous avec l’île ?
Mes racines sont plutôt en Provence. Ma mère était moitié toulonnaise, moitié marseillaise. La vie de famille s’est organisée autour de cette région, donc je suis très rarement allé en Corse. Mais il y a le village de mon grand-père, Guargualé où mon grand-oncle Jules Pennacchioni y a laissé une trace importante puisque il était instituteur à Pila Canale au début du XXᵉ siècle, il était très apprécié de ses élèves, qui se souvenaient de lui toute leur vie.

Vous serez à Ajaccio dans quelques jours pour les Nuits de la Lecture. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je vais rencontrer des enfants dans les écoles, je viens aussi faire une lecture de Bartleby de Melville et, bien sûr, on évoquera mon dernier livre.

Votre nouvelle œuvre, Mon assassin, marque votre retour à la saga Malaussène. Pourquoi revenir à cette tribu après l’avoir clôturée avec Terminus ?
Mon assassin n'est pas vraiment un roman malaussénien. C’est un hommage à tous ceux, amis ou proches, qui ont inspiré cette saga, parfois sans le savoir. Mes amis sont devenus des personnages, et ce livre leur rend hommage.
Votre entourage a donc inspire les personnages de vos livres ?Oui, c'est çaC'est ce que raconte Mon Assassin, qui, en plus, retrace la genèse d'un personnage. Ce personnage, contrairement aux autres, n'est pas inspiré par des amis. C'est un assassin, et dans la saga Malaussène, il s'appelle Pépère. Dans le livre, je décris son premier coup, qu'il a commis lorsqu'il était enfant

Vos personnages sont donc inspirés de votre vie. Y en a-t-il un qui vous ressemble particulièrement ?
Benjamin Malaussène, bien sûr. C’est ma voix, car mes livres sont écrits à la première personne du singulier. La plupart du temps, c’est un peu moi qui parle à travers lui. Il ressemble aussi beaucoup à mon frère Bernard, qui avait cinq ans de plus que moi et m’a élevé. Bernard était d’une bonté immense, extrêmement réfléchi, une bonté intelligente, active et incroyablement intelligent.

Votre saga continue de séduire des générations de lecteurs. Comment expliquez-vous cet engouement durable ?
Je n’ai pas vraiment d’explication. C’est une question qu’on me pose souvent, mais à laquelle seuls les lecteurs pourraient répondre. Pour ma part, je considère cela comme un merveilleux hasard, et je suis moi-même émerveillé par la longévité de la saga. Peut-être que la famille Malaussène incarne l’image d’une famille idéale, une famille élective. Ou peut-être est-ce simplement parce que je suis un raconteur d’histoires, une pratique qui, depuis longtemps, n’est plus à la mode. Quand j’ai commencé à écrire, la tendance était au structuralisme, et aujourd’hui, c’est l’autofiction qui domine. Moi, je continue de raconter des histoires. Je crois qu’anthropologiquement, l’homme a toujours aimé qu’on lui raconte des récits, sinon les religions ne seraient pas ce qu’elles sont... Si je peux me permettre.

Vous avez exploré divers genres littéraires au cours de votre carrière. Y a-t-il un domaine que vous aimeriez aborder ?
Vous me posez la question que je me pose. J'en cherche un. J'en cherche vraiment un. Là, je me suis mis en pause et je cherche quel pourrait être mon prochain livre et dans direction il entraînerait.

Quand savez-vous qu’un livre est terminé ? Qu'il est prêt à être livré au lecteur ?
Je crois que c'est comme en peinture, il y a un moment où un équilibre est atteint, et on a l' intuition qu'il ne faut pas toucher à cet équilibre. La totalité y est. Le romancier a beaucoup trifouillé, il a changé des paragraphes de place, il a rajouté un épisode par ci, il a retranché, il a coupé et puis à moment donné...bing....l'quilibre. Il y a un sentiment d'équilibre que j' appelle la fin. C'est à dire : la promesse d'une harmonie. Pour l'auteur déjà...qui se trompe peut être. 

Ressentez-vous de la nostalgie en quittant un univers ou un personnage ?
Parfois. C’est d’ailleurs pour cela que je suis revenu à la saga après 25 ans après.. Le ton me manquait, l’écriture propre à la saga me manquait. J'ai eu de nouveau envie d'écrire dans cette écriture, très métaphorique. Et donc, du coup, les personnages qui allaient avec. 

Ça fait 40 ans que vous écrivez, quelle est la raison de cette longévité littéraire ?
L'écriture, c'est mon élément, mon élément naturel. J'aime plonger dans la langue et jouer avec elle, la travailler. La métaphore que je donne souvent, c'est celle de la baleine. Je suis une baleine qui plonge dans son élément naturel, et cet élément, pour moi, c'est le sport des mots, des sons, des structures de phrases, de la grammaire... Tant que je suis immergé dedans, je suis le plus heureux des hommes. Mais il faut respirer de temps en temps, alors on ressort, on tombe dans la vraie réalité, et puis le lendemain, on replonge dans la langue. C'est ça, le bonheur de l'écriture.


Certains de vos livres, par exemple Comme un roman, sont devenus des références sur la lecture. Quelle place occupe aujourd’hui la lecture dans votre vie ?
Essentielle. Pour moi, le métro est la meilleure bibliothèque du monde. À mon âge, il y a toujours une place assise. On s’assoit et on lit quelques chapitres. Quand le roman ou l’essai est excellent, on rate sa station. Le meilleur critique littéraire, c’est la station ratée, car on était plongé dans notre lecture. À part dans le métro, pour moi, lire, ce sont des moments de la journée. Par exemple, je viens de lire avec un grand délice La vie de Tchekhov d'Irène Némirovsky. J’y ai passé un moment sublime… Comme c’était une biographie pas trop épaisse, j’ai dû me restreindre pour que le plaisir dure plus longtemps. Si je l’avais écoutée, je l’aurais lue d’un seul coup. Je pourrais donc dire que j’ai un rapport de gourmandise avec la lecture. Mais il y a aussi beaucoup de livres que j’abandonne en cours de route parce qu’ils m’ennuient. 

Votre métier de professeur a-t-il influencé votre écriture ?
Il n'y a pas vraiment de lien. J'ai travaillé avec des enfants en difficulté scolaire, et ma mission était avant tout une forme de réconciliation : il fallait les réconcilier avec la vie intellectuelle, avec la littérature, avec l'idée de travailler, de réfléchir... C’était une activité à part entière, très singulière, qui demandait une véritable incarnation de la part du professeur. Il fallait être présent. L’écriture, c’est autre chose : c’est une immersion dans cette sorte de liquide amniotique qu'est la langue, un endroit où l’on se retrouve dans une solitude totale, à partir de laquelle on évoque les autres. Un professeur n'évoque pas les autres, ils sont la : 30 par classe.

À Ajaccio, vous irez à la rencontre des scolaires. Vous le faites souvent. Pourquoi ?
Être enseignant a été le bonheur absolu de ma vie. Je refuse rarement les rencontres avec les enfants et les jeunes… 

Enfin, quels conseils donneriez-vous aux écrivains en herbe ?
Ne te considère pas comme un écrivain. Écris par envie, pas pour la postérité ou la publication. Si c’est sincère, le reste suivra.


Où rencontrer Daniel Pennac à Ajaccio

Les passionnés de littérature et de rencontres littéraires auront l’opportunité de découvrir Daniel Pennac lors de plusieurs événements à Ajaccio. Le programme débutera le jeudi 23 janvier avec une lecture de L’œil du loup de Pennac, réservée aux scolaires, à la Maison de Quartier des Cannes, avec les élèves des écoles J. Santarelli (CM1) et du collège A. Giovoni (6e, 6e SEGPA).

Le soir, à 18h, la Médiathèque des Jardins de l’Empereur proposera une lecture croisée avec Isabelle Miller et David Ducreux, qui restituera les ateliers d’écriture créative de 2024.

Le vendredi 24 janvier à 19h, la rencontre se poursuit au Palais Fesch avec une médiation de Sandra Alfonsi autour du Bartleby de Melville et du nouveau roman de Pennac, Mon Assassin (Éd. Gallimard, octobre 2024). Enfin, le samedi 25 janvier, une dernière rencontre est organisée à 16h à la Médiathèque des Jardins de l’Empereur pour une nouvelle lecture-rencontre autour de Mon Assassin. Ces événements sont en grande partie sur réservation, à contacter directement au 04 95 53 40 40.

INFOS PRATIQUES :
Sur réservation : Tél. 04 95 53 40 40 (le 23/01 à 18h et le 25/01 à 16h).
Les lieux : Maison de Quartier des Cannes, 12 rue Paul Colonna d’Istria 20090 Ajaccio; Palais Fesch, 50-52 Rue Cardinal Fesch, 20000 Ajaccio; Msap des Jardins de L'empereur, résidence Napoléon, avenue de La Grande Armée 20000 Ajaccio.

LES LIVRES : Bartleby d’Herman Melville, L’œil du loup (littérature jeunesse), et Mon Assassin de Daniel Pennac.