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Fièvre catarrhale : La FDSEA de Haute-Corse veut un plan Marshall pour la filière élevage


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Vendredi 9 Août 2024 à 18:52

Depuis le début du printemps, la fièvre catarrhale est de retour en Corse où elle décime les troupeaux. Vendredi 9 août, la FDSEA de Haute-Corse organisait une réunion à Ghisonaccia pour exposer la situation des filières ovine et caprine, et plus généralement de l’élevage corse. Un état des lieux très alarmant mais pas désespéré, si des mesures appropriées sont adoptées rapidement.



La Réunion de ve vendredi
La Réunion de ve vendredi

Transmise par la piqûre d’un moucheron, la fièvre catarrhale – ou maladie de la langue bleue – est un fléau qui touche maintenant notre île de plus en plus fréquemment…et de plus en plus tôt dans la saison. Cette année, elle a déjà provoqué des hécatombes au sein des troupeaux, alors que nous ne sommes que début août. « S’il n’y a pas un sursaut de tout le monde, sans exception, s’inquiète Jean-Jean Geronimi, éleveur à Aleriala filière n’en a plus pour longtemps ! » 

Comme lui, une cinquantaine d’agriculteurs, principalement des éleveurs, avaient fait le déplacement pour participer à la rencontre organisée par la FDSEA – la structure de Corse-du-Sud étant représentée par Françoise Cianfarani –, en présence de Francis Giudici, maire de Ghisonaccia, et du député de la 2ème circonscription de Haute-Corse, François-Xavier Ceccoli, venu à la fois en soutien en tant qu’agriculteur, et au titre de son mandat politique

« On est syndicalistes, a précisé d’entrée Joseph Colombani, président du syndicat pour la Haute-Corse. Notre place, c’est de répondre à une crise forte où certains sont dans le déni. » 

Et pour cause ! Les chiffres officiels n’ont que peu de rapport avec la réalité. Pour qu’une brebis soit comptabilisée morte de la fièvre, il faut que cela soit constaté par un vétérinaire. « Beaucoup sont en congés, en ce moment, explique Jean-JeanGeronimi. Et les autres ont du travail. Il faudrait laisser les bêtes sur place jusqu’à ce qu’il puisse passer. Or après deux jours, avec cette chaleur, c’est intenable !! Mais il suffit de se renseigner auprès de l’équarisseur… » Effectivement, les 780 brebis envoyées à l’équarrissage rien que pour la Haute-Corse sont bien loin des 191 officiellement répertoriées décédéessur l’ensemble de l’île ! Un constat qui démontre que la veille sanitaire n’est pas assurée de façon satisfaisante en Corse.

Et que se passera-t-il si le nouveau variant – le sérotype 3 – arrive chez nous ? Françoise Cianfarani insiste sur la nécessité de travailler en amont pour s’en protéger. Pour autant, la complexité administrative semble rendre toute prévention si ce n’est impossible, du moins difficile, comme en témoigne la volonté exprimée en cours de réunion par le représentant de la filière laitière, d’acheter et de stocker par précaution 10000 doses de vaccins et les obstacles mis en avant par le Directeur du GDS, le Groupement de Défense Sanitaire.

L’impact économique de la maladie est énorme : outre la disparition d’une partie du troupeau, le virus provoque des avortements : si la brebis survit, elle ne pourra pas donner de lait pendant plus d’une année. Pas de lait… pas de fromage ! Sans compter que les effets de la maladie à moyen terme sont mal connus : béliers stériles, difficultés pour les futures gestations ou pour les mises-bas. Une étude devait être réalisée. Elle était financée. Mais elle n’a jamais été menée. 

 

Le millefeuille administratif…

Joseph Colombani s’est employé à dénoncer les multiples responsabilités dans cette gestion désastreuse : « Les services de l’État ne sont pas à la hauteur. Ils peuvent rejeter la faute sur les agriculteurs dont certains n’ont pas vacciné ; sur le mauvais état des troupeaux, ou la mauvaise alimentation… Mais ce sont eux qui ne surveillent pas les ports : 3000 bêtes y entrent tous les ans, pour lesquelles seuls les papiers sont contrôlés. On ne fait aucune prise de sang ! » La faute également à l’absence d’une bonne coordination entre les services du Groupement de Défense Sanitaire – qui s’occupe notamment des vaccins – et la stratégie de la filière. Les délais de traitement des dossiers sont sans commune mesure avec la réactivité nécessaire. D’une façon plus générale, même si chacun a bien son rôle à jouer, la multiplication des acteurs – ODARC, État, DSV, vétérinaires, INRAE de Corti, GPC, Chambres d’Agriculture et bien d’autres – est un handicap : « On a besoin de visibilité sur ce que font ces structures, et d’un pilotage des actions localement. Car aujourd’hui chacun travaille dans son coin, avec l’argent public ». En d’autres termes, une meilleure coordination permettrait de gagner fortement en efficacité pour de bien meilleurs résultats. Joseph Colombani met également en cause les présidents de plusieursstructures « qui ne sont pas à leur placeet qui ne défendent pas comme ils le doivent les agriculteurs corses ». Bref, le président de la FDSEA de Haute-Corse appelle à lever tous les tabous au sein de la profession : « On est à un tel niveau de difficulté qu’il faut se dire les choses. Qu’on se fasse confiance. Et que l’on construise… Parce que ce n’est pas une fatalité que la filière élevage soit dans cet état-là ! Nous avons des propositions – comme l’unité de stockage et de fabrication d’aliment, l’abattoir pour les petits ruminants… Des dossiers qui ont traîné et qu’on a laissé crever… et on le paie maintenant ! Mais nous sommes prêts et on va pousser très loin le bouchon parce que nous sommes déçus de certaines personnes qui nous mènent dans le mur ! » 

 

Une démarche au niveau national

Pour autant, « la chance pour la Corse, c’est qu’on n’est plus seuls. Car depuis le 7 août, la fièvre catarrhale est arrivée en France via la Belgique. » Au niveau national, la FNSEA, ses associations spécialisées, les Jeunes Agriculteurs, les Chambres d’Agriculture de France et la Coopération Agricole se sont saisis du problème, en formulant des demandes prioritaires : la prise en charge par l’État du financement des vaccins sur tout le territoire national pour la fièvre catarrhaleet sa cousine la MHE ; des commandes de vaccins passées par l’État pour garantir la mise en œuvre rapide et en quantité suffisante ; la négociation par l’État de conditions aux échanges avec les États  membres et pays-tiers, pour que les animaux puissent circuler après désinsectisation et analyse PCR négative ; l’indemnisation, encore par l’État, de toutes les pertes. Des exigences qui vont plus loin que ce que les Corses avaient demandé… mais qui pourraient plus facilement aboutir puisque, cette fois, le continent est touché. 

Devant la complexité de la situation et des propositions formulées par les participants, au cours des débats nourris et passionnés qui ont suivi, la FDSEA demandé à l’ODARC d’organiser une réunion en urgence – et non pas fin septembre comme cela lui était proposé, ni même début septembre comme cela avait été corrigé. « C’est à eux de jouer les chefs d’orchestre : nous sommes syndicalistes : nous ne sommes pas les décideurs. »

François-Xavier Ceccoli, venu écouter les besoins des éleveurs pour préparer avec eux les questions et les réponses à poser en haut lieu, a souligné qu’il comptait saisir le ministre de l’agriculture des problèmes que rencontre la Corse : « Il faut que les pouvoirs publics – Collectivité, État, Europe –prennent des mesures financières d’urgence. On ne peut faire supporter aux éleveurs en difficulté quelque chose qui les dépasse. Sinon, c’est la disparition de l’élevage corse. » Les éleveurs font-ils partie intégrante de notre culture, participent-ils à l’équilibre territorial ? Ou veut-on les laisser crever ? Le député a souligné cette absence de décision, cet « entre-deux » où on les abandonne, et qui est insupportable. 

 

Une filière en souffrance

Reste, en effet, de façon plus globale, la situation structurellement difficile de la filière élevage. Jean-Marc Venturi, ancien président de la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse, a souligné au-delà de l’urgence de la situation actuelle, l’importance qu’il y aurait à s’attaquer très vite à deux problématiques – comme l’ont fait, en leur temps, les viticulteurs : la productivité qui est aujourd’hui trop souvent insuffisante, et le prix du lait, qui reste aligné sur le plus bas, alors même que la race ovine corse est reconnue pour sa qualité. Parce qu’il n’y a pas de filière agricole pérenne sans un minimum de rentabilité.  

 

Un message d’espoir pour les agriculteurs et pour la Corse

« Est-ce qu’il y a encore un sens à être éleveur, berger, en Corse, en 2024 ? Parce qu’il y a plus de lait importé que de lait produit ici pour faire le fromage !  a lancé Joseph Colombani en manière de provocation. La FDSEA, elle, y croit. « A chaque Conseil d’Administration de l’ODARC, nousavons demandé que l’on fasse un projet agricole pour la Corse, notamment pour l’élevage. »  

Un projet pour lequel la FDSEA a des propositions à formuler : « Il y a un choix de société à faire. La Corse doit-elle rester une île assistée, sous la dépendance d’un secteur touristique de plus en plus livré aux grands groupes étrangers, avec un berger “folklore” qui donnera bonne conscience aux nationalistes ? Alors, on marche sur la tête ! » Des solutions existent, comme le POSEI (programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularitéqui est mis en œuvre en Guadeloupe ou en Martinique et permet de bénéficier de financements, en dérogation de la PAC, dans le cadre d’un plan établi pour atteindre des objectifs précis

« La FDSEA demande que soit mis en place un vrai plan Marshall pour les filières d’élevage. Pour une Corse qui vive sur le mérite, sur le travail, sur la tolérance, sur le partage. Alors, il y aura un espoir, parce que ça, c’est notre tradition, notre façon de voir. Parlons de projets, avec une vision pour la Corse et ses agriculteurs : une économie endogène, productive, propre à la Corse. Car il n’y a pas d’identité sans économie. Et pas d’économie sans identité ! Marchons sur ces deux jambes : c’est comme ça qu’on va réussir ! »

 

Deux collaboratrices de la MSA étaient sur place pour proposer aux éleveurs en difficulté de monter un dossier de demande d’aide, afin de bénéficier de mesures AGRIDIF.