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Handicap : La Corse dans le Top 3 des régions françaises pour le traitement des demandes


Nicole Mari le Dimanche 12 Janvier 2025 à 14:23

Le 13 janvier, Jérémie Boroy, président du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), qui fait un tour de France des territoires, fera escale à Bastia. L’occasion pour Jean-François Leoni, directeur de la Maison des Personnes Handicapées (MDPH) de la Collectivité de Corse, de faire un bilan sur la situation du handicap dans l’île. Il explique à Corse Net Infos que Jérémie Boroy vient appréhender les difficultés et les freins que rencontrent les acteurs du handicap sur un territoire insulaire et rural et surtout comprendre comment la MDPH Corse réussit, malgré ces freins-là, à aligner des indicateurs aussi positifs. La Corse se place dans le Top 3 des régions françaises pour le traitement des demandes d’aides et est la seule à gérer une unité de bilan DYS.



Jean-François Leoni, directeur de la Maison des Personnes Handicapées (MDPH) de la Collectivité de Corse.
Jean-François Leoni, directeur de la Maison des Personnes Handicapées (MDPH) de la Collectivité de Corse.
- Quelle est la mission de la MDPH ?
- La MDPH est un groupement d’intérêt public placé sous la tutelle administrative et financière de la Collectivité de Corse. Elle est présidée par le président du Conseil exécutif qui a donné délégation à la conseillère exécutive, Lauda Guidicelli. Notre rôle est d’accueillir, informer, orienter et accompagner toutes les personnes en situation de handicap et leur famille dans le cadre de démarches permettant de compenser ce handicap. Cela va de l’enfant qui naît polyhandicapé à la personne âgée qui a besoin d’une carte de stationnement pour se garer sur les places réservées aux handicapés. Cela comprend également la prise en charge et l’orientation vers les établissements spécialisés, l’attribution des AESH (Accompagnement en milieu scolaire, plus connu sous le nom d’AVS). La MDPH dispose d’un guichet unique pour toutes les demandes de compensation qui ont trait au handicap.
 
- Ce terme de handicap revêt des situations très différentes ?
- Tout à fait ! On traite à la fois le handicap visible et le handicap invisible. C’est-à-dire le handicap moteur avec des déficiences pluri-motrices, c’est le cas notamment de personnes en fauteuil roulant, mais aussi des handicaps psychiques et psychologiques qui sont maintenant pris en considération. Au niveau des enfants, on traite les handicaps de type TDAH, c’est-à-dire les troubles de l’attention et de l’hyperactivité, et les troubles DYS du langage et de l’apprentissage. Nous sommes la seule MDPH en France à avoir une unité de bilan DYS. Nous sommes en capacité, à travers une équipe de professionnels de santé, que nous avons mise en place grâce au financement de la Collectivité de Corse, de diagnostiquer et de faire un bilan des cinq troubles de l’apprentissage, de la dyslexie à la dyscalculie et la dysorthographie.
 
- Quelle est la situation du handicap en Corse ?
- Il y a aujourd’hui en Corse environ 35 000 personnes en situation de handicap. Cela fait 10 % de la population qui ont un dossier MDPH, c’est-à-dire qui sont passés par nous. Il faut y ajouter toutes les personnes en situation de handicap qui ne sont pas aidées, soit parce que leur entourage est présent, soit parce qu’elles n’ont pas encore fait de démarches, soit parce qu’elles ne veulent pas être reconnues en situation de handicap. C’est la même moyenne qu’en France où il y a 7 millions de personnes reconnues handicapées et plus de 10 millions de personnes qui sont censées avoir un handicap, mais qui ne sont pas reconnues par les MDPH. C’est un problème, mais nous ne pouvons pas démarcher les usagers. On peut travailler en partenariat avec les différentes instances pour aider les personnes qui veulent être aidées, on peut les informer de leurs droits, mais on ne peut pas les obliger à faire une demande.
 
- Ce chiffre est-il stable ou en augmentation ?
- Nous avons des éléments probants depuis le COVID. La MDPH a été créée en 2005 - nous fêterons les 20 ans en février-. Pendant trois ans, il y a eu une inflation énorme des demandes, suivie par un plateau entre 2008 et 2020. Depuis le COVID, on constate une très forte augmentation du nombre de demandes et de décisions prises de plus 10 % par an en Corse.
 
- A quoi est-ce dû ? On parle de flux venant du continent pour profiter des conditions qui seraient plus favorables en Corse. Est-ce exact ?
- Tout à fait ! Ce flux est notable, mais on a du mal à le quantifier. On est en train de faire des statistiques pour mesurer son impact. A première vue, il y a 300 à 400 personnes en situation de handicap qui arrivent tous les ans, cela correspond à 10 % du flux migratoire. C’est un taux important qui a un coût important. Sans compter que la Corse subit un vieillissement démographique. Sur le volet gérontologie, les dépenses augmentent aussi d’année en année. Heureusement que nous sommes aidés financièrement par la Collectivité de Corse sur nos missions, mais à un moment donné, il faudra trouver des solutions pour pérenniser ce système parce que ce flux met en cause sa pérennité.
 
- Y a-t-il des fraudes au handicap en Corse ?
- C’est infinitésimal. La MDPH a deux filtres. Toutes nos évaluations sont réalisées par un médecin, alors qu’ailleurs, sur certains territoires, elles le sont par des infirmières ou des assistantes sociales. Le certificat médical est rédigé par le médecin généraliste ou spécialiste qui suit le patient, le médecin de la MDPH va, à nouveau, évaluer la situation et recevoir l’usager avant ses premières demandes. Cela limite le phénomène de fraude.
 
- Quelles sont les nouveautés dans la prise en charge du handicap ?
- La compensation sur l’aide humaine a été élargie aux personnes ayant des troubles psychiatriques. Avant ce n’était pas possible. Maintenant, on est en capacité d’attribuer des aides humaines pour les accompagner au quotidien ou à leur domicile. Depuis cinq ans, nous avons aussi la possibilité d’attribuer des droits sans limitation de durée, c’est-à-dire des droits à vie. Cela évite aux usagers d’avoir à faire des demandes de renouvellement. C’est important. Ces nouveautés ont aussi un impact sur les dépenses.

L'antenne de la MDPH à Bastia.
L'antenne de la MDPH à Bastia.
- Pourquoi le président de la CNCPH vient-il en Corse ?
- Il fait un tour de France pour aller à la rencontre des territoires. Il a une approche très pragmatique, il veut voir quelles sont les difficultés des MDPH et des acteurs du handicap sur le terrain. C’est très important parce que l’approche nationale est en général phagocytée par les orientations des grosses collectivités. Jérémie Boroy travaille aussi beaucoup sur l’accessibilité aux droits, notamment l’accessibilité numérique. Dans la Loi de 2005, il était question de rendre tous les bâtiments publics accessibles aux handicapés. Ce n’est malheureusement pas le cas, les mairies des petits villages n’en ont pas les moyens. Ensuite, ce qui l’intéresse chez nous, c’est l’insularité et les spécificités îliennes. Cela l’intéresse à double titre : d’un côté, il veut appréhender cette ruralité qui est un frein. Nous avons deux antennes, une à Bastia et l’autre à Aiacciu. Pour aller du Cap Corse à Bastia, il faut 1h30, pour aller de Bonifacio à Aiacciu, il faut 1h30 à 2 heures. Il veut voir comment la Corse réussit, malgré ses freins-là, à obtenir des indicateurs aussi positifs.
 
- En quoi la Corse réussit-elle ?
- Depuis six ans, depuis le transfert de la MDPH à la Collectivité de Corse, nous sommes dans le Top 3 en France en termes de délais de traitement. En sachant qu’aujourd’hui les délais de traitement sont la principale difficulté des MDPH en France - Il y a 100 MDPH -, la MDPH de Corse est reconnue au niveau national comme l’une des plus rapides. On a aussi - et c’est une force - une proximité avec tous les acteurs. On connaît parfaitement les représentants de l’ARS (Agence régionale de santé), de la Collectivité de Corse, bien évidemment avec qui nous sommes en étroite collaboration, et ceux des différentes associations. C’est très important parce que cela favorise la transversalité entre les principaux acteurs, le travail en bonne intelligence et la cohésion, notamment pour les situations les plus complexes. Cela nous permet d’intervenir très rapidement, d’anticiper et même de faire de la prévention. Nous avons aussi mis en place sur notre territoire : l’aller vers. On va vers les usagers, on se déplace dans l’Extrême-Sud, dans le Cortenais… On fait en sorte d’éviter les déplacements stressants et les frais d’essence. On est aussi précurseur au niveau de la Full Démat en privilégiant le travail dématérialisé.
 
- C’est-à-dire ?
- Nous avons mis en place un système qui incite les personnes à poser leur demande en ligne et à nous envoyer les pièces et les dossiers par mail, à échanger par mail ou par téléphone plutôt que de venir sur site. Nous faisons tout pour qu’une personne ne se déplace pas, sauf si c’est vraiment indispensable pour une évaluation. Lorsque le certificat médical du médecin généraliste est assez explicite, elle n’a même pas besoin de se déplacer pour une évaluation. Une relation de confiance s’établit entre notre médecin évaluateur et le médecin généraliste ou spécialiste qui connaît le mieux la personne en situation de handicap. C’est notre repère pour procéder aux évaluations. Avec Full Démat, la personne a la possibilité de suivre en temps réel, l’évolution de son dossier : la demande, la déclaration du dossier complet, l’évaluation, le passage en Commission, y compris recevoir sa notification par mail.
 
- Quelle est la différence de délais de traitement avec la moyenne nationale ?
- Une demande de carte de stationnement va être traitée assez vite, de même une demande d’allocation d’adulte handicapé (AAH). C’est plus long pour une demande de Prestation de compensation du handicap (PCH) qui est l’aide phare pour les personnes lourdement handicapées. Elle peut se formaliser sous forme d’aides humaines, soit une aide à domicile, soit une aide animalière pour les personnes aveugles, ou par une amélioration de logement qui peut prendre trois ou quatre mois. Il faut qu’une étude soit faite par un ergothérapeute pour adapter le futur logement, que plusieurs devis soient réalisés et que des prestataires réalisent le travail. En moyenne, notre délai de traitement est de 2,5 mois alors que la moyenne nationale est entre 5 à 6 mois. On a également un taux de satisfaction des usagers très positif. Ces bons indicateurs intéressent Jérémie Boroy. Il vient aussi voir comment nous gérons notre unité de bilan DYS que, je le rappelle, nous sommes la seule MDPH à avoir.
 
- Quel est l’enjeu de cette unité DYS ?
- Elle évite aux enfants de se déplacer sur le continent. Précédemment, les bilans DYS étaient réalisés à Marseille ou sur le continent. Des structures privées se sont ouvertes en Corse, mais des dépenses de santé ne sont pas remboursées par la CPAM. Nous avons l’avantage de proposer une gratuité totale du bilan. Ce n’est pas négligeable ! La MDPH de Corse réalise une centaine de bilans par an, cela facilite la scolarité des élèves dont beaucoup sont malheureusement laissés de côté. Nous faisons un bilan et donnons quelques préconisations à l’enseignant, des petits conseils pour l’aider dans sa prise en charge. Nous avons cette unité grâce à la Collectivité de Corse qui nous donne des moyens financiers assez importants.

- Qu’attendez-vous de la visite de Jérémie Boroy ?
- On voudrait le sensibiliser à nos difficultés, notamment en termes d’éloignement et de moyens. Nous avons évolué à moyen constant. On voudrait aussi voir de quelle manière les petits territoires comme le nôtre peuvent influencer les nouveaux projets de loi et les nouvelles dispositions légales. Ce sont toujours les gros départements qui sont les plus influents, alors on voudrait porter la voix des petits territoires pour apporter une amélioration adaptée dans l’intérêt des personnes en situation de handicap. Le but est d’être au plus près des usagers. Cette proximité passe par des moyens supplémentaires. On voudrait également faire entendre la voix des territoires ruraux où la problématique n’est pas la même. A Marseille par exemple, les évaluateurs se déplacent sur deux ou trois arrondissements alors que nos évaluateurs se déplacent dans tout le Cismontu ou tout le Pumonti. Nous voudrions que ces éléments-là soient pris en considération et que les dotations soient revalorisées. Enfin, le maître-mot est la simplification. Des démarches nous semblent aujourd’hui obsolètes et ralentissent le traitement des dossiers, ce qui pénalise les usagers. On leur demande des pièces ou des éléments de manière récurrente, alors qu’ils ont déjà été transmis. Il faut simplifier ces démarches.
 
- En février, vous fêtez les 20 ans de la création des MDPH. Comment cela va-t-il se passer ?
- On réfléchit au format. Les 20 ans seront fêtés dans une approche partenariale avec la Collectivité de Corse, l’ARS, l’Education nationale et l’ensemble des mouvements associatifs. Je pense que le format retenu, qui est dans l’air du temps, sera certainement une conférence en Visio. Le but sera d’une part, de dresser un bilan des 20 ans, en donnant les éléments positifs et négatifs, et d’autre part, d’aller vers plus de simplification pour les années à venir. Les MDPH sont toujours entrées dans le champ médico-social et il faut vraiment simplifier les démarches des usagers. Là aussi, on s’appuiera sur les nouvelles technologies. On va intensifier la Full Démat. On veut offrir la possibilité aux personnes handicapées de faire leur demande de A à Z sans se déplacer pour pouvoir bénéficier de droits. En matière de simplification, on parle aussi beaucoup du FALC, le Facile à lire et à comprendre, pour éviter que les personnes, qui font des demandes d’aides, n'abandonnent les dossiers. Nous travaillons là-dessus. Et puis, il y a, comme je l’ai, le problème des moyens. Les financements de l’État sont fixes. Notre seule variable d’ajustement est le financement de la Collectivité de Corse qui vient équilibrer notre budget chaque année pour que nous puissions travailler en toute sérénité. C’est essentiel pour nous.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.