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Journée mondiale de prévention du suicide : "En Corse, jusqu’à dix appels d’urgence par jour"


le Vendredi 6 Septembre 2024 à 18:55

Le 10 septembre, c’est la Journée internationale de prévention du suicide (JIPS). En France, la mortalité par suicide a diminué de 30 % en 24 ans, mais chaque année, sont encore recensées 200 000 tentatives de suicide pour près de 9 000 décès. Il est donc nécessaire de poursuivre le travail de sensibilisation, afin que les idées suicidaires ne soient plus un tabou, préconise Sébastien Gariglio, cadre de santé infirmier à l’hôpital de Castelluccio à Ajaccio, qui est le centre de référence en Corse dans les politiques de prévention actuellement déployées.



Photo d'illustration
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Depuis 2000, la mortalité par suicide a baissé de 30 % en France.  Selon vous, quel est l’impact des politiques de prévention nationales dans cette diminution ?
Certes, les chiffres de la mortalité diminuent, seulement il n’y a pas eu de choc comme on avait pu le constater avec la prévention routière dans les années 2000 (quand les politiques mises en œuvre avaient permis de passer de 8 160 morts sur les routes en 2001 à 3 963 en 2011, NDLR). Nous, c’est à ce niveau de diminution que l’on aspire depuis le Segur de la Santé, pour parvenir à réduire de façon assez significative le chiffre de 9 000 morts par an suite à une tentative de suicide. Au niveau national, plusieurs dispositifs de prévention ont été mis en place en vue de provoquer cette cassure.

L’hôpital de Castelluccio à Ajaccio est le centre régional de référence en Corse, tant au niveau du dispositif VigilanS que de la prise en compte des appels du 3114, le numéro d’urgence. Etes-vous en mesure de tirer un bilan aujourd’hui ?
Le 3114, c’est le numéro de prévention du suicide qui a été mis en place en 2021. Chez nous en Corse, il a été déployé en avril 2022. On a fait deux années pleines, mais on manque encore de recul pour ressortir des statistiques. En moyenne, à l’ouverture de la ligne, on recevait un ou deux appels par jour. A l’heure actuelle, on est plutôt entre sept et dix appels reçus chaque jour sur la Corse. En France, c’est 200 000 appels par an. On espère avoir de premiers chiffres significatifs sur l’efficacité du dispositif dès l’an prochain, en 2025. Avant cela, en Corse, on avait un peu de mal à se situer car chacun faisait ses comptes dans son coin. Le Samu avait ses comptes, la gendarmerie avait ses comptes, l’hôpital psychiatrique avait ses comptes… Aujourd’hui, on essaie de se coordonner.

La principale difficulté, c’est de détecter à temps les personnes sujettes à des idées suicidaires. Le dispositif VigilanS vous a permis de progresser sur ce point ?
VigilanS nous permet de recontacter les personnes qui ont déjà fait une tentative de suicide. Pour parler simplement, c’est rare de réussir un suicide du premier coup. Donc en recontactant les personnes qui ont déjà fait une tentative, on va diminuer l’incidence du suicide. Le dispositif VigilanS est né en 2015 dans la région lilloise. Il a rapidement fait ses preuves, tant et si bien qu’il est aujourd’hui déployé sur toute la France. Et selon une étude publiée par Santé Publique France en février, 38 % des personnes qui sont suivies dans le cadre du dispositif VigilanS n’ont pas réitéré de tentative de suicide. Car pendant six mois, on suit ces personnes, on met en alerte leur médecin traitant, les psychiatres… On créé un filet de sécurité auprès de la personne.

Quand vous réceptionnez un appel d’une personne en détresse au 3114, comment jugez-vous de l’urgence du soutien qu’il convient de lui apporter ?
Le 3114 n’est pas un service de soins, mais un service de prévention. 70 % des appels que l’on reçoit, ce sont les personnes elles-mêmes qui appellent. En premier lieu, on va évaluer leur situation. Est-ce que ces personnes en sont au tout début de leurs pensées suicidaires, avec des idéations fugaces ? Ou est-ce qu’elles ont déjà sombré dans la crise, avec des idéations ancrées et un scénario établi ? Selon la situation, le mode d’intervention n’est pas le même. Dans tous les cas, il y aura une écoute active. Si la personne est en crise, on va essayer de la garder au téléphone pour ne pas la laisser seule et si nécessaire, on va déclencher les secours en parallèle. 


Qu’est-ce qui conduit une personne à avoir des pensées suicidaires ?
Les idées suicidaires n’émergent pas suite à une seule chose. C’est toujours une constellation de facteurs. Un facteur conjoncturel, un facteur de vie qui pourra relever de l’aspect professionnel, familial ou amoureux… Le dernier problème rencontré, c’est le facteur précipitant, mais en général il y a toujours un contexte. Les personnes qui ont des pensées suicidaires sont tellement obnubilées par les choses négatives qui leur arrivent qu’elles ne parviennent plus à penser. Elles ne sont que dans l’émotion. Et la seule idée qui leur vient, c’est mourir, pour arrêter de souffrir. Les gens qui se suicident ne veulent pas mourir, ils veulent arrêter de souffrir.

- La solitude exacerbe-t-elle ces pensées ?

Il y a évidemment des personnes isolées, notamment chez les personnes âgées. Mais ça peut aussi être une solitude ressentie, même en étant très entouré. En général, ce sont des problèmes qui s’accumulent. Ca commence par de la précarité, du coup on va s’isoler et ça va être un cercle vicieux qui va s’engager.

Le 10 septembre, c’est la journée internationale de la prévention du suicide (JIPS). Comment la société peut-elle se rendre utile ?
Premièrement, c’est d’oser en parler avec la personne que l’on pense en difficulté. Ce n’est pas tabou. Quand une personne ne va pas bien, il faut oser lui demander si elle a des idées suicidaires. C’est une question qu’on peut poser, sans craindre de lui donner l’idée. Mais si on ne s’en sent pas capable, il faut pouvoir rediriger la personne vers le 3114 pour une aide personnalisée. Le mot d’ordre de cette journée du 10 septembre, c’est « oser en parler ». Pendant tout le mois, on essaie de faire « Septembre jaune », en partageant des images et des hashtags sur les réseaux sociaux. A l’image d’Octobre rose pour la prévention du cancer du sein. Ca permet de faire passer le message que la prévention du suicide n’est pas tabou et ainsi « destigmatiser » les personnes qui ont des idées suicidaires.

Avoir des pensées suicidaires n'est pas anodin. Des professionnels de santé sont à votre écoute au 3114, sept jours sur sept, 24h sur 24.