Quel est l’objectif d’un itinéraire culturel européen ?
- D’abord, d’unir les Européens autour d’un patrimoine commun. Par exemple, le chemin de Saint Jacques de Compostelle, emprunté par plus de 300 000 personnes, se décline autour de 4 grands chemins européens. L’itinéraire culturel est un outil de développement sur un thème commun qui peut être un personnage européen. Par exemple : l’itinéraire Mozart ou Saint Martin de Tours. Il ne se limite pas au côté historique, mais est prolongé par une vision du patrimoine culturel.
- Combien y-a-t-il d’itinéraires en Europe ?
- Il y a 22 itinéraires en Europe. Le pèlerinage de Saint Martin est le 3ème après celui de Saint Jacques. Il y a aussi l’itinéraire du patrimoine juif, l’itinéraire Saint Michel, la Via Francigena qui suit le tracé du voyage de l'archevêque de Canterbury, Sigéric, jusqu’à Rome en 990, la Via Regia qui traverse l’Europe d’Est en Ouest, les routes des Vikings, le Chemin de l’Anonyme de Bordeaux jusqu’à Jérusalem en 333, l’itinéraire des sites clunisiens, la Transromanica pour l’art roman, Iter Vitis ou les chemins de la vigne, les routes de l’olivier…
- Pourquoi un chemin Saint Martin de Tours ?
- Saint Martin est un personnage européen emblématique et grand voyageur. Il est connu par son geste quand, simple soldat, en 337, en garnison à Amiens, il coupe son manteau en deux pour en donner la moitié à un pauvre. Touché par la foi, il quitte l’armée pour rejoindre Hilaire, évêque de Poitiers, et fonde le monastère de Ligugé, le premier d’Occident. Nommé évêque de Tours, il crée les premières églises rurales de Gaule et sillonne l’Europe. Ses traces sont présentes sur le plan matériel (historique, culturel, artistique) et immatériel (légendes, croyances ou traditions). Sa fête, le 11 novembre, jour de sa mort, donne lieu à des réjouissances populaires comme manger l’oie, déguster le vin nouveau ou la foire de la Saint-Martin. Son culte, en se développant, fait émerger l’idée d’une conscience européenne.
- Comment se décline ce parcours ?
- En France, il part de Tours et se décline autour de trois parcours en Poitou : le chemin de l’Evêque de Tours, le chemin de Trèves et le chemin de l’Eté de la Saint Martin, qui raconte le dernier épisode de sa vie. Ces chemins prennent une dimension européenne avec la mise en place de quatre itinéraires. La Via Sancti Martini relie, sur 2500 kms d’Est en Ouest, sa ville natale, Szombathely en Hongrie, à Candes-Saint-Martin, la ville de sa mort, en France, via Tours, la ville de son tombeau. La Via Caesar Augustana relie, sur 1100 kms, Saragosse, la capitale de l’Aragon, à Tours, via Bordeaux et les Pyrénées. La Via Treverorum part de Paris et arrive à Trèves en Allemagne en passant par le Luxembourg. La Via Trajectensis passe par Amiens, Bruxelles jusqu’à Utrecht aux Pays-Bas.
- Saint Martin est-il venu en Corse ?
- Apparemment, pas. Mais, c’est une hypothèse envisageable car la légende dit qu’il est resté de longs mois sur l’île déserte de Gallinara située juste en face et, à l’époque, la navigation était développée.
- En quoi la Corse vous intéresse-t-elle alors ?
- La Corse recèle beaucoup de patrimoine martinien matériel : des chapelles, des ponts, des évêchés, et immatériel : des légendes, des histoires, des traditions, des noms de lieux... Il y a 5 ans, nous avons rencontré Christian Andreani, de la Confrérie St Martin à Patrimonio, qui a fait tout un travail sur ce patrimoine. Nous avons donc décidé de mettre en place, à partir de la Corse, un itinéraire de la Via Sancti Martini qui traverse l’île du Nord au Sud jusqu’à la petite chapelle St Martin de Bonifacio.
- Quand cet itinéraire corse sera-t-il finalisé ?
- C’est un énorme travail d’identifier les chemins de chaque pays, région, département qui ont souvent leur propre politique de développement. Le 9 novembre, à Tours, la célébration de l’été de la Saint Martin accueillera le rassemblement de tous les centres culturels Saint Martin qui sont des relais martiniens dans différents pays : Croatie, Hongrie, Slovénie, Italie, Pays Bas, Corse et Tours. Sous l’égide du Conseil de l’Europe, sera créé un réseau européen de centres culturels. Ce réseau va finaliser le parcours de la Via Sancti Martini pour 2016, date du 1700ème anniversaire de la naissance de Saint Martin. L’objectif, pour la Corse, est de finaliser le parcours avec un axe Pavie -Gallinaria.
- Ces parcours sont-ils du même type que celui de St Jacques ?
- Le parcours de St Jacques est un chemin de pèlerinage qui converge vers Compostelle. L’itinéraire martinien propose de mettre ses pas dans ceux d’un personnage européen en valorisant un patrimoine historique et immatériel. Sur la Via Sancti Martini, le plus important n’est pas d’aller du lieu de naissance au lieu de mort du saint, mais de valoriser un patrimoine en marchant sur un chemin. Par exemple, on peut simplement faire l’étape corse qui raconte la tradition chrétienne. Ce qui nous intéresse, c’est de développer, sur le chemin, un projet autour du concept de la bande verte et citoyenne.
- Qu’est-ce que la bande verte et citoyenne ?
- C’est une bande valorisant un tourisme lent, s’appuyant sur la valeur du Partage citoyen pour faire émerger des pratiques qui vont au-delà de celles développées autour des chemins de randonnée. Par exemple, sur un chemin identifié, on va, sur une largeur de 20 kms à droite et à gauche, géolocaliser tous les projets exemplaires, notamment les monuments, l’artisanat, les productions régionales AOC vin, fromage…, y intégrer un texte informatif que l’on peut récupérer en marchant par IPhone ou Smartphone. L’idée est de sensibiliser les marcheurs à l’environnement, à la valorisation de l’artisanat, aux petits métiers et à la redécouverte d’une société rurale. Ce concept est expérimenté dans la région Centre sur 300 kms. Nous soutenons son développement en Corse.
- Quel est l’intérêt de ce concept pour le marcheur ?
- Ce concept de bande verte véhicule l’idée de partage portée par Saint Martin et l’intègre comme une valeur d’échange. Le marcheur peut participer à une opération d’éco-citoyenneté ou d’éco-construction en donnant, par exemple, un coup de main pour refaire un refuge ou travailler, pendant 1 ou 2 jours, à un chantier. Chaque pays initiera ses propres projets qui naîtront en fonction des propositions de chacun. L’objectif est de faire, de ce parcours, un chemin du 21ème siècle, exemplaire, éthique, social, environnemental, un lieu de partage et d’échange entre les locaux et les passants autour de projets concrets et structurés en relation avec l’Homme et la nature.
- Est-ce une forme d’éco-tourisme ?
- L’idée est de faire émerger un éco-tourisme durable et responsable, moteur d’une nouvelle économie, de nouveaux comportements et d’un nouveau type de loisirs. Par la Via Sancti Martini, les régions peuvent monter et définir ensemble un projet pour obtenir des fonds européens qui sont la contrepartie financière, les collectivités locales apportant toutes les autres contreparties. Mais tout dépend de l’implication des régions et des départements.
- Comment développer ce partage citoyen dans un monde globalisé ?
- Ce nouveau partage élargi, responsable et engagé tend à rassembler les hommes au-delà des clivages de toutes natures, dans une même démarche : partage des ressources, des connaissances, des cultures, des valeurs.... Nous portons, au niveau du chemin, une réflexion avec le Conseil de l’Europe sur le fait qu’au 21ème siècle, face à cette mondialisation, à l’expansion démographique et à la mise en péril de l’écosystème de la planète, le partage devient une absolue nécessité pour tous, pour les Européens comme pour le reste du monde. Il va falloir partager l’eau, l’air, la culture, le savoir, les ressources, l'accès à l'éducation, au travail, à la santé, au logement…
- La valeur du partage, portée par la symbolique du manteau de Saint Martin, est-elle toujours d’actualité ?
- Tout à fait. Cette valeur du partage, portée sur la Via Sancti Martini depuis le 4ème siècle, les générations futures seront amenées à la développer et à l’élargir au partage des valeurs spirituelles universelles et au partage interculturel. Le Partage citoyen met l’humanisme au centre du développement durable et peut donner une nouvelle impulsion à la solidarité entre les individus, les peuples, les générations et l’ensemble du vivant. Dans un monde de globalisation où l’interdépendance de tous les individus est évidente, le geste de Saint Martin prend tout son sens et doit contribuer activement à tracer des perspectives et une vision globale de l’avenir.
Propos recueillis par Nicole MARI