Jean Pierre Dubois, président d’honneur de la Ligue des Droits de l’homme et professeur de droit constitutionnel à l’université de Paris XI.
- Que vous inspire cette notion de statut de résident ?
- C’est une notion qui nous tient à cœur à la LDH et qui m’intéresse en tant que constitutionnaliste. A la LDH, nous croyons beaucoup à la citoyenneté de résidence, à l’idée que la citoyenneté ne doit plus être uniquement attachée à des questions de nationalité, comme c’était vrai il y a 100 ou 200 ans. Elle doit être liée à la notion de résidence, à l’idée que l’on construit l’avenir d’un territoire avec les gens qui s’y installent durablement et qui le font vivre. C’est une des raisons pour lesquelles nous défendons, depuis 30 ans, le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. Le statut de résident, qui paraît construire une société politique corse sur la base de la résidence, est un très bon principe qui répond aux enjeux du monde d’aujourd’hui.
- En quoi y répond-il ?
- Le monde d’aujourd’hui est fait de mobilité, de migrations, de choses qui bougent. On ne peut pas faire vivre la démocratie sans prendre en compte cette réalité. Sinon, on s’expose à des externalités. Pour un territoire comme la Corse, une île avec une population pas nombreuse et des ressources attirant nombre de capitaux, notamment sur le plan touristique, le risque d’un pilotage de l’extérieur est très fort. Le développement, centré de l’extérieur par des agents économiques, imposera un certain type d’avenir non voulu par la population. Face à ce risque, qui se pose à l’échelle de l’Europe, des nations ou des territoires dans les nations, le statut de résident est un enjeu d’avenir. Il correspond à une vraie mutation, à la question : comment construit-on la démocratie ? On la construit avec des gens qui résident sur un territoire.
- Mais est-il juridiquement et constitutionnellement défendable ?
- Tout dépend ce que l’on met dedans ! Le statut de résident est une étiquette qui peut refléter différents contenus. Reconnaître des droits spécifiques en fonction de la résidence ne pose aucun problème de principe. De nombreux droits sont fonction de la résidence. Le droit de vote est territorialisé : on ne peut pas voter si on n’a pas un domicile ou une propriété dans une commune. Les résidences secondaires et les résidences principales ne sont pas traitées de la même manière sur le plan fiscal. La résidence déclenche un certain statut. Ce n’est pas une nouveauté ! Ensuite, si on touche à certains droits, il faut changer la Constitution. Si on touche à d’autres droits, il suffit de faire une loi. En Corse, les élus discutent de questions foncières et fiscales. C’est une discussion technique sur les procédures à mettre en œuvre et sur les majorités politiques nécessaires.
- La notion de résidence n’est, donc, pour vous, pas démocratiquement choquante ?
- Elle l’est si l’ensemble des droits dépend de la résidence. Mais, si l’on parle de la construction de l’avenir, de la citoyenneté, d’une communauté de destin, d’une société politique, il y a une vraie logique que ce soit lié à la résidence. On ne peut pas déposséder les gens de leur avenir ! C’est la condition de la survie de la démocratie ! Sinon, on aboutit à des systèmes qui n’ont plus de réalité et ne sont plus reconnus par la population, et on entretient un jeu xénophobe et identitaire.
- La notion de résidence est-elle discriminatoire ?
- Non ! Elle n’est pas discriminatoire, mais ouverte sur l’avenir. Quelqu’un arrive, s’installe, réside pendant une certaine durée et montre qu’il n’est pas seulement là pour la beauté des paysages, qu’il n’est pas un saisonnier de la citoyenneté. Au bout d’un moment, on ne va pas lui demander s’il a 1, 2, 3 ou 4 générations d’ancêtres dans un cimetière corse ! Il vit là, il construit l’avenir par son travail, ses enfants, il est pris en compte comme citoyen avec les droits afférents. Ce n’est que de cette façon-là que l’on fera vivre une démocratie territoriale. Sinon, on n’aura que des marionnettes et des squelettes, comme souvent, malheureusement, aujourd’hui !
- La priorité du statut de résident est de lutter contre la dépossession foncière et la spéculation. Rejoignez-vous aussi ce terrain-là ?
- Lutter contre la dépossession, oui ! C’est ce que j’appelle le développement externalisé ! La Corse court un vrai risque de se faire déposséder comme la Costa Smeralda en Sardaigne. J'adhère à l’idée de permettre aux résidents corses de garder la maitrise de leur avenir, d’empêcher la spéculation. En revanche, la question est de savoir ce que signifie : maîtriser l’avenir de la Corse par les Corses. Elle est légitime dans le principe, mais qui sont les Corses ? Parle-t-on du droit du sol ou du droit du sang ? Est Corse celui qui réside durablement en Corse ou celui qui peut prouver des générations d’ancêtres corses, comme autrefois on prouvait des quartiers de noblesse ? La généalogie, c’est le droit du sang, donc une version ethnicisée. A la LDH, nous défendons une vision ouverte. Pour nous, le peuple corse est constitué de l’ensemble des gens qui résident durablement en Corse.
- L’inclusion de la diaspora dans le dispositif vous chiffonne-t-elle ?
- Oui ! Par définition ! La diaspora, ce sont les Corses qui sont partis à l’extérieur. On ne peut pas, en même temps, être dehors et dedans ! Ce qui ne veut pas dire qu’il faut ignorer les problèmes de la diaspora ! Mais, dire que les gens, qui ne résident pas en Corse, y résident, c’est détruire le statut de résident ! Dans certaines communes, 80% des gens ne seront pas là ! Ils auront leurs ancêtres au cimetière. Il y aura des morts résidents, mais pas de vivants résidents ! L’avenir se construit avec les résidents, avec ceux qui sont là, pas ceux qui n’y sont pas, mais qui disent : « J’ai trois générations au cimetière » !
- Les critères d’intérêts matériels et moraux susceptibles d’être retenus pour inclure la diaspora vous semblent-ils inadéquats ?
- Ces critères servent à ne pas pénaliser les fonctionnaires d’Outre-mer et à leur permettre de retourner au pays grâce à des bonifications de congés, de retraite et autres avantages. C’est absolument légitime ! Ce dispositif peut se développer en Corse. Mais, l’intérêt du statut de résident est d’attribuer des droits à ceux qui résident. Pas seulement l’accès à la propriété, mais aussi le droit de vote. Il ne faut pas créer de discrimination par les origines ou les ancêtres ! Sinon on va reproduire à l’échelle insulaire, le risque d’affrontements xénophobes qui existe au niveau national ! Dans l’île, la proportion d’immigrés est la plus importante de France. Il ne faudrait pas qu’il y ait un clivage entre les Corses de souche et les Corses de papier ! Le risque de repli identitaire est énorme en Europe. Ce serait vraiment une catastrophe !
- Dans ce cas, comment intégrer les Corses de la diaspora ?
- Beaucoup de gens sont partis parce qu’ils n’avaient plus les moyens de vivre dans ce pays, mais ils y restent attachés. Il faut traiter cette question sur le plan matériel et symbolique, faciliter les liens humains et culturels avec le territoire et traiter les difficultés matérielles de la diaspora par un certain nombre de mesures. Mais, la diaspora doit faire un choix : soit elle rentre au pays et est résident, soit elle n’y rentre pas et n’est pas résident ! Si on fonde la citoyenneté sur la résidence, on la construit avec les gens qui résident. Mais dire que ceux qui ne résident pas, mais dont les ancêtres ont résidé, sont des résidents, est une fiction où il suffira d’avoir un passé pour prétendre représenter l’avenir ! Ce n’est pas bon ! Les non-résidents ne peuvent pas faire les choix politiques à la place des résidents.
- De nombreux biens sont en indivision. Comment permettre à la diaspora d’acheter des parts d’un bien familial indivis, si elle est exclue du statut de résident ?
- Il faut différencier la question de l’achat de celle de la licitation, c’est-à-dire l’acte par lequel un des co-indivisaires sort de l’indivision. Celui, qui possède déjà une partie de propriété sur un territoire, n’est pas dans la même situation que celui qui achète un bien sans avoir aucune propriété. On peut très bien ne pas réserver aux résidents le rachat des parts des co-indivisaires. C’est une manière de régler la question.
- Votre position s’étend-elle également au droit de vote lié aux résidences secondaires ? Est-ce une autre réflexion à mener ?
- Tout à fait ! Elle n’est pas ouverte, aujourd’hui, mais devrait être posée. Dans nombre de communes peu peuplées, la majorité du corps électoral n’est pas souvent présente. Cela finit par poser des problèmes. Ce n’est pas pour rien que le Code électoral notifie qu’au moins ¾ des élus doivent résider dans la commune. Restreindre le droit de vote est un peu compliqué, mais il n’y a pas de citoyenneté vivante sans être résident et impliqué dans le territoire. Sous peine d’avoir une démocratie formelle, squelettique ! Quand le lien est affectif et la résidence secondaire, on ne vit pas les problèmes, par exemple le maintien des classes d’un collège, de la même façon. De ce point de vue-là, le statut de résident est important. Il ouvre la réflexion de toute la société et de toutes les forces politiques sur comment construire l’avenir et sur le « Nous » qui le construira ? La société corse donne un exemple en France et en Europe.
- Pourquoi dites-vous que le statut de résident répond à un besoin général, hors des frontières insulaires ?
- En 2013, la LDH a tenu un congrès à Niort. J’ai été le rapporteur d’une motion qui a été adoptée et qui s’appelait : « République, diversité territoriale et universalité des droits ». Cette motion citait la Corse comme exemple d’un laboratoire où se joue notre avenir. La question de la citoyenneté de résidence va être portée ailleurs, pas seulement là où il y a des singularités culturelles, comme au Pays Basque. Comment fait-on, dans des régions qui subissent l’exode rural et le dépeuplement, pour que la démocratie reste vivante, que les gens gardent en main leur avenir ? En Corse, le problème est la spéculation liée au tourisme. Ailleurs, ce sont les communes-dortoir, les villes fantômes comme dans la région parisienne, sans entreprise, ni emplois, ni taxes professionnelles, où 80% des gens travaillent à l’extérieur et où les maires n’ont pas l’argent pour financer les écoles et les services publics. Toute une série d’enjeux ne peut être maîtrisée qu’à la bonne échelle, l’échelle des résidents.
- L’Europe et la mondialisation n’engendrent-elles pas la peur diffuse de la dilution des territoires et la nécessité de les renforcer ?
- Absolument ! Le mouvement de globalisation a des conséquences complexes, certaines positives, d’autres très dangereuses. Des gens vivant à Singapour peuvent s’intéresser à Bastia pour des questions de marché ! Ces échelles très larges déstabilisent les gens qui n’ont plus de repères, ni sur les identités traditionnelles, ni sur l’avenir. Dans ce monde d’instabilité, tout ce qui servait à se définir n’est plus très sûr, en particulier la souveraineté de l’Etat-nation. En Corse, le jeu avec Paris date de 2 siècles et demi. C’est un jeu bien rodé entre amour et haine, entre Jacobins et anti-Jacobins, entre la République Une et indivisible et une demande d’indépendance... Sauf qu’aujourd’hui, le dialogue avec Paris est mort ! Tout simplement parce que la France n’est plus un état souverain et exclusif, comme d’ailleurs aucun autre pays autour. Le temps des Nations indivisibles et souveraines est fini !
- Pourquoi, au nom de ses maigres prérogatives, la France se crispe-t-elle, alors, sur des sujets comme la reconnaissance des langues régionales ?
- On le voit dans les relations parents-enfants : moins les parents ont d’autorité, plus ils se crispent ! Plus on perd du terrain, plus il y a de crispations ! Il n’y a pas d’avenir possible autrement que dans une espèce de combinaison de citoyenneté : la citoyenneté communale et intercommunale, la citoyenneté territoriale d’une région ou d’un état fédéré, celle des vieux Etats-Nations qui sont en grande difficulté, mais pas encore morts, celle plus large de l’Europe et du monde. Le monde a changé. Il n’y a plus d’exclusivité. Dans ce monde nouveau, si on veut la démocratie, c’est-à-dire des gens qui veulent participer à leur avenir et pas seulement subir ce qui tombe d’en haut, il faut accepter ces différents niveaux de démocratie. Ensuite, le dosage peut changer : il ne sera pas forcément le même en Corse et en Picardie. L’idée d’uniformité est assez stupide ! Les gens, les régions, ne veulent pas forcément les mêmes choses.
- Cet espace de démocratie est-il l’antidote contre la montée des extrémismes ?
- En tous cas, c’est l’antidote contre la guerre de tous contre tous, la stratégie des purs et des impurs, les gens d’ici et ceux d’ailleurs… A travers les immigrés et les Roms, il y a le rejet de l’autre. La Ligue du Nord veut détacher les Italiens du Nord de ceux du Sud qu’elle traite de paresseux. La Flandre ne veut plus payer pour la Wallonie. Les Allemands disent que les Grecs n’ont qu’à vendre leurs plages… L’idée, qu’il y a d’un côté des gens très bien, et de l’autre, des moins que rien, se répand en Europe. Le risque est réel de fragmentation territoriale sur la base de la concurrence et de la hiérarchie xénophobe des territoires. C’est comme cela que les Tchèques se sont séparés des Slovaques. Dans l’aspiration à de nouvelles identités territoriales, il est évident que l’Ecosse est une nation, que la Catalogne a une existence historique… Mais ces aspirations à la singularité ne doivent pas cacher le mépris des autres, la volonté de casser tout lien avec l’extérieur, mais, au contraire, être des ouvertures. Cette question intéresse aussi l’avenir de la Corse.
- De quelle façon ?
- Les résidents corses doivent réfléchir à la manière d’être reconnus dans ce qu’ils sont. L’immense majorité des Corses ne dit pas, pour le moment, qu’elle veut vivre hors de la république française, mais qu’elle est attachée à son identité et à sa singularité. A la LDH, nous sommes favorables à la formule de 1991 « Le peuple corse, composante du peuple français » qui était une manière intelligente de progresser et permettait de ne pas choisir. Une manière de reconnaître ce qui a longtemps été nié : un peuple corse, une société politique corse, une culture et une langue corses… et de le reconnaître dans une composante plus large, pas seulement dans le peuple français, mais aussi dans l’Union européenne. Demander de choisir est dangereux car cela peut produire des affrontements identitaires, mais est, en plus, idiot car on rate ce qu’est le monde ! Celui-ci se construit dans les articulations et les réseaux, pas dans les forteresses, les murs et le mépris de l’autre.
Propos recueillis par Nicole MARI
- C’est une notion qui nous tient à cœur à la LDH et qui m’intéresse en tant que constitutionnaliste. A la LDH, nous croyons beaucoup à la citoyenneté de résidence, à l’idée que la citoyenneté ne doit plus être uniquement attachée à des questions de nationalité, comme c’était vrai il y a 100 ou 200 ans. Elle doit être liée à la notion de résidence, à l’idée que l’on construit l’avenir d’un territoire avec les gens qui s’y installent durablement et qui le font vivre. C’est une des raisons pour lesquelles nous défendons, depuis 30 ans, le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. Le statut de résident, qui paraît construire une société politique corse sur la base de la résidence, est un très bon principe qui répond aux enjeux du monde d’aujourd’hui.
- En quoi y répond-il ?
- Le monde d’aujourd’hui est fait de mobilité, de migrations, de choses qui bougent. On ne peut pas faire vivre la démocratie sans prendre en compte cette réalité. Sinon, on s’expose à des externalités. Pour un territoire comme la Corse, une île avec une population pas nombreuse et des ressources attirant nombre de capitaux, notamment sur le plan touristique, le risque d’un pilotage de l’extérieur est très fort. Le développement, centré de l’extérieur par des agents économiques, imposera un certain type d’avenir non voulu par la population. Face à ce risque, qui se pose à l’échelle de l’Europe, des nations ou des territoires dans les nations, le statut de résident est un enjeu d’avenir. Il correspond à une vraie mutation, à la question : comment construit-on la démocratie ? On la construit avec des gens qui résident sur un territoire.
- Mais est-il juridiquement et constitutionnellement défendable ?
- Tout dépend ce que l’on met dedans ! Le statut de résident est une étiquette qui peut refléter différents contenus. Reconnaître des droits spécifiques en fonction de la résidence ne pose aucun problème de principe. De nombreux droits sont fonction de la résidence. Le droit de vote est territorialisé : on ne peut pas voter si on n’a pas un domicile ou une propriété dans une commune. Les résidences secondaires et les résidences principales ne sont pas traitées de la même manière sur le plan fiscal. La résidence déclenche un certain statut. Ce n’est pas une nouveauté ! Ensuite, si on touche à certains droits, il faut changer la Constitution. Si on touche à d’autres droits, il suffit de faire une loi. En Corse, les élus discutent de questions foncières et fiscales. C’est une discussion technique sur les procédures à mettre en œuvre et sur les majorités politiques nécessaires.
- La notion de résidence n’est, donc, pour vous, pas démocratiquement choquante ?
- Elle l’est si l’ensemble des droits dépend de la résidence. Mais, si l’on parle de la construction de l’avenir, de la citoyenneté, d’une communauté de destin, d’une société politique, il y a une vraie logique que ce soit lié à la résidence. On ne peut pas déposséder les gens de leur avenir ! C’est la condition de la survie de la démocratie ! Sinon, on aboutit à des systèmes qui n’ont plus de réalité et ne sont plus reconnus par la population, et on entretient un jeu xénophobe et identitaire.
- La notion de résidence est-elle discriminatoire ?
- Non ! Elle n’est pas discriminatoire, mais ouverte sur l’avenir. Quelqu’un arrive, s’installe, réside pendant une certaine durée et montre qu’il n’est pas seulement là pour la beauté des paysages, qu’il n’est pas un saisonnier de la citoyenneté. Au bout d’un moment, on ne va pas lui demander s’il a 1, 2, 3 ou 4 générations d’ancêtres dans un cimetière corse ! Il vit là, il construit l’avenir par son travail, ses enfants, il est pris en compte comme citoyen avec les droits afférents. Ce n’est que de cette façon-là que l’on fera vivre une démocratie territoriale. Sinon, on n’aura que des marionnettes et des squelettes, comme souvent, malheureusement, aujourd’hui !
- La priorité du statut de résident est de lutter contre la dépossession foncière et la spéculation. Rejoignez-vous aussi ce terrain-là ?
- Lutter contre la dépossession, oui ! C’est ce que j’appelle le développement externalisé ! La Corse court un vrai risque de se faire déposséder comme la Costa Smeralda en Sardaigne. J'adhère à l’idée de permettre aux résidents corses de garder la maitrise de leur avenir, d’empêcher la spéculation. En revanche, la question est de savoir ce que signifie : maîtriser l’avenir de la Corse par les Corses. Elle est légitime dans le principe, mais qui sont les Corses ? Parle-t-on du droit du sol ou du droit du sang ? Est Corse celui qui réside durablement en Corse ou celui qui peut prouver des générations d’ancêtres corses, comme autrefois on prouvait des quartiers de noblesse ? La généalogie, c’est le droit du sang, donc une version ethnicisée. A la LDH, nous défendons une vision ouverte. Pour nous, le peuple corse est constitué de l’ensemble des gens qui résident durablement en Corse.
- L’inclusion de la diaspora dans le dispositif vous chiffonne-t-elle ?
- Oui ! Par définition ! La diaspora, ce sont les Corses qui sont partis à l’extérieur. On ne peut pas, en même temps, être dehors et dedans ! Ce qui ne veut pas dire qu’il faut ignorer les problèmes de la diaspora ! Mais, dire que les gens, qui ne résident pas en Corse, y résident, c’est détruire le statut de résident ! Dans certaines communes, 80% des gens ne seront pas là ! Ils auront leurs ancêtres au cimetière. Il y aura des morts résidents, mais pas de vivants résidents ! L’avenir se construit avec les résidents, avec ceux qui sont là, pas ceux qui n’y sont pas, mais qui disent : « J’ai trois générations au cimetière » !
- Les critères d’intérêts matériels et moraux susceptibles d’être retenus pour inclure la diaspora vous semblent-ils inadéquats ?
- Ces critères servent à ne pas pénaliser les fonctionnaires d’Outre-mer et à leur permettre de retourner au pays grâce à des bonifications de congés, de retraite et autres avantages. C’est absolument légitime ! Ce dispositif peut se développer en Corse. Mais, l’intérêt du statut de résident est d’attribuer des droits à ceux qui résident. Pas seulement l’accès à la propriété, mais aussi le droit de vote. Il ne faut pas créer de discrimination par les origines ou les ancêtres ! Sinon on va reproduire à l’échelle insulaire, le risque d’affrontements xénophobes qui existe au niveau national ! Dans l’île, la proportion d’immigrés est la plus importante de France. Il ne faudrait pas qu’il y ait un clivage entre les Corses de souche et les Corses de papier ! Le risque de repli identitaire est énorme en Europe. Ce serait vraiment une catastrophe !
- Dans ce cas, comment intégrer les Corses de la diaspora ?
- Beaucoup de gens sont partis parce qu’ils n’avaient plus les moyens de vivre dans ce pays, mais ils y restent attachés. Il faut traiter cette question sur le plan matériel et symbolique, faciliter les liens humains et culturels avec le territoire et traiter les difficultés matérielles de la diaspora par un certain nombre de mesures. Mais, la diaspora doit faire un choix : soit elle rentre au pays et est résident, soit elle n’y rentre pas et n’est pas résident ! Si on fonde la citoyenneté sur la résidence, on la construit avec les gens qui résident. Mais dire que ceux qui ne résident pas, mais dont les ancêtres ont résidé, sont des résidents, est une fiction où il suffira d’avoir un passé pour prétendre représenter l’avenir ! Ce n’est pas bon ! Les non-résidents ne peuvent pas faire les choix politiques à la place des résidents.
- De nombreux biens sont en indivision. Comment permettre à la diaspora d’acheter des parts d’un bien familial indivis, si elle est exclue du statut de résident ?
- Il faut différencier la question de l’achat de celle de la licitation, c’est-à-dire l’acte par lequel un des co-indivisaires sort de l’indivision. Celui, qui possède déjà une partie de propriété sur un territoire, n’est pas dans la même situation que celui qui achète un bien sans avoir aucune propriété. On peut très bien ne pas réserver aux résidents le rachat des parts des co-indivisaires. C’est une manière de régler la question.
- Votre position s’étend-elle également au droit de vote lié aux résidences secondaires ? Est-ce une autre réflexion à mener ?
- Tout à fait ! Elle n’est pas ouverte, aujourd’hui, mais devrait être posée. Dans nombre de communes peu peuplées, la majorité du corps électoral n’est pas souvent présente. Cela finit par poser des problèmes. Ce n’est pas pour rien que le Code électoral notifie qu’au moins ¾ des élus doivent résider dans la commune. Restreindre le droit de vote est un peu compliqué, mais il n’y a pas de citoyenneté vivante sans être résident et impliqué dans le territoire. Sous peine d’avoir une démocratie formelle, squelettique ! Quand le lien est affectif et la résidence secondaire, on ne vit pas les problèmes, par exemple le maintien des classes d’un collège, de la même façon. De ce point de vue-là, le statut de résident est important. Il ouvre la réflexion de toute la société et de toutes les forces politiques sur comment construire l’avenir et sur le « Nous » qui le construira ? La société corse donne un exemple en France et en Europe.
- Pourquoi dites-vous que le statut de résident répond à un besoin général, hors des frontières insulaires ?
- En 2013, la LDH a tenu un congrès à Niort. J’ai été le rapporteur d’une motion qui a été adoptée et qui s’appelait : « République, diversité territoriale et universalité des droits ». Cette motion citait la Corse comme exemple d’un laboratoire où se joue notre avenir. La question de la citoyenneté de résidence va être portée ailleurs, pas seulement là où il y a des singularités culturelles, comme au Pays Basque. Comment fait-on, dans des régions qui subissent l’exode rural et le dépeuplement, pour que la démocratie reste vivante, que les gens gardent en main leur avenir ? En Corse, le problème est la spéculation liée au tourisme. Ailleurs, ce sont les communes-dortoir, les villes fantômes comme dans la région parisienne, sans entreprise, ni emplois, ni taxes professionnelles, où 80% des gens travaillent à l’extérieur et où les maires n’ont pas l’argent pour financer les écoles et les services publics. Toute une série d’enjeux ne peut être maîtrisée qu’à la bonne échelle, l’échelle des résidents.
- L’Europe et la mondialisation n’engendrent-elles pas la peur diffuse de la dilution des territoires et la nécessité de les renforcer ?
- Absolument ! Le mouvement de globalisation a des conséquences complexes, certaines positives, d’autres très dangereuses. Des gens vivant à Singapour peuvent s’intéresser à Bastia pour des questions de marché ! Ces échelles très larges déstabilisent les gens qui n’ont plus de repères, ni sur les identités traditionnelles, ni sur l’avenir. Dans ce monde d’instabilité, tout ce qui servait à se définir n’est plus très sûr, en particulier la souveraineté de l’Etat-nation. En Corse, le jeu avec Paris date de 2 siècles et demi. C’est un jeu bien rodé entre amour et haine, entre Jacobins et anti-Jacobins, entre la République Une et indivisible et une demande d’indépendance... Sauf qu’aujourd’hui, le dialogue avec Paris est mort ! Tout simplement parce que la France n’est plus un état souverain et exclusif, comme d’ailleurs aucun autre pays autour. Le temps des Nations indivisibles et souveraines est fini !
- Pourquoi, au nom de ses maigres prérogatives, la France se crispe-t-elle, alors, sur des sujets comme la reconnaissance des langues régionales ?
- On le voit dans les relations parents-enfants : moins les parents ont d’autorité, plus ils se crispent ! Plus on perd du terrain, plus il y a de crispations ! Il n’y a pas d’avenir possible autrement que dans une espèce de combinaison de citoyenneté : la citoyenneté communale et intercommunale, la citoyenneté territoriale d’une région ou d’un état fédéré, celle des vieux Etats-Nations qui sont en grande difficulté, mais pas encore morts, celle plus large de l’Europe et du monde. Le monde a changé. Il n’y a plus d’exclusivité. Dans ce monde nouveau, si on veut la démocratie, c’est-à-dire des gens qui veulent participer à leur avenir et pas seulement subir ce qui tombe d’en haut, il faut accepter ces différents niveaux de démocratie. Ensuite, le dosage peut changer : il ne sera pas forcément le même en Corse et en Picardie. L’idée d’uniformité est assez stupide ! Les gens, les régions, ne veulent pas forcément les mêmes choses.
- Cet espace de démocratie est-il l’antidote contre la montée des extrémismes ?
- En tous cas, c’est l’antidote contre la guerre de tous contre tous, la stratégie des purs et des impurs, les gens d’ici et ceux d’ailleurs… A travers les immigrés et les Roms, il y a le rejet de l’autre. La Ligue du Nord veut détacher les Italiens du Nord de ceux du Sud qu’elle traite de paresseux. La Flandre ne veut plus payer pour la Wallonie. Les Allemands disent que les Grecs n’ont qu’à vendre leurs plages… L’idée, qu’il y a d’un côté des gens très bien, et de l’autre, des moins que rien, se répand en Europe. Le risque est réel de fragmentation territoriale sur la base de la concurrence et de la hiérarchie xénophobe des territoires. C’est comme cela que les Tchèques se sont séparés des Slovaques. Dans l’aspiration à de nouvelles identités territoriales, il est évident que l’Ecosse est une nation, que la Catalogne a une existence historique… Mais ces aspirations à la singularité ne doivent pas cacher le mépris des autres, la volonté de casser tout lien avec l’extérieur, mais, au contraire, être des ouvertures. Cette question intéresse aussi l’avenir de la Corse.
- De quelle façon ?
- Les résidents corses doivent réfléchir à la manière d’être reconnus dans ce qu’ils sont. L’immense majorité des Corses ne dit pas, pour le moment, qu’elle veut vivre hors de la république française, mais qu’elle est attachée à son identité et à sa singularité. A la LDH, nous sommes favorables à la formule de 1991 « Le peuple corse, composante du peuple français » qui était une manière intelligente de progresser et permettait de ne pas choisir. Une manière de reconnaître ce qui a longtemps été nié : un peuple corse, une société politique corse, une culture et une langue corses… et de le reconnaître dans une composante plus large, pas seulement dans le peuple français, mais aussi dans l’Union européenne. Demander de choisir est dangereux car cela peut produire des affrontements identitaires, mais est, en plus, idiot car on rate ce qu’est le monde ! Celui-ci se construit dans les articulations et les réseaux, pas dans les forteresses, les murs et le mépris de l’autre.
Propos recueillis par Nicole MARI