Corse Net Infos - Pure player corse

Législatives 2024 en Corse : Un scrutin décisif, à double inconnues et à enjeux en cascade


Nicole Mari le Vendredi 28 Juin 2024 à 15:27

Taux de participation, duel inédit, pression nationale, enjeux locaux… Les élections législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet 2024 sont un scrutin législatif décisif tant au niveau français avec à la clé un possible basculement politique qu’au niveau corse avec l’enjeu de l’autonomie. Un scrutin à tiroirs où les incertitudes sont multiples et où les positions pourraient s’avérer bien moins assises qu’elles n’y paraissent, et où une seule question semble compter partout : quel sera le score du Rassemblement National ?



Photo d'illustration Paule Santoni
Photo d'illustration Paule Santoni
Ces élections législatives anticipées sont peut-être les plus décisives pour la Corse depuis l’accession au pouvoir des Nationalistes en 2015. Pas seulement parce qu’il s’agit d’élire les quatre représentants insulaires, mais surtout parce que la majorité, qui sortira des urnes au niveau national le soir du 7 juillet, pourrait conditionner l’avenir de la Corse pour les prochaines décennies. Ce n’est donc pas peu dire que ce scrutin, asséné de manière brutale et inopportune, arrive à un bien mauvais moment. Il stoppe en plein vol le processus d’autonomie et d’évolution constitutionnelle qui en découle, et plonge la Corse et son pouvoir nationaliste dans une complète incertitude. L’enjeu de faire réélire les trois députés nationalistes sortants et d’y adjoindre un quatrième pour mieux peser à Paris parait pourtant bien subsidiaire dans un contexte de crise politique nationale avec le duel inédit qui se profile entre des forces que l’on n’imaginait pas arriver si tôt au pouvoir. Le choc de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président de la République et la pression de l’enjeu national font passer au second plan les enjeux locaux. Sauf en Corse où ils revêtent toujours une importance particulière. Quelques soient les crises françaises, l’élection, à l’écoute même des prises de parole des principaux candidats, reste plus que jamais territoriale. Ce dimanche s’ouvre donc, après à peine 20 jours de campagne, un scrutin à tiroirs, à double inconnues et à effets en cascade.
 
La clé de la participation
La première et principale inconnue de ce scrutin anticipé est le taux de participation. Les sondages, appuyés par l’explosion du nombre de procurations, laissent prévoir une participation en forte hausse au niveau national. Celle-ci pourrait culminer dès le 1er tour à plus de 60%, voire 63%, contre 47,5% au précédent scrutin de 2022. Le nombre de procurations a doublé et se situe, selon le ministère de l’Intérieur, à plus de 2,1 millions. S’il est difficile en Corse, en l’absence de chiffres officiels, d’estimer leur nombre, les services de communication des mairies, des gendarmeries et des commissariats affirment également faire face à un nombre record de procurations. En milieu rural, les gendarmes ont été obligés de s’y consacrer à plein temps, des maires de petites et moyennes communes parlent même d’un doublement des procurations. Et ce, dans une île où c’est déjà d’ordinaire un sport électoral très couru. En 2022, seulement 36% des électeurs s’étaient déplacés pour aller voter en Haute-Corse et 43% en Corse du Sud, des chiffres sensiblement en baisse par rapport à la législative de 2017 qui avait vu l’élection inédite de trois députés nationalistes. S’il semble que cette élection anticipée mobilise les électeurs, difficile d’en deviner les motivations. D’abord parce qu’elle se situe en début de saison estivale et qu’ensuite la dématérialisation des démarches en a simplifié le recours. 77% des procurations établies au niveau français depuis le 10 juin sont partiellement ou totalement dématérialisées, selon le ministère de l'Intérieur. Difficile aussi de savoir à qui profitera cette mobilisation en Corse. Est-elle portée par le désir de peser sur un enjeu purement local ou sur un duel qui s’annonce inédit au niveau national, ou par une juxtaposition des deux ? Apparemment, c’est plutôt la gauche unie, le centre, et fait nouveau dans l’île, le RN qui se sont lancés dans la chasse aux procurations. Quoiqu’il en soit, la capacité de chaque candidat à attirer les électeurs aux urnes est l’une des clés du scrutin de dimanche.
 
Le score du RN
Quel sera le score du Rassemblement national au soir du 1er tour ? C’est une autre inconnue tant au niveau national que local. Si les derniers sondages continuent de le donner largement en tête dans l’hexagone avec 36% des intentions de vote et une projection de 220 à 260 sièges pour une majorité absolue fixée à 289, il est, en Corse, bien difficile de savoir s’il réussira, cette fois-ci, à surfer avec succès sur la vague des Européennes où il a totalisé plus de 40 % des suffrages. A peine 20 jours séparent les deux élections, mais la Corse a pour habitude de séquencer ses votes en fonction de la nature du scrutin. Donner 58 % des suffrages à Marine Le Pen aux présidentielles d’avril 2022 ne l’a pas empêché de réélire deux mois après trois députés nationalistes et un député Horizons. Néanmoins, la dynamique démographique par solde migratoire venu de l’hexagone pourrait changer à terme la structure interne de l’électorat et peser, un jour ou l’autre, sur un scrutin local, comme on le voit en Nouvelle Calédonie. Si les électeurs corses peuvent sans complexe passer d’un vote RN aux élections nationales à un vote autonomiste ou indépendantiste aux élections locales, on peut se demander ce que feront les nouveaux arrivants qui ont voté en masse Jordan Bardella le 9 juin. Cette vague Bleu Marine avait, de son propre aveu, beaucoup inquiété le député sortant du parti Horizons, Laurent Marcangeli, en 2022 dans la 1ère circonscription de Corse du Sud où le RN avait raté le second tour, devancé par l’autonomiste Romain Colonna, pour 1132 voix. Les quatre candidats RN avaient recueilli au 1er tour, de 11,5% à presque 15% des suffrages, s’arrachant la troisième place dans trois circonscriptions et la quatrième dans celle de Corte-Balagne. Qu’en sera-t-il en 2024 alors que le flux migratoire, loin de s’atténuer, s’accumule ? Le fait que sur les quatre candidats RN, seul François Filoni, représentant du parti Lepéniste en Corse, est véritablement connu des insulaires, aura-t-il une influence sur ces nouveaux électeurs plus préoccupés par des enjeux politiques nationaux ? Quoiqu’il en soit, dimanche soir, le score singulier du RN et le score cumulé des candidats d’Extrême-droite seront à scruter avec attention, notamment dans le péri-urbain et dans le Sud de la Corse où il pourrait bien créer la surprise, mais aussi profiter aux sortants.
 
Des matchs retours
Toutes ces inconnues posent, donc, une autre incertitude : la proximité des deux scrutins législatifs va-t-elle dans les quatre circonscriptions obliger les députés sortants à jouer les matchs retour de 2022 ? Ou au contraire la crise politique nationale engrangée par la large victoire du RN le 9 juin, le duel inédit avec le nouveau Front populaire, l’inquiétude que provoquent leurs programmes économiques et la menace d’une instabilité sociale et politique, fera-t-elle surgir en Corse de nouveaux challengers au 2nd tour ? L’un des effets attendus de cette mobilisation record est la possibilité de triangulaires, près d’une centaine sont attendues dans l’hexagone. Néanmoins, il faut au moins obtenir 12,5% des voix des électeurs inscrits au premier tour pour se qualifier pour le second, et ce n’est pas chose simple. En 2017 et 2022, il n’y avait eu aucune triangulaire sur l’île, il faut remonter à 2012 à Bastia pour trouver le dernier truel avec la qualification des Nationalistes face à la droite sortante et la gauche unie. Et si triangulaires il y a, seraient-elles en mesure de rebattre les cartes et provoquer une surprise ? Et si surprise il y a, il semble fort improbable qu’elle provienne de la gauche insulaire qui a peu de visibilité. Quant aux macronistes, ils n’ont jamais réussi à prendre racine, ils sont désormais inexistants. L’éventualité d’une triangulaire avec le RN fait néanmoins peser un très fort enjeu sur le 1er tour, notamment dans les deux circonscriptions du Sud. Autant d’inconnues qui pourraient peut-être complexifier la donne du 2nd tour. Cela semble néanmoins assez improbable.
 
D’une élection à l’autre
Certains candidats se seraient-ils trompés d’élection ? C’est une autre question-clé de ce scrutin où le jeu consiste, malgré le grave contexte de crise nationale, à tirer à boulets rouges sur l’Exécutif territorial. A croire que les électeurs corses sont déconnectés des enjeux nationaux ! A quelques exceptions près, il n’est question que du bilan de la majorité territoriale et de stratégies affutées et croisées chez ses opposants de tous bords pour préparer le terrain des municipales de 2026 et des territoriales de 2028. Tous se rejoignent dans un seul objectif désormais : lézarder et faire tomber le pouvoir siméoniste. Et bien sûr, au centre de ces combats, il y a la question en cours de l’autonomie, ceux qui sont résolument contre, ceux qui la jugent secondaire, ceux qui la défendent l’esprit ailleurs et ceux qui la veulent absolument. Pour la majorité territoriale, il s’agit de ne pas se tromper de combat. Mener à terme le processus de Beauvau est l’enjeu crucial de ces législatives. C’est tout le sens de son appel à la reconstruction d’une union des nationalistes et des progressistes dans le but, non seulement de faire réélire les trois députés sortants, mais aussi d’en envoyer un quatrième à l’Assemblée nationale, pour renforcer la pression sur Paris et le nouveau gouvernement. Un vœu pour l’instant pieux ! Le pire scénario pour le processus de Beauvau est l’arrivée au pouvoir du RN qui est résolument contre l’autonomie. Difficile de savoir si la relation sera meilleure avec un gouvernement issu du nouveau Front populaire tant cette plateforme uniquement électoraliste affiche de divergences de fond et risque de ne pas survivre au scrutin. Paradoxalement, la seule chance d’une évolution institutionnelle pour la Corse serait une coalition au centre qui inclurait des macronistes, à condition là aussi que le président de la République tienne parole. La politique du pire, qu’il a choisi d’appliquer en Nouvelle Calédonie, questionne et inquiète. La menace d’instabilité politique et économique, l’ingouvernabilité du pouvoir qui sortira des urnes le 7 juillet, les tensions sociales sous-jacentes, sont également un souci majeur pour l’île qui a besoin de paix et de stabilité. De quelque manière qu’on l’appréhende ces élections législatives anticipées, elles ouvrent un chapitre incertain pour la France et pour la Corse.
 
N.M.