(Photo : Elena Mas)
Le raz de marée tant redouté a été évité. Seule son écume aura finalement léché les côtes corses et provoqué une certaine inquiétude dans l’île une semaine durant. Au terme du second tour des élections législatives anticipées, le Rassemblement National (RN) n’a emporté aucune circonscription en Corse ce dimanche. Pour autant le parti à la flamme a démontré qu’il faudra désormais compter sur sa présence lors des prochains scrutins sur l’île. « C’est une défaite parce qu’il n’y a pas d’élu RN en Corse, mais au final si on enlève le vernis on pourrait presque se demander si ce n’est pas une victoire pour le parti ? À l’issue du premier tour, le RN était présent dans toutes les circonscriptions de l’île, et en première position dans deux d’entre elles », note ainsi Thierry Dominici, maître de conférences en science politique à l’université de Bordeaux, et spécialiste du nationalisme corse.
En tout, 46 127 électeurs insulaires ont en effet accordé leur voix au RN lors de cette première manche. De quoi permettre à François Filoni, le délégué régional du parti à la flamme, et à trois candidats fraichement débarqués dans l’île et jusqu’ici inconnus, d’afficher des scores historiques. Pourtant, dans la presse locale, ces derniers avaient fait montre de leurs lacunes sur les dossiers corses. Preuve que ce ne sont pas sur ces sujets que les électeurs les attendaient. Dans la 1ère et la 2ème circonscriptions de Corse-du-Sud, Ariane Quarena et François Filoni ont même réussi l’exploit de mettre les députés sortants en ballotage défavorable. Mais au second tour, l’effet « barrage » et l’union sacrée autour des sortants, associés à une faible réserve de voix ont fait que leurs scores ont peu évolué entre les deux tours. Ariane Quarena passe ainsi de 10 377 voix au premier tour à 12 164 au deuxième tour, quand François Filoni passe de 13 620 à 16 509 votes en sa faveur. Pas suffisant pour battre Laurent Marcangeli et Paul-André Colombani. En Haute-Corse, si Sylvie Jouart, candidate dans la 2ème circonscription, s’est désistée entre les deux tours, Jean-Michel Marchal subit lui aussi l’effet du front républicain et passe de 10 855 à 13 677 voix et se fait distancer par Michel Castellani. Mais est-ce à dire que le RN a atteint son plafond de verre en Corse ? Rien n’est moins sûr au vu de la célérité à laquelle le parti de Marine Le Pen progresse entre chaque scrutin.
« Le RN en Corse est dans une phase de construction »
Lors des législatives de 2022, Nathaly Antona n’avait en effet récolté que 3003 voix dans la 1èrecirconscription de Corse-du-Sud, François Filoni 3788 voix dans la 2ème circonscription de Corse-du-Sud, Alexis Fernandez 2996 voix dans la 1ère circonscription de Haute-Corse et Jean Cardi 3658 voix dans la seconde. Les quatre candidats du RN échouant tous à se qualifier pour la deuxième manche. En deux ans, la différence est donc flagrante. De même, lors des élections présidentielles de 2017, Marine Le Pen avait récolté 62 982 voix sur l’île, quand elle en a enregistré 77 721 voix, soit 58,08% des votants, 5 ans plus tard. Dans ce droit fil, le délégué régional du parti à la flamme refuse d’ailleurs de voir la défaite aux législatives comme un échec. A contrario, il relève « un score énorme » et une progression de son mouvement qui enregistre des scores historiques pour ce scrutin en Corse. « Il y a trois ans, le mouvement RN représentant 2 à 2,5% en Corse, aujourd’hui, j’atteins la barre des 40%. Cela veut dire qu’il y a un enracinement et une percée politique », commentait ainsi François Filoni dimanche soir en appuyant : « Je pense que le RN en Corse est dans une phase de construction. Nous pensons que nous sommes en train de nous enraciner dans la population corse ».
Dans la même veine, le politologue et maitre de conférences en science politique à l’Université de Corse, André Fazi, relève que les scores réalisés par les trois candidats RN au second tour sont « des résultats exceptionnels et remarquables ». « C’était une élection très nationalisée dans un contexte inattendu. C’était très dramatisé avec le Président de la République, Emmanuel Macron, qui a même parler de risque de guerre civile. Et donc les enjeux nationaux, pour beaucoup de citoyens en Corse, ont vraiment largement pris le pas sur les enjeux locaux. C’est une élection très atypique », concède-t-il toutefois. Un contexte qui ne doit pas effacer le fait qu’une adhésion au RN, ou tout du moins une volonté de dégagisme de la classe politique traditionnelle a fait son trou dans la société corse. Le tout sur fond de fractures sociales, d’un ras-le-bol généralisé et d’une peur de voir l’insécurité qui gangrène certaines banlieues du continent s’implanter sur l’île.
Une montée du RN aux causes multiples
« Dans ce vote pour le RN en Corse, on retrouve les mêmes ingrédients qu’ailleurs, qui sont liés aux questions du pouvoir d’achat et de l’enjeu migratoire. Il y a certainement aussi une partie du vote continental. La Corse a vu arriver pas mal de nouveaux installés. Ce n’est certainement pas ce qui épuise l’explication, loin de là, mais c’est une réalité qu’il convient de ne pas exclure dans cette progression du vote RN en Corse », analyse Arnaud Benedetti, politologue, professeur associé à la Sorbonne et à l'HEIP, et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. « Les électeurs RN invoquent des raisons sociales, économiques, identitaires. Il y a aussi une culture identitaire en Corse, qui est très forte et qui peut paraître paradoxale vu de l’extérieur. Car vous avez un vote pour un candidat nationaliste et puis un vote pour une formation politique d’essence jacobine comme le Rassemblement national. Ce qui fait le lien, c’est le souci identitaire. Quand ils votent aux territoriales, ils votent nationaliste parce qu’ils considèrent que c’est ce qui leur permet de mieux conserver leur identité de corse et d’insulaire. Et dans un scrutin national, ils votent pour un parti qui, à leurs yeux, est le meilleur défenseur de leur identité d’occidental : le Rassemblement national », ajoute celui qui a récemment publié le livre Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ?.
« Lorsqu’on voit que des candidats parachutés qui ne sont pas des professionnels de la politique arrivent à concurrencer les députés sortants, j’ai tendance à croire qu’une sorte de nationalisme banal, à l’exemple du concept porté par Michael Billig, qui s’installe en Corse », estime pour sa part Thierry Dominici en déroulant : « Ce nationalisme banal, qui est apparu sur le continent dès 2007 en réponse à la politique de mépris envers la classe populaire, s’est installé en Corse peut-être parce que l’espace public est laissé vacant par les nationalistes, du fait qu’ils sont majoritaires à la Collectivité de Corse. Par exemple, lors de la crise des Gilets Jaunes, les nationalistes n’étaient pas sur le terrain alors que depuis 1973 ils sont le cœur de toutes les mobilisations. Ce qui fait que ce sentiment de mépris explique pourquoi dans certains villages très éloignés de tous ces problèmes liés à l’immigration, on vote massivement pour le RN ». Pour le politologue, les prochaines municipales seront d’ailleurs « un test » pour le part à la flamme sur l’île. « S’il était concluant, le RN aura son mot à dire pour les prochaines territoriales », annonce-t-il.
En tout, 46 127 électeurs insulaires ont en effet accordé leur voix au RN lors de cette première manche. De quoi permettre à François Filoni, le délégué régional du parti à la flamme, et à trois candidats fraichement débarqués dans l’île et jusqu’ici inconnus, d’afficher des scores historiques. Pourtant, dans la presse locale, ces derniers avaient fait montre de leurs lacunes sur les dossiers corses. Preuve que ce ne sont pas sur ces sujets que les électeurs les attendaient. Dans la 1ère et la 2ème circonscriptions de Corse-du-Sud, Ariane Quarena et François Filoni ont même réussi l’exploit de mettre les députés sortants en ballotage défavorable. Mais au second tour, l’effet « barrage » et l’union sacrée autour des sortants, associés à une faible réserve de voix ont fait que leurs scores ont peu évolué entre les deux tours. Ariane Quarena passe ainsi de 10 377 voix au premier tour à 12 164 au deuxième tour, quand François Filoni passe de 13 620 à 16 509 votes en sa faveur. Pas suffisant pour battre Laurent Marcangeli et Paul-André Colombani. En Haute-Corse, si Sylvie Jouart, candidate dans la 2ème circonscription, s’est désistée entre les deux tours, Jean-Michel Marchal subit lui aussi l’effet du front républicain et passe de 10 855 à 13 677 voix et se fait distancer par Michel Castellani. Mais est-ce à dire que le RN a atteint son plafond de verre en Corse ? Rien n’est moins sûr au vu de la célérité à laquelle le parti de Marine Le Pen progresse entre chaque scrutin.
« Le RN en Corse est dans une phase de construction »
Lors des législatives de 2022, Nathaly Antona n’avait en effet récolté que 3003 voix dans la 1èrecirconscription de Corse-du-Sud, François Filoni 3788 voix dans la 2ème circonscription de Corse-du-Sud, Alexis Fernandez 2996 voix dans la 1ère circonscription de Haute-Corse et Jean Cardi 3658 voix dans la seconde. Les quatre candidats du RN échouant tous à se qualifier pour la deuxième manche. En deux ans, la différence est donc flagrante. De même, lors des élections présidentielles de 2017, Marine Le Pen avait récolté 62 982 voix sur l’île, quand elle en a enregistré 77 721 voix, soit 58,08% des votants, 5 ans plus tard. Dans ce droit fil, le délégué régional du parti à la flamme refuse d’ailleurs de voir la défaite aux législatives comme un échec. A contrario, il relève « un score énorme » et une progression de son mouvement qui enregistre des scores historiques pour ce scrutin en Corse. « Il y a trois ans, le mouvement RN représentant 2 à 2,5% en Corse, aujourd’hui, j’atteins la barre des 40%. Cela veut dire qu’il y a un enracinement et une percée politique », commentait ainsi François Filoni dimanche soir en appuyant : « Je pense que le RN en Corse est dans une phase de construction. Nous pensons que nous sommes en train de nous enraciner dans la population corse ».
Dans la même veine, le politologue et maitre de conférences en science politique à l’Université de Corse, André Fazi, relève que les scores réalisés par les trois candidats RN au second tour sont « des résultats exceptionnels et remarquables ». « C’était une élection très nationalisée dans un contexte inattendu. C’était très dramatisé avec le Président de la République, Emmanuel Macron, qui a même parler de risque de guerre civile. Et donc les enjeux nationaux, pour beaucoup de citoyens en Corse, ont vraiment largement pris le pas sur les enjeux locaux. C’est une élection très atypique », concède-t-il toutefois. Un contexte qui ne doit pas effacer le fait qu’une adhésion au RN, ou tout du moins une volonté de dégagisme de la classe politique traditionnelle a fait son trou dans la société corse. Le tout sur fond de fractures sociales, d’un ras-le-bol généralisé et d’une peur de voir l’insécurité qui gangrène certaines banlieues du continent s’implanter sur l’île.
Une montée du RN aux causes multiples
« Dans ce vote pour le RN en Corse, on retrouve les mêmes ingrédients qu’ailleurs, qui sont liés aux questions du pouvoir d’achat et de l’enjeu migratoire. Il y a certainement aussi une partie du vote continental. La Corse a vu arriver pas mal de nouveaux installés. Ce n’est certainement pas ce qui épuise l’explication, loin de là, mais c’est une réalité qu’il convient de ne pas exclure dans cette progression du vote RN en Corse », analyse Arnaud Benedetti, politologue, professeur associé à la Sorbonne et à l'HEIP, et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. « Les électeurs RN invoquent des raisons sociales, économiques, identitaires. Il y a aussi une culture identitaire en Corse, qui est très forte et qui peut paraître paradoxale vu de l’extérieur. Car vous avez un vote pour un candidat nationaliste et puis un vote pour une formation politique d’essence jacobine comme le Rassemblement national. Ce qui fait le lien, c’est le souci identitaire. Quand ils votent aux territoriales, ils votent nationaliste parce qu’ils considèrent que c’est ce qui leur permet de mieux conserver leur identité de corse et d’insulaire. Et dans un scrutin national, ils votent pour un parti qui, à leurs yeux, est le meilleur défenseur de leur identité d’occidental : le Rassemblement national », ajoute celui qui a récemment publié le livre Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ?.
« Lorsqu’on voit que des candidats parachutés qui ne sont pas des professionnels de la politique arrivent à concurrencer les députés sortants, j’ai tendance à croire qu’une sorte de nationalisme banal, à l’exemple du concept porté par Michael Billig, qui s’installe en Corse », estime pour sa part Thierry Dominici en déroulant : « Ce nationalisme banal, qui est apparu sur le continent dès 2007 en réponse à la politique de mépris envers la classe populaire, s’est installé en Corse peut-être parce que l’espace public est laissé vacant par les nationalistes, du fait qu’ils sont majoritaires à la Collectivité de Corse. Par exemple, lors de la crise des Gilets Jaunes, les nationalistes n’étaient pas sur le terrain alors que depuis 1973 ils sont le cœur de toutes les mobilisations. Ce qui fait que ce sentiment de mépris explique pourquoi dans certains villages très éloignés de tous ces problèmes liés à l’immigration, on vote massivement pour le RN ». Pour le politologue, les prochaines municipales seront d’ailleurs « un test » pour le part à la flamme sur l’île. « S’il était concluant, le RN aura son mot à dire pour les prochaines territoriales », annonce-t-il.